Haïti :
émeutes de la faim
Vendredi 6 juillet après-midi,
suite à la décision du gouvernement d’augmenter les prix des produits
pétroliers, les habitants des quartiers ont envahi les rues de Port-au-Prince
et de certaines villes de province.
Le gouvernement de Jovenel Moïse
préparait cette augmentation des prix du carburant depuis plusieurs mois et
avait déjà avancé ses raisons : une prétendue lutte contre la contrebande
d’essence avec Saint-Domingue du fait d’un prix plus bas en Haïti et la baisse
des subventions sur le prix du carburant que le FMI accorde au gouvernement
haïtien. De toute façon, l’Association des industriels haïtiens (ADIH) avait
déjà accordé son soutien et pressait le gouvernement de mettre en application
ces augmentations.
En les annonçant au moment du
match Brésil contre Belgique, Jovenel Moïse pensait noyer ces augmentations
dans l’euphorie du football. La tactique n’a pas marché et la colère de la
population a explosé ce vendredi 6 juillet. Cette augmentation des prix pour
une population qui crie famine était celle de trop.
Ce fut une explosion, d’autant
que les gérants de stations-service de la capitale ont cessé toute livraison de
produits pétroliers, en attendant, disaient-ils, le recalibrage des machines,
mais en réalité pour pouvoir vendre sur la base des nouveaux prix. Les
manifestants en colère ont saccagé ces stations.
Des groupes venus des quartiers
populaires ont bloqué les rues avec des pneus enflammés et tout objet pouvant
servir à faire des barricades, la ville de Port-au-Prince a été bloquée. Partie
de la capitale, cette explosion a embrasé les villes de province : dans le nord
au Cap, dans le plateau central à Hinche ou dans le sud aux Cayes.
Les syndicats des chauffeurs de
transport en commun avaient annoncé un mouvement pour s’opposer à
l’augmentation des prix, mais ils ont été soutenus, dépassés par les jeunes des
quartiers soutenus par la population en colère.
En effet le gouvernement a
augmenté de 30 % l’essence, de 47 % le diesel et de plus de 51 % le prix du
pétrole lampant. Appelé « gaz blanc », c’est lui qui est utilisé pour les
lampes à pétrole. Il n’y a pas d’électricité et, si les riches peuvent se payer
des génératrices, dans les quartiers pauvres il n’y a que ces lampes. Avec
cette augmentation, le prix d’un gallon (4,5 litres) de pétrole est équivalent
à celui d’une journée de travail dans une entreprise du textile.
Avec l’augmentation des prix des
denrées de première nécessité, la population pauvre, les travailleurs sont pris
à la gorge et même ceux qui ont un travail ne peuvent joindre les deux bouts.
Parmi les slogans des manifestants il y avait : « Jovenel augmente l’essence
et pas nos salaires ! », « À bas la bourgeoisie ! »
D’ailleurs, à Port-au-Prince les
manifestants ont pris d’abord pour cibles des sites représentant les nantis :
des banques, des hôtels de prestige ont été attaqués. Les véhicules ont été
incendiés dans les parkings. Les supermarchés ont été pris d’assaut et
dévalisés pour récupérer les denrées nécessaires.
La police a peu réagi, faute de
moyens, ont dit certains chefs. Mais d’autres policiers de base ont été des
soutiens passifs par leur absence de réaction. L’augmentation du coût de la vie
touche aussi leur famille.
Alors que le ministre de
l’Industrie avait annoncé la hausse des prix le vendredi, devant l’ampleur de
la réaction de la population pauvre, le Premier ministre a été contraint
d’annoncer samedi matin que la mesure d’augmentation des tarifs était suspendue
jusqu’à nouvel ordre. Cela n’a pas arrêté la colère des habitants mobilisés,
qui ont continué à ériger des barricades et à maintenir le blocage de la
capitale et des communes environnantes comme Pétionville. Les slogans ont appelé
à la démission de Jovenel Moïse et à l’augmentation du salaire minimum
journalier.
Dimanche matin, Jovenel Moïse est
venu pleurnicher sur les ondes, s’étonnant que la population ne veuille plus de
lui malgré tout ce qu’il a fait pour elle. Mais les pauvres, les travailleurs,
les marchandes de rue ne sont pas dupes : Jovenel Moïse a beaucoup donné aux
riches, aux banquiers, aux patrons du tourisme, aux grands propriétaires
terriens, aux patrons d’entreprises et aux grandes familles bourgeoises qui
dirigent le pays. Rien n’a été donné aux pauvres ou aux travailleurs.
Les partis politiques opposés à
Jovenel courent après le mouvement, proposant des réunions, des mots d’ordre.
Ils cherchent à reprendre en main le mouvement pour l’utiliser dans leurs
intérêts de politiciens. Pour le moment les émeutiers s’en passent ; espérons
qu’ils trouveront les ressources pour garder le contrôle de leur mouvement,
pour défendre leurs propres intérêts, celui de la population pauvre et des
travailleurs.