L’attentat
et comment le pouvoir s’en sert
Publié le 27/03/2024
Le régime russe a décrété le 24
mars journée de deuil national, après la fusillade survenue deux jours plus tôt
dans une salle de concert à la périphérie de Moscou. Son bilan, provisoire,
était alors déjà de 137 morts et d’une centaine de blessés.
Il s’agit de l’attentat le plus
sanglant en Russie depuis vingt ans, quand des séparatistes tchétchènes avaient
pris en otages des enfants d’une école à Beslan, dans le Caucase. L’assaut de
la police s’était soldé par 330 morts et 720 blessés. Ce carnage s’inscrivait
dans les plans d’un régime dont Poutine avait pris la tête quatre ans
auparavant : forcer l’opinion à soutenir un pouvoir dont la poigne de fer se
présentait comme garante de l’ordre.
Depuis, le contexte a changé,
mais pas la façon qu’a le régime de manipuler les faits et l’opinion. Peu après
l’attentat du 22 mars, Poutine est intervenu à la télévision en se félicitant
de l’arrestation de quatre suspects dans une forêt proche de l’Ukraine,
affirmant que celle-ci s’apprêtait à leur donner refuge. Après quoi, la machine
de propagande du Kremlin s’est mise en branle. Elle a martelé partout et sur
tous les tons que l’attentat, organisé par l’Ukraine, avait les États-Unis pour
instigateurs. Et cela, bien que les terroristes arrêtés soient tadjiks et
qu’une branche de Daech ait revendiqué l’opération.
Bien malin qui peut trancher
entre les dénégations des uns, les accusations des autres ou les aveux arrachés
sous la torture, sans que l’on puisse même exclure que le Kremlin ait trempé
d’une façon ou d’une autre dans cet attentat : ce ne serait pas la première
fois qu’il instrumentaliserait un tel bain de sang.
Déchaînement
sécuritaire
En tout cas, dans la foulée de
Poutine, ses soutiens se sont déchaînés, dont des députés et l’ex-président
Medvedev, pour réclamer la fin du moratoire sur la peine de mort. Décidé en
1996, quand la Russie d’Eltsine voulait se rendre respectable aux yeux de
l’Occident, ce moratoire n’a jamais empêché que le pouvoir fasse exécuter des
opposants. Il y a peu, Navalny l’a rappelé malgré lui. Et les vidéos des
tortures infligées à un des terroristes ou les images des massacres opérés par
la police lors de précédentes prises d’otages, sans oublier les récits de
soldats revenus d’Ukraine, disent assez ce que vaut la vie pour le Kremlin et
ses chiens de garde.
En hurlant à la mort, alors que
la majorité de la population a été bouleversée par l’attentat, c’est aussi à
elle que s’adressent les hommes de Poutine. C’est à toute la population qu’ils
entendent montrer qu’ils ne reculeront devant rien pour défendre leur ordre, et
les intérêts de la foule de bureaucrates et d’oligarques que le régime
représente. Il s’agit de justifier par la situation le fait que le pouvoir
resserre encore son emprise sur toute la société. Mais d’autre part, il s’agit
de mettre en garde tous ceux qui, dans les couches laborieuses, voudraient
s’opposer aux mesures drastiques sur le plan social que le pouvoir prépare, et
bien sûr à une nouvelle mobilisation. Et, dans cette perspective, le régime a
trouvé avec cet attentat un moyen de diviser les rangs de la classe ouvrière,
alors qu’il va lui porter de nouvelles attaques.
