Après
le premier tour
Les
leçons du premier tour des élections municipales sont claires : un désaveu
cinglant du PS et du gouvernement. Les jongleries verbales de certains notables
sur le caractère local de ces élections ne les ont pas sauvés des conséquences
de ce désaveu.
Leur
rôle de cinquième roue du carrosse gouvernemental et leurs états d'âme
vaguement critiques sauvent les écologistes du recul électoral subi par le PS.
Quant
au PC, à demi dans l'opposition, même lorsqu'il conduit une liste avec le PS,
il sauve les meubles. Comme le résume Le Monde, « le PCF résiste mais est
fragilisé dans certains de ses bastions ». Et lorsqu'il se présente seul,
il se heurte souvent, en plus de la droite, aux ambitions du PS.
La
droite parlementaire, pourtant engluée dans les scandales, ébranlée par la
guerre des chefs, progresse en pourcentage malgré la concurrence du Front
national.
L'aspect
le plus spectaculaire de ce glissement vers la droite est cependant l'accroissement
du nombre d'électeurs en faveur des listes du FN. Il y a évidemment la conquête
de la mairie de Hénin-Beaumont. Mais si la conquête d'une mairie par l'extrême
droite a des conséquences pour les habitants de la ville concernée, ce qui
compte plus généralement, même là où le FN n'a aucune chance d'emporter la
mairie, c'est l'emprise des idées réactionnaires que cela révèle, qui pèsera
inévitablement sur la vie politique et sociale, et qui pèse déjà en réalité.
Le fait
est que, dans les villes de plus de 10 000 habitants, d'après les chiffres
donnés par Le Monde du 25 mars, la droite recueille 45,9 % des voix
et l'extrême droite 9,2 %, tandis que la gauche n'en rassemble que
41,4 %. Lors des élections municipales précédentes, en 2008, le rapport de
force électoral était de 45,5 % pour la droite, 0,7 % pour l'extrême
droite et 48 % pour la gauche. Ce qui, dans les statistiques, apparaît
dans la rubrique « extrême gauche » ne pèse que peu dans le rapport
de force électoral gauche-droite et n'a, en outre, que peu varié.
Voilà
le reflet électoral de l'opinion publique au premier tour, au moment où on peut
encore parler de reflet, fût-il déformé.
Le
deuxième tour, issu des alliances obtenues par des marchandages entre
états-majors, n'aura pour fonction que de tirer les conséquences
institutionnelles des mouvements de l'opinion publique. Ce sont évidemment ces
conséquences, c'est-à-dire le nombre de mairies gagnées ou perdues, qui
préoccupent les dirigeants politiques. Elles permettront peut-être au PS de transformer
dans certains cas son recul en succès. À Paris, par exemple, où la candidate de
la droite, Nathalie Kosciusko-Morizet, a eu plus de voix que sa concurrente du
PS, Anne Hidalgo, cette dernière gardera peut-être la mairie grâce au mode de
scrutin. Mais tout cela n'aura plus qu'un lointain rapport avec l'évolution de
l'opinion.
Reflet
déformé de l'opinion ouvrière
Même le
premier tour ne donne cependant qu'un reflet très déformé de l'évolution de
l'opinion. Cette déformation est d'abord sociale. Une fraction importante de la
classe ouvrière, les travailleurs immigrés, est écartée du droit électoral. Une
des nombreuses ignominies de la gauche est de n'avoir pas accordé le droit de
vote aux travailleurs immigrés, pas même aux élections locales, malgré les
promesses faites il y a déjà trente ans par Mitterrand et reprises plus ou
moins par ses successeurs. En tout cas, pas aux travailleurs immigrés issus des
pays hors Union européenne qui constituent l'écrasante majorité des immigrés
dans les entreprises et qui peuplent les quartiers populaires.
Ces
réserves, ô combien importantes, étant faites, quelle conclusion peut-on tirer
de l'évolution de l'électorat ouvrier à partir de ces élections ?
Le taux
d'abstention de 38,7 % est déjà très élevé. Mais c'est une moyenne
nationale. Les chiffres sont bien supérieurs dans les bureaux de vote des
quartiers populaires avec 50 %, 60 % d'abstentions, voire plus !
Et, encore, les abstentions sont décomptées par rapport au nombre des inscrits.
Mais combien de travailleurs, de chômeurs, de pauvres, même avec la carte
d'identité française en poche, ne sont pas inscrits sur les listes électorales
et ne sont donc comptabilisés nulle part ?
C'est
précisément l'abstention de l'électorat populaire, qui votait habituellement en
majorité pour la gauche, qui est la principale expression du désaveu du PS et
de sa politique au gouvernement.
L'abstention
est une forme élémentaire de protestation venant des classes populaires, à
l'égard en particulier des partis de gauche qui prétendent les représenter. À
en juger par la progression des votes en faveur du FN dans un certain nombre de
quartiers populaires, voire de villes ouvrières, une fraction de l'électorat
populaire s'est saisie de ce vote pour exprimer le même dégoût face aux reniements
et aux trahisons des partis réformistes.
Ceux
des électeurs des classes populaires qui ont fait ce choix ont fait le pire car
ils apportent leur soutien à leur pire ennemi. En outre, le renforcement
électoral du FN encourage les partis traditionnels de droite et de gauche à
mener une politique de plus en plus ouvertement réactionnaire.
Il y a
cependant de quoi être dégoûté par les jérémiades de la gauche réformiste face
à la démobilisation de son électorat. C'est sa politique en faveur du grand patronat,
ses reniements et le désespoir que cela suscite qui sont les principaux
responsables de la montée électorale du FN comme, plus généralement, du
renforcement des idées réactionnaires ou des repliements communautaires dans la
population.
Et on
peut observer avec d'autant plus de dégoût son appel à empêcher le FN de
conquérir de nouvelles mairies qu'il est assorti d'une supplique au
« front républicain ». Ce qui signifie simplement que, dans un
certain nombre d'endroits, le PS s'effacera devant la droite parlementaire, y
compris – et c'est souvent le cas – lorsqu'elle est représentée par des
individus aussi réactionnaires que leurs adversaires du FN.
Mais,
au-delà de l'aspect circonstanciel du fait de l'étiquette socialiste du
gouvernement actuel, il y a un problème bien plus général.
Construire
une force représentant les intérêts politiques de la classe ouvrière
L'évolution
vers la droite de l'ensemble de l'électorat et le fait que cette évolution
affecte même une partie de l'électorat ouvrier ne sont pas dus seulement aux
circonstances objectives de la crise économique, au chômage, à la
généralisation de la pauvreté.
Le
problème, c'est que face à tous les partis qui, tous, se situent sur le terrain
de la bourgeoisie, il n'y a personne ayant le crédit nécessaire pour
représenter une opposition ouvrière. Là encore, les élections et les
affrontements politiques reflètent un manque plus profond, car c'est au
quotidien, dans les affrontements de classe dans la société elle-même, dans les
entreprises, dans les quartiers populaire, qu'il manque un parti qui représente
les intérêts politiques de la classe ouvrière.
La
scène politique, la scène électorale en particulier, est occupée par des partis
qui, au-delà de leurs rivalités, acceptent, tous, l'ordre capitaliste. Même
ceux qui s'opposent aujourd'hui sur sa gauche à la politique du PS au pouvoir,
s'ils étaient associés au gouvernement, ne pourraient et ne voudraient
gouverner que pour la bourgeoisie. Ils pourraient canaliser à leur propre
profit les mécontentements suscités par la politique du gouvernement socialiste
mais ils ne pourraient pas faire autrement que ce dernier. Elles sont là, les
limites de l'opposition de gauche, représentée par un Mélenchon et un PC qui se
met à son service.
Voilà
pourquoi il est important que se manifeste une force politique qui défende les
intérêts de la classe ouvrière jusqu'à son ultime conséquence : le
renversement révolutionnaire du pouvoir de la bourgeoisie.
Le
courant qui s'est exprimé dans ces élections par les votes en faveur des listes
de Lutte Ouvrière est l'ébauche ou la préfiguration de cette force politique à
construire. Il est très minoritaire certes, et par là même, il apparaît peu
crédible par rapport à ceux qui, de Mélenchon au PC, se posent en alternatives politiques.
Mais ce
courant existe. Pour faible qu'il soit aujourd'hui, il représente une véritable
perspective pour la classe ouvrière, et la seule, parce qu'il parle le langage
de la lutte de classe. Il ne pourra représenter une force que lorsque la classe
ouvrière retrouvera collectivement la confiance en elle et la conscience de sa
force et s'engagera sur la voie de la lutte pour ses propres intérêts de classe
et pour les intérêts de l'ensemble des classes laborieuses.
La
reprise de la combativité de la classe ouvrière face à la bourgeoisie ne dépend
pas du courant communiste révolutionnaire. Mais ce qui dépend de lui, c'est
d'être présent, de proposer un programme et une politique qui, dans chaque
circonstance, s'oppose aux différentes nuances politiques de la bourgeoisie.
Pour cela, il est essentiel que ce courant garde son drapeau, celui de la
révolution sociale, qu'il ne le salisse pas en se fondant dans des
regroupements qui restent globalement sur le terrain de la bourgeoisie, ni en
édulcorant le langage de la lutte de classe.
Celles
et ceux, travailleurs en activité ou au chômage, retraités, qui ont permis la
présence de plus de 200 listes de Lutte Ouvrière dans ces élections, ceux
qui ont voté pour elles, représentent l'avenir.
Ce
n'est certes pas par les urnes que le courant se renforcera et qu'il trouvera
du crédit dans la population ouvrière de ce pays. Le parti ouvrier
révolutionnaire se construira dans les luttes de classe de demain. Il aura à
gagner son crédit dans les grèves, dans les multiples formes de mobilisation
ouvrière. Mais, comme des élections européennes prendront, cette année, le
relais des élections municipales, il faut que le courant communiste
révolutionnaire y apparaisse. Il faut qu'il trouve l'oreille des travailleurs
sur toutes les questions politiques qui seront soulevées par les élections
européennes. Il faut qu'il y fasse entendre le « camp des
travailleurs » non seulement sur ses exigences contre la bourgeoisie face
à la crise, mais aussi autour de perspectives plus vastes.
Lutte
Ouvrière se présentera dans ces élections pour faire entendre les mêmes
exigences qu'à l'occasion des élections municipales, mais aussi pour défendre
l'internationalisme et pour avancer une politique favorable aux intérêts de la
classe ouvrière face à l'Europe. À commencer par l'idée que les prolétaires de
tous les pays d'Europe et bien au-delà constituent une seule et même classe
ouvrière et que cette classe ouvrière est la seule force capable de renverser
le pouvoir politique de la bourgeoisie et de mettre fin à la mainmise des
groupes capitalistes sur l'économie.
Georges
KALDY