Lock-out
patronal et contrôle ouvrier
Tout en s’enrichissant de façon
éhontée avec les commandes de guerre, de plus en plus d’industriels
organisaient le sabotage de la production et la fermeture de leurs usines, pour
affaiblir les travailleurs et la révolution. Kevin Murphy raconte le cas de
l’usine métallurgique Goujon à Moscou.
« Le 20 juin, Goujon informa la
commission usine [de la commission d’arbitrage mise en place par le
gouvernement provisoire] qu’il avait l’intention de fermer l’usine ; il la
sermonna au sujet du conflit sur les salaires et du renvoi de personnel
d’encadrement sous la menace de la violence. Que cette question n’ait pas été
résolue « sape les bases mêmes d’une discipline saine, sans laquelle le
fonctionnement d’une entreprise demeure inconcevable ». (…) Il concluait que
la commission avait abouti à la « désorganisation complète du travail de
l’usine » et, devant de telles circonstances, accusait-il, il était «
nécessaire de fermer l’usine ». Deux jours plus tard, le conseil
d’administration publia une note qui disait : « L’usine se trouve dans un
état de complète désorganisation », et il en appelait au gouvernement pour
trouver une solution à la crise financière. Si le gouvernement ne prend pas des
mesures immédiates, menaçait la direction, « le 1er juillet, l’usine sera
fermée ».
Les travailleurs de l’usine
Goujon n’acceptèrent pas l’imminente fermeture sans se battre. Le 28 juin, le
comité d’usine rapporta au soviet de Moscou que trois de leurs membres
s’étaient opposés à la direction à propos de sa tentative de lock-outer l’usine.
Le directeur avait ordonné de couper l’électricité, mais le comité d’usine
trouva suffisamment de matière première et de combustible et ordonna de son
côté de continuer à produire. Les représentants des travailleurs de l’usine
demandèrent ensuite au soviet d’intervenir pour s’assurer que l’alimentation
électrique ne serait pas coupée.
En fin de compte, la tentative de
Goujon de lock-outer l’usine métallurgique de Moscou eut un effet boomerang.
(…) Le gouvernement provisoire l’a réquisitionnée « à cause
de son importance exceptionnelle pour l’industrie métallurgique de la région de
Moscou ». (…)
Dans un article intitulé La
crise approche, le marasme grandit, publié le 30 juin (13 juillet selon le
calendrier actuel) dans la Pravda, Lénine s’appuie sur le cas de l’usine
Goujon pour dénoncer l’attitude conciliatrice des Socialistes-révolutionnaires
et des mencheviks face au sabotage des capitalistes avec la complicité du
gouvernement provisoire et l’urgence que les travailleurs prennent eux-mêmes le
pouvoir à travers les soviets.
« Force nous est de sonner chaque
jour le tocsin. Toutes sortes de sots nous ont reproché d’être « pressés » de
transmettre tout le pouvoir d’État aux soviets des députés soldats, ouvriers et
paysans, alors qu’il serait « plus modéré et plus convenable » d’« attendre »
avec componction une Assemblée constituante compassée.
Les plus sots de ces petits
bourgeois imbéciles peuvent maintenant constater que la vie
n’attend pas, que ce n’est pas nous qui sommes « pressés », mais la
débâcle économique. (...)
La commission économique du
comité exécutif du soviet de Petrograd a décidé « de
porter à la connaissance du gouvernement provisoire » que « la direction
de l’usine Goujon désorganise manifestement la production et prépare sciemment
l’arrêt de l’entreprise », et, que le pouvoir « doit par conséquent
assumer l’administration de l’usine... et lui fournir des fonds de roulement ».
Ces fonds de roulement, nécessaires d’urgence, se montent à 5 millions de
roubles.
Cette conférence « attire
l’attention du gouvernement provisoire (pauvre et innocent gouvernement
provisoire, d’une candeur enfantine ! Lui qui n’en savait rien ! Il n’y est
pour rien ! ) sur le fait que la conférence des usines de Moscou (...) a
déjà dû s’opposer à la cessation de l’activité de l’usine de construction de
locomotives de Kolomna, ainsi que des usines de Sormovo et de Briansk ».
(...)
Où et comment trouvera-t-on
l’argent ? N’est-il pas évident que, s’il est facile d’« exiger » 5 millions
d’un coup pour une usine, on doit tout de même comprendre qu’il en faudra bien
davantage pour l’ensemble des usines ?
N’est-il pas évident que, si la
mesure que nous exigeons et préconisons depuis le début d’avril n’est
pas prise, si la fusion de toutes les banques en une seule banque contrôlée
n’est pas décidée, si le secret commercial n’est pas aboli, on ne trouvera
pas d’argent ?
Les Goujon et autres capitalistes
s’acheminent sciemment vers la cessation de l’activité des entreprises. Le
gouvernement est de leur côté. Les Tsérétéli et les Tchernov [chefs
mencheviks et SR] ne sont que des figurants ou des pions sur l’échiquier.
N’est-il pas enfin temps de comprendre, Messieurs, que le peuple rendra les
partis SR et menchevique responsables, en tant que partis, de la
catastrophe ? »
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