Le bras
de fer continue
La
direction de la SNCF, largement relayée par les médias, a continué la campagne
de désinformation qu’elle alimente depuis le premier jour : « Épilogue en vue
», selon Challenges, « la mobilisation s’essouffle », pour Le Figaro. Pourtant
les 28 et 29 mai, deux mois après le lancement du mouvement de grève, celui-ci
tenait toujours bon.
Si la
participation aux assemblées générales était souvent moins fournie que
précédemment, le nombre de grévistes se maintenait. Ainsi mardi 29 mai, d’après
la SNCF elle-même, ce chiffre était, tous collèges confondus, de 14,4 %,
c’est-à-dire exactement le même pourcentage que le mercredi 9 mai, trois
semaines plus tôt. Hormis le 14 mai, « journée sans cheminot », avec une
mobilisation exceptionnelle, ce chiffre est stable depuis trois semaines à
l’échelle nationale. Il en va de même pour les deux catégories les plus mobilisées
: les agents de conduite, en grève à 51,4 % le 29 mai (53 % le 9 mai), et les
contrôleurs, en grève à 46,7 % (45,5 % le 9 mai). À l’exécution, le pourcentage
varie de 22 à 25 % sans fléchissement.
Le
maintien du nombre de grévistes signifie aussi que si certains reprennent le
travail tel jour ou telle semaine, ils sont remplacés par d’autres sur le front
de la grève. En tout, celle-ci a mis en branle des dizaines de milliers de
cheminots et le nombre de participants au Vot’action contre le pacte ferroviaire,
les deux-tiers des cheminots, soit 90 000, en est sans doute un bon reflet.
Surtout,
malgré la fatigue, malgré les retenues sur salaires, malgré la désinformation,
beaucoup font preuve d’une détermination exemplaire, participant à tous les
jours de grève du « calendrier » et parfois au-delà comme lors des journées du
22 mai avec les fonctionnaires ou du samedi 26 pour participer aux
manifestations. Organisant des piquets de grève et des tournées, participant
aux assemblées, allant s’adresser aux travailleurs d’autres entreprises,
participant avec enthousiasme aux diverses actions et manifestations, ces
milliers de cheminots sont le cœur battant de la grève, une fraction consciente
de mener, quel qu’en soit le résultat final, une lutte indispensable pour leur
propre avenir et celui de leur classe sociale.
Les
manœuvres du gouvernement
L’annonce
de la reprise de 35 milliards de dette de SNCF Réseau, présentée en fanfare
comme un cadeau aux cheminots, a été reçue dans leurs assemblées pour ce
qu’elle est : une manœuvre. Les cheminots ne sont en rien concernés par cette
dette, creusée pour alimenter les coffres forts des bétonneurs et des
banquiers.
De la
même façon, les amendements retenus en commission du Sénat concernant le
transfert des cheminots au privé, ne font que confirmer le chantage au
licenciement. Ainsi le refus du salarié, qui est affecté au moins à 50 % dans
le service concerné, « constitue le motif de la rupture de son contrat de
travail, qui est prononcée par le cessionnaire et prend effet à la date
effective du changement d’attributaire ». S’il est affecté à moins de 50 % dans
le service privatisé, la SNCF lui fera « une offre d’emploi disponible situé
dans la même région ou, à défaut, situé sur le territoire national dans
l’entreprise », en clair à l’autre bout du pays. En cas de refus, il sera
licencié moyennant une indemnité à fixer en conseil d’État.
Alors,
quels que soient les débats au Sénat, et si certains dirigeants syndicaux ont
laissé entendre qu’ils pourraient sortir du mouvement à cette occasion, ce
n’est absolument pas le sentiment des grévistes. Il est clair qu’il n’y a aucun
recul gouvernemental et c’est au contraire la destruction de leurs conditions
de travail et de leur emploi qui est programmée par ce pacte ferroviaire.
Bon
nombre de cheminots savaient dès le début que la lutte serait difficile. Elle
l’est. Mais en contestant depuis deux mois, avec leurs armes de classe, la
politique du gouvernement, ils font la preuve que, loin d’être tout puissants,
les bourgeois et politiciens sont incapables de se passer des travailleurs pour
faire fonctionner l’économie. Plus le mouvement dure, plus cette démonstration
peut pénétrer la conscience de millions de travailleurs. Personne ne connaît
aujourd’hui l’issue de cette lutte, mais en tout cas, elle ne peut que hâter
celle, plus générale, du monde du travail. Alors vive la lutte des cheminots !
Christian
BERNAC (Lutte ouvrière n°2600)