Les
migrants, montrés du doigt
Dès l’annonce faite que les
terroristes avaient une origine tadjike, les autorités ont lancé la police sur
les quartiers où résident des travailleurs venus de l’Asie centrale
ex-soviétique. Prétextant que la branche du Khorasan (Asie centrale) de Daech a
revendiqué l’attentat, les autorités ont présenté tous ces « migrants » comme
des islamistes en puissance. La police a l’habitude de les rançonner quand ils
n’ont pas de papiers en règle et, depuis des mois, elle effectue des rafles
parmi eux en leur faisant le chantage « ou vous vous engagez dans l’armée
russe, ou on vous expulse ». Elle sait donc avoir carte blanche pour
pratiquer les pires exactions. Et cette ambiance n’a pu qu’encourager les
auteurs d’agressions xénophobes qui se sont multipliées un peu partout. Dans de
grandes villes comme Ekaterinbourg, capitale politique et économique de
l’Oural, les employeurs des centres commerciaux ont été informés de devoir
fournir à la police les coordonnées des « étrangers » qu’ils emploient. Comme
effet immédiat, ils en ont renvoyé la plupart.
Ces migrants, qui il y a
trente-trois ans avaient la même citoyenneté soviétique que les Russes, n’ont
rien à voir avec le terrorisme de Daech : ils sont venus travailler en Russie
pour échapper à la misère qui règne dans leur région d’origine et le Kremlin le
sait bien. Mais il veut créer une psychose collective afin de souder derrière
lui la population russe, tout en précarisant encore plus toute la partie déjà
la plus exploitée du prolétariat.
Les médias et les politiciens du
régime se répandent donc en propos du genre « Les Russes sont une seule
famille », « Une famille dans la peine doit rester soudée ». C’est
un mensonge car les oligarques, les bureaucrates dont le régime sert les
intérêts appartiennent à une famille qui n’est pas celle des travailleurs ! Les
bureaucrates ont pillé la Russie, les oligarques ont détruit le système
soviétique pour s’en accaparer les richesses. Leur pouvoir a laissé partir à la
dérive les plus pauvres des ex- républiques soviétiques – et le Tadjikistan est
la plus appauvrie d’entre elles. Il a laissé les dirigeants locaux se
transformer en potentats rapaces, sanguinaires, ouvrant des mosquées et fermant
des écoles, des usines. Les populations de ces régions n’ont que le choix entre
tenter de survivre dans une misère sans fond ou partir en Russie, et y devenir des
travailleurs parias. Aux jeunes que ce choix révolte ou qu’il jette dans le
désespoir, la mouvance islamiste offre des armes pour tuer, un moyen de
survivre avant d’être tués à leur tour, et sans évidemment que cela offre la
moindre issue à l’impasse infernale dans laquelle ils sont enfermés.
Quoi qu’en dise la propagande
xénophobe du Kremlin, les travailleurs russes ont toutes les raisons de se
sentir plus proches de leurs frères de classe venus de « l’étranger proche »
que de leurs propres oppresseurs et exploiteurs, même s’ils ont comme eux un
même passeport intérieur russe. L’État de Poutine, des bureaucrates et des
oligarques, n’est pas le leur, il est leur pire ennemi. Et face à lui, les
travailleurs ont tout intérêt à s’unir, par-delà leurs origines, pour défendre
leurs intérêts, pour aller vers une société sans guerre ni oppression, ni
misère, car ils l’auront débarrassée de cette classe d’exploiteurs.
Pierre
Laffitte (Lutte ouvrière n°2904)
Les prochaines permanences prévues à Argenteuil :
-Aujourd’hui samedi 30 mars : de 10 h.15 à 10 h.55 devant Monoprix ;
-et de 11 h à midi au marché de la Colonie ;
-Dimanche 31 mars : de 10 h.15 à 10 h.55, devant Intermarché du
Centre ;
-de 11 h. à midi, marché Héloïse ;
--Lundi 1er avril : de 18 à 19 heures, centre cl des
Raguenets à Saint-Gratien ;
-Mercredi 3 avril : de 11 h.30 à midi, marché des Champioux.
Toutes les semaines, l’hebdomadaire Lutte ouvrière est
aussi en vente à la librairie Le Presse-papier et au Tabac-Presse du mail de la
Terrasse du quartier du Val-Nord que nous remercions.