La
Conférence démocratique, impossible conciliation
Après la tentative de coup d’État
contre-révolutionnaire du général Kornilov, le troisième gouvernement
provisoire de Kerensky, « fidèle à sa tradition de ne résister à aucun choc
sérieux », s’effondre. Une nouvelle crise gouvernementale s’ouvre, Kerensky
tentant d’incarner le pouvoir à la tête d’un directoire de cinq personnes,
tandis que dans les usines, les casernes et les campagnes le mécontentement et
l’impatience des masses augmentent.
Les forces conciliatrices,
socialistes-révolutionnaires et menchéviks, convoquent alors une Conférence
démocratique, grâce à laquelle elles espèrent montrer leurs poids, tout en
contrant les forces bourgeoises les plus contre-révolutionnaires mais aussi les
aspirations révolutionnaires des masses, portées par les soviets. Cette
conférence se réunit à Pétrograd, du 14 au 22 septembre (27 septembre au 5
octobre selon notre calendrier). Trotsky, membre de la délégation désignée pour
y présenter la plate-forme du Parti bolchevique, en parle en ces termes dans l’Histoire
de la révolution russe.
« Si l’on néglige les nuances, il
est facile d’établir dans la conférence trois groupes : un centre, vaste mais
extrêmement instable, qui n’ose pas prendre le pouvoir, accepte la coalition
mais ne veut point des cadets (le parti bourgeois) ; une aile droite, faible,
qui tient pour Kerensky et la coalition avec la bourgeoisie, sans aucune
limitation ; une aile gauche, deux fois plus forte, qui tient pour le pouvoir
des soviets, ou bien pour un gouvernement socialiste.
À la réunion des délégués
soviétiques de la Conférence démocratique, Trotsky se prononça pour la
transmission du pouvoir aux soviets, Martov (dirigeant menchevik) pour un
ministère socialiste homogène. La première formule réunit 86 suffrages, la
deuxième 97. Formellement, il n’y avait guère que la moitié des soviets
ouvriers et de soldats qui eussent à ce moment-là des bolcheviks à leur tête,
l’autre moitié hésitait entre les bolcheviks et les conciliateurs. Mais les
bolcheviks parlaient au nom des puissants soviets des centres les plus
industriels et les plus instruits du pays ; dans les soviets, ils étaient
infiniment plus forts que dans la conférence et, dans le prolétariat et
l’armée, infiniment plus forts que dans les soviets. Les soviets attardés ne
cessaient pas de chercher à rejoindre les plus avancés. »
Aucune majorité claire ne se
prononça en faveur d’un gouvernement de coalition, d’autant que Kerensky refusait
de participer à un gouvernement uniquement socialiste et réclamait une
coalition comprenant le Parti cadet. Finalement, une motion suffisamment floue,
présentée par le menchevik Tsereteli, laissa les mains libres à Kerensky. Se
séparant, la Conférence démocratique laissait en place un pré-Parlement, censé
représenter la nation jusqu’à la convocation de l’Assemblée constituante.
La direction du Parti bolchevique
se divisa sur l’attitude à adopter, Trotsky défendant le boycott. Lénine, qui
ne put faire parvenir son avis qu’une fois prise la décision de participer,
écrivait le 23 septembre : « Il faut boycotter le pré-Parlement. Il faut se
retirer dans les soviets d’ouvriers, de soldats et de paysans, se retirer dans
les syndicats, se retirer en général dans les masses. Il faut les appeler à la
lutte. Il faut leur donner un mot d’ordre juste et clair : chasser la bande de
Kerensky et son fallacieux pré-Parlement. »
Rédigée par Trotsky, son
président, la résolution du soviet de Petrograd soulignait : « Le nouveau
gouvernement entrera dans l’histoire de la révolution comme un gouvernement de
guerre civile… La nouvelle de la formation d’un nouveau pouvoir rencontrera du
côté de toute la démocratie révolutionnaire une seule réponse : Démission !
S’appuyant sur cette voix unanime de la véritable démocratie, le congrès
panrusse des soviets créera un pouvoir véritablement révolutionnaire ». Trotsky
la commentait ainsi dans son Histoire de la révolution russe : « Les
adversaires avaient envie de ne voir dans cette résolution qu’un vote ordinaire
de défiance. En réalité, c’était un programme d’insurrection. Pour que le
programme fût rempli, il faudrait juste un mois. »
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