Portugal : recul du gouvernement
Samedi 22 septembre, le gouvernement portugais a renoncé à
augmenter de 7 % l'an prochain les cotisations sociales des salariés et à
diminuer de 5,75 % celles des patrons. Celles des travailleurs devaient passer
de 11 à 18 %, celles des patrons de 23,75 à 18 %, au nom d'une fausse égalité
entre exploités et exploiteurs. Si le plan d'austérité gouvernemental est
adouci, c'est dû à la récession économique qui frappe le pays, mais surtout aux
manifestations de la population.
En mai 2011, la
Troïka, c'est-à-dire l'Union européenne, la Banque centrale européenne
et le Fonds monétaire international, avait accordé 78 milliards de prêts
au gouvernement du socialiste José Socrates. En contrepartie, la classe
politique portugaise s'engageait à imposer davantage d'austérité aux classes
populaires et des « réformes » législatives allant dans le même sens. Le
gouvernement de droite qui lui succédait le mois suivant appliquait à la lettre
cette politique, réduisant les salaires et les conditions de travail de tous
les salariés, du public comme du privé, s'en prenant aux retraités, au système
de santé et à la législation du travail, lançant de nouvelles privatisations.
Cette politique a fait croître de façon catastrophique le
chômage et la misère. Il y a aujourd'hui plus de 15 % de chômeurs. Les prix des
denrées de base se rapprochent des prix français ou allemands. Tous ceux qui
ont de faibles revenus, retraités, chômeurs, salariés pauvres (le smic est en
dessous de 500 euros), ont du mal à se loger et à se nourrir. Cette chute
des revenus populaires s'est traduite par une baisse des achats et par une
accentuation de la récession : au second trimestre 2012, le produit intérieur
brut a reculé de 3,3 %. Du coup, même le patronat se plaint de l'austérité.
Les classes populaires ont dès le début protesté, répondant aux
appels à manifester de la CGTP
le 1er octobre 2011 puis des Indignés le 15 octobre, participant
massivement à la grève générale appelée le 24 novembre par tous les
syndicats, puis le 22 mars dernier par la seule CGTP, sans parler des
nombreuses grèves dans les transports, la santé ou d'autres secteurs.
Les manifestations du samedi 15 septembre ont battu tous
les records de participation. Les manifestations se sont déroulées dans plus de
trente villes et ont rassemblé, selon les organisateurs, un million de
personnes, aux cris de « Stop au terrorisme social », « Bientôt l'État volera
les morts ». Ces manifestations seraient les plus importantes depuis le
1er mai 1974, cinq jours après la chute de la dictature salazariste. Elles
ont été appelées par les réseaux sociaux, auxquels se sont ralliés des groupes
d'extrême gauche et la
CGTP. Elles ont réussi à diviser la coalition au pouvoir : le
Parti populaire, très à droite mais démagogique et sensible à la pression
populaire, a appelé à réviser les mesures d'austérité, sans aller jusqu'à
abandonner les ministères qu'il occupe. La presse économique et d'information
préconisait aussi le recul.
Toutes ces oppositions ont amené le président de la République à convoquer
le Conseil d'État, un organisme consultatif qui comprend les anciens présidents
de la République
et diverses notabilités. Durant toute la réunion, des milliers de manifestants
criaient « Voleurs, voleurs ! » sous les fenêtres du palais présidentiel. Le
Conseil d'État s'est très majoritairement prononcé pour l'annulation des
hausses de cotisations sociales pour les salariés et des baisses pour les
patrons et a appelé le gouvernement à faire « des efforts pour que
l'assainissement des finances publiques et les transformations structurelles de
l'économie améliorent les conditions pour l'emploi, tout en préservant la
cohésion sociale ». Ces notables voudraient l'austérité, mais sans la récession
ni les protestations !
Le Premier ministre Passos Coelho a donc annulé hausses et
baisses de cotisations sociales. Il s'est déclaré disposé à « étudier des
alternatives » et à en discuter avec le patronat et les syndicats. Quoi qu'il
sorte des négociations au sommet, la démonstration a été faite que c'est dans
la rue que se décide l'avenir des classes populaires.
Vincent GELAS