samedi 27 février 2021

À la veille du Congrès de Tours, « les révolutionnaires, divisés et dispersés dans la SFIO et dans la CGT ». Mouvement communiste : « Le jeune parti communiste : du combat pour créer un parti révolutionnaire au stalinisme » (5)

Comme vous le savez, nous n’avons pas pu tenir le Cercle Léon Trotsky qui devait aborder, un siècle après le Congrès de Tours de décembre 1920, la naissance du parti communiste en France. Le texte de cet exposé est néanmoins disponible sur notre site lutte-ouvrière.org. Nous vous le proposons à partir d’aujourd’hui en feuilleton sur notre blog « lo argenteuil »

 

Le jeune parti communiste : du combat pour créer un parti révolutionnaire au stalinisme

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Avant le congrès de Tours: des années décisives……….

Les révolutionnaires, divisés et dispersés
dans la SFIO et dans la CGT

Construire une organisation révolutionnaire, telle était la tâche urgente. Trotsky le formulait ainsi: «Il faut mener une double tâche: construire une organisation pratiquement toute neuve et assumer la direction d’un mouvement de masse en voie de développement rapide[2]».

Pour assumer cette double tâche, il fallait regrouper dans un même parti les militants ayant tiré les leçons de la guerre et de la Révolution russe. Un parti capable de donner une perspective politique claire aux centaines de milliers des jeunes révoltés qui affluaient vers les deux organisations ouvrières, la SFIO et la CGT. Entre 1919 et 1920, la CGT a vu ses effectifs passer de 500000 à1,6 million. La SFIO de son côté était passée de 25000 adhérents en 1918 à plus de 175000 à la fin 1920.

Les militants clairement conscients de cette tâche, partisans de l’adhésion à l’IC, n’étaient pas nombreux. Le CRRI s’était transformé en Comité pour la IIIe internationale, mais il restait séparé en deux sections, l’une socialiste, l’autre syndicale. La plupart de ces militants étaient réticents à accélérer une scission, dans la SFIO comme dans la CGT, pour construire au plus vite un parti communiste centralisé comme les y exhortaient Trotsky et d’autres bolcheviks. Les années 1919 et 1920, entre la fin de la guerre et le congrès de Tours, ont été des années cruciales insuffisamment mises à profit pour avancer dans la construction d’un tel parti. À la direction de la SFIO, seuls Fernand Loriot et Boris Souvarine militaient clairement pour la rupture sans délai avec les politiciens réformistes majoritaires dans la SFIO. Loriot avait le crédit d’un ancien du parti et de ses positions pendant la guerre. Souvarine, plus jeune, avait rallié les positions des bolcheviks qu’il défendit à partir de mars 1920 dans le Bulletin communiste fondé avec l’aide de l’Internationale.

La majorité du parti suivait Jean Longuet, Ludovic-Oscar Frossard, Marcel Cachin. Ces dirigeants n’assumaient plus la politique d’Union sacrée mais étaient aux antipodes des bolcheviks. Longuet était ouvertement hostile à la Révolution russe. Marcel Cachin était allé en Italie en 1915 pour convaincre les socialistes de rallier la guerre. En 1917, il était parti à Moscou militer auprès du gouvernement Kérenski pour que la Russie poursuive la guerre aux côtés de l’impérialisme français. Cachin comme Frossard, étaient poussés par l’afflux de nouveaux adhérents qui regardaient la Révolution russe avec espoir. Ayant mesuré le puissant attrait, pour les exploités, de cette révolution qui avait donné le pouvoir aux ouvriers et aux paysans, ces dirigeants réformistes étaient prêts à adhérer à l’IC pour conserver leur influence, leurs postes de députés, de journalistes du parti. En même temps, ils ne voulaient pas rompre avec l’aile droite du parti incarnée par des gens comme Blum ou Renaudel qui assumaient totalement l’Union sacrée. Alors ils tergiversaient.

À la CGT, toujours dirigée par le réformiste Léon Jouhaux, lié par mille liens à Clemenceau et au gouvernement, Rosmer, Monatte ou Monmousseau, secrétaire de la fédération des cheminots, défendaient les soviets et la dictature du prolétariat dans la Vie ouvrière. Rosmer partit fin 1919 à Moscou pour représenter les communistes français à la direction de l’Internationale communiste. La CGT était partagée entre des syndicats sous l’influence de syndicalistes révolutionnaires ou d’anarchistes regardant avec espoir du côté de la Russie et d’autres, majoritaires, contrôlés par des bureaucrates réformistes. Monatte et ses amis avaient la préoccupation de ne pas se couper des centaines de milliers de travailleurs qui restaient sous l’influence des réformistes. Ils utilisaient leur journal pour défendre, parmi les militants ouvriers syndiqués, les perspectives révolutionnaires.

Mais au fond, les vieilles préventions de Monatte et des syndicalistes révolutionnaires envers les partis politiques n’avaient pas disparu. Monatte affirmait encore en 1922: «Nous sommes des syndicalistes révolutionnaires […] c’est-à-dire que nous attribuons au syndicat le rôle essentiel dans la lutte révolutionnaire pour l’émancipation du prolétariat et que nous donnons au parti un rôle auxiliaire et non un rôle directeur.[3]»

Avant la guerre, les errements parlementaires de la SFIO, les liens de ses députés et journalistes professionnels avec les milieux petits-bourgeois et le désintérêt de beaucoup d'entre eux pour les luttes quotidiennes des travailleurs, expliquaient les préventions des syndicalistes révolutionnaires vis-à-vis du parti socialiste. Mais en 1919 la guerre avait montré que l’opportunisme et la trahison n’avaient épargné ni les syndicalistes révolutionnaires ni les anarchistes. Et si les mœurs des chefs socialistes n’avaient pas changé, la base du parti n’était plus la même. Des milliers de jeunes étaient venus à la SFIO qu’ils identifiaient à la lutte et à la révolution. Cette génération était révoltée mais il lui manquait un programme et une organisation de combat.

Alors que les grèves politiques se multipliaient, que la révolution était possible, il était vital de grouper, partout, dans les usines, dans les quartiers, dans les syndicats, et même dans l’armée, les travailleurs prêts à mener cette lutte jusqu’au bout. Il fallait faire de la politique sur tous les terrains, par tous les moyens. La bourgeoisie dispose de son appareil d’État, son armée, sa police, sa diplomatie, son parlement. Pour la contrer, il faut, comme l’écrivait Trotsky à Monatte «des groupes de prolétaires révolutionnaires cimentés par l’idée, liés par l’organisation […] groupés dans les cellules d’un parti communiste unifié et centralisé[4]» . Monatte et ses amis n’en comprenaient pas l’urgence.

(Demain : Avant le congrès de Tours: des années décisives, 1920 : la grève du chemin de fer et ses conséquences politiques)

2] Trotsky, Le socialisme français à la veille de la révolution, 20 novembre 1919.

[3] P. Monatte, M. Chambelland, Article dans le Bulletin communiste, 9 novembre 1922.

[4] Trotsky, Lettre à un syndicaliste français, 31 juillet 1921.

 

Pierre Monatte

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