Nelson Mandela : l'homme de la lutte contre
l'apartheid... et l'instrument de la transition pour la bourgeoisie
sud-africaine
Nelson Mandela, ancien dirigeant de l'ANC, l'African National
Congress, le parti nationaliste noir d'Afrique du Sud et premier président noir
du pays entre 1994 et 1999, gravement malade, pourrait ne pas atteindre son 95e anniversaire.
Pour beaucoup, il reste le symbole de la lutte contre le régime d'apartheid
qui, pendant plus de quarante ans, a été imposé, par la bourgeoisie blanche, à
la majorité noire de la population d'Afrique du Sud.
Mis en place en 1948, après la victoire
électorale du Parti national, regroupant exclusivement des Afrikaaners,
l'apartheid exprimait, par la ségrégation et la violence, la détermination de
la minorité blanche qui concentrait déjà toutes les richesses économiques du
pays à tenir à distance la majorité noire, c'est-à-dire les pauvres et les
prolétaires.
Pendant quarante ans, parqués dans
les bantoustans – les réserves – et les townships, – ghettos à la périphérie
des grandes villes –, les Noirs et les métis devaient être munis d'un
laisser-passer pour aller travailler en zone blanche. L'oppression, le mépris,
la matraque, la prison et la torture furent, des années durant, érigées en
méthode de gouvernement. La révolte contre cette insupportable discrimination
légale à grande échelle ne cessa pas de se manifester. La jeunesse scolarisée
affronta le pouvoir, en 1976, à Soweto. Puis ce furent les luttes massives de
1984 à 1986, dont la grève des mineurs, qui inquiétèrent le pouvoir au point de
le pousser à chercher, parallèlement à la répression féroce qu'il exerçait
contre les opposants à l'apartheid, une solution négociée. Ils voulaient éviter
que les révoltes, les grèves, se transforment en un mouvement de fond de la
population – et surtout de la classe ouvrière – mettant en danger la domination
de la bourgeoisie et les immenses profits qu'elle et ses alliés impérialistes
tiraient de l'exploitation des travailleurs.
Cette solution négociée, c'est l'ANC et
ses dirigeants, dont Nelson Mandela, qui en furent les acteurs aux côtés du
parti nationaliste blanc au pouvoir. Longtemps fer de lance de la lutte
anti-apartheid, le parti nationaliste noir orienta la révolte et les luttes
ouvrières vers un « apaisement » qui tenait des millions de
travailleurs à distance du pouvoir. De loi raciste abrogée en légalisation des
partis politiques, le gouvernement remisa la ségrégation officielle et organisa
dès mars 1990 des négociations ouvertes avec l'ANC. L'apartheid fut aboli dans les
textes en juin 1991.
En fait, tout en prenant en compte la
colère de la population noire, la bourgeoisie sud-africaine préservait ainsi sa
domination. Un référendum organisé l'année suivante parmi la population blanche
montra que celle-ci approuvait à 69 % les décisions du président blanc de
Klerk. Signe de reconnaissance de la bourgeoisie mondiale, Nelson Mandela fut
couronné du prix Nobel de la paix, en même temps que le président de Klerk. Des
élections, en avril 1994, le portèrent à la présidence. L'ANC organisa alors le
gouvernement, en commun avec le Parti national et le parti nationaliste zoulou.
La misère, elle, n'avait pas disparu.
Mais, dans le pays le plus riche d'Afrique, il y avait la place pour qu'une
petite bourgeoisie et une bourgeoisie noires se développent. Loin d'être des
révolutionnaires, Mandela et les autres dirigeants de l'ANC collaborèrent à la
direction de l'État bourgeois et permettaient aux couches dirigeantes de la
population noire d'occuper des postes et de s'enrichir. Mais il n'en était pas
de même de la population pauvre, en grande majorité noire, qui continua à subir
sinon l'apartheid légal, du moins l'apartheid social. Et cet État avait
toujours les mêmes ennemis, les travailleurs qui relèvent la tête.
Dernièrement en août 2012, lors de la
grève dans les mines de platine Lonmin à