Comme vous le savez, nous n’avons pas pu tenir le Cercle Léon Trotsky qui devait aborder, un siècle après le Congrès de Tours de décembre 1920, la naissance du parti communiste en France. Le texte de cet exposé est néanmoins disponible sur notre site lutte-ouvrière.org. Nous vous le proposons à partir d’aujourd’hui en feuilleton sur notre blog « lo argenteuil »
Le jeune
parti communiste : du combat pour créer un parti révolutionnaire au stalinisme
On vient de fêter le centième anniversaire de la naissance du Parti communiste, lors du congrès de Tours, à la fin décembre 1920. Le Parti communiste d’aujourd’hui n’a plus rien de commun avec ce qu'il fut à l’époque de sa naissance. Même son nom a changé, le Parti communiste, Section française de l’Internationale communiste, étant devenu le Parti communiste français. Pour notre part, nous nous voulons les héritiers des années de jeunesses de ce parti, une période que les actuels dirigeants du PCF préfèrent ignorer ou déformer.
La façon dont Patrick le Hyaric, rédacteur en chef de l’Humanité, a commémoré la naissance de son parti dans son éditorial du 24 décembre 2020 est significative. S’il rappelait que le PC naquit de la condamnation de l’Union sacrée entre la bourgeoisie française et les principaux dirigeants du mouvement ouvrier en août 1914, il affirmait immédiatement que ce parti sut « concilier le drapeau tricolore et le drapeau rouge ». Il insistait sur l’apport de son parti « à l’histoire de France » et « à la République française ». S’il rappelait, légitimement, « les persécutions dont ses militants ont souvent été l’objet » et leur « dévouement sans faille à la défense des intérêts populaires », c’était pour s’enthousiasmer que « des générations d’élus gagnant des responsabilités jusqu’aux ministères […] soient devenus des “cadres” de grande qualité […] au bénéfice de l’ensemble de la nation ». S’il rendait hommage à « l’immense peuple des travailleurs », c’était pour insister sur le rôle de ses parlementaires, l’engagement de ses élus et de ses réseaux militants « au service des plus démunis » plutôt que pour rappeler que seule l’irruption des travailleurs sur la scène politique, leurs révoltes, leurs grèves de masse et leurs mobilisations collectives ont permis de faire progresser la condition ouvrière et les idées d’émancipation. Il n’y a pas de quoi s’en étonner, tant le PCF n’a eu de cesse, depuis des décennies, de canaliser, de désamorcer et d’éteindre les luttes des travailleurs quand elles risquaient de menacer les intérêts des capitalistes.
Patrick le Hyaric évoquait la Commune de Paris et la Grande Révolution française mais ne faisait référence ni à la révolution russe de 1917 ni à la vague révolutionnaire qui ébranla le monde et menaça sérieusement l’ordre capitaliste entre 1917 et 1923. Il citait Marx et la Première internationale mais pas Lénine et l’Internationale communiste. C’est pourtant de cette vague révolutionnaire puis de la fondation de l’Internationale communiste par le parti bolchevik qu’est né le PC, servant de point de ralliement aux hommes et aux femmes qui étaient enthousiasmés par la révolution russe.
Les omissions et les formulations de Le Hyaric sont significatives de ce qu’est devenu le PCF depuis le milieu des années 1930 sous l’emprise du stalinisme. S’appuyant sur son implantation et son immense crédit dans la classe ouvrière et plus largement sur son audience parmi les couches populaires du pays, ses dirigeants ont sauvé l’ordre social en place à chaque fois qu’il était menacé. Ce fut en particulier le cas lors de la grève générale de 1936 et dans les années 1944-1947, quand De Gaulle remit en route l’appareil d’État après la période pétainiste. Ils n’ont eu de cesse de trouver une place au sein des institutions et de l’appareil d’État, jusqu’aux ministères de la bourgeoisie qu’ils occupèrent à trois reprises et dont visiblement ils restent fiers, des décennies plus tard.
Le dévouement bien réel de plusieurs générations de militants communistes a été dévoyé pour permettre cette intégration du PCF dans le jeu politique bourgeois.
Du parti internationaliste qu’il était à sa naissance, le PCF est devenu le champion du « produisons français » et le diffuseur du poison nationaliste parmi les travailleurs. Ce faisant, il a préparé le terreau sur lequel prospèrent les démagogues de l’extrême droite. Bien plus que les « conquêtes sociales » dont Le Hyaric est si fier alors qu'elles sont remises en cause les unes après les autres au fur et à mesure que la crise économique s’aggrave, le bilan d’un siècle d’influence du PCF sur la classe ouvrière est la disparition quasi totale de sa conscience de classe. À la naissance du PCF, une fraction importante de la classe ouvrière avait conscience de faire tourner toute la société et de représenter à ce titre une force collective immense. Des centaines de milliers de travailleurs étaient convaincus que « l’émancipation des travailleurs serait l’œuvre des travailleurs eux-mêmes » et que leur classe pouvait et devait prendre le pouvoir pour diriger la société de façon à satisfaire les besoins de l’humanité. Après des décennies d’électoralisme, d’union de la gauche, après de multiples participations ministérielles, cette conscience a quasiment disparu et doit être presque entièrement réintroduite.
Cette brochure n’est pas une histoire du PCF. Elle relate et étudie le combat des hommes et des femmes qui ont tenté de bâtir un parti réellement communiste, c’est-à-dire révolutionnaire et internationaliste, en France, entre les années 1914 et 1927. Autrement dit, les années situées entre le choc provoqué par le ralliement des chefs socialistes à la guerre impérialiste, les espoirs et l’enthousiasme provoqués par la vague révolutionnaire partie de Russie en 1917, et la mise à l’écart par la bureaucratie stalinienne de tous les dirigeants restés communistes.
Ces militants ont tenté de construire un tel parti au moment même où son existence était vitale pour permettre aux puissantes luttes que menaient les travailleurs d’aller jusqu'à la révolution. Certains étaient des membres de la SFIO restés internationalistes et rejetant l’Union sacrée. D’autres étaient des militants issus du courant syndicaliste révolutionnaire de la CGT, d’autres encore des jeunes, ouvriers ou intellectuels, arrivés aux idées révolutionnaires par la révolte engendrée par la guerre. Ces militants, plus ou moins expérimentés, recherchant et comprenant plus ou moins les conseils et le soutien des dirigeants bolcheviks, se sont heurtés à une multitude de problèmes politiques et organisationnels. Ils ont finalement échoué.
Après avoir écarté les chefs opportunistes de la SFIO restés longtemps dans le nouveau parti, ils ont dû faire face à l’émergence de la bureaucratie à l’intérieur de l’Union soviétique. Cette bureaucratie, incarnée et dirigée par Staline, a pris le contrôle de l’Internationale communiste et des partis qui la composaient. Dix ans après le congrès de Tours, le parti communiste était bien un parti ouvrier, formé de militants courageux et dévoués, mais il n’était pas devenu le parti révolutionnaire qui manquait au prolétariat. Sa direction avait été sélectionnée pour obéir sans broncher aux virages politiques de Staline, justifiés non par les changements dans la situation internationale et les intérêts des travailleurs, mais par la préservation de la bureaucratie.
La plupart des fondateurs du PC, Fernand Loriot, Alfred Rosmer, Boris Souvarine, Pierre Monatte, Marthe Bigot, Amédée Dunois, Lucie Colliard, pour ne citer qu’eux, ont été effacés de la mémoire de ce parti. Beaucoup sont restés des militants révolutionnaires, communistes oppositionnels à l’extérieur du PC. Certains, comme Rosmer, ont contribué à construire en France à partir de 1929, une organisation militant sur la base des positions de Trotsky.
(Demain : Avant le congrès de Tours : des années décisives, La guerre accélératrice et révélatrice)
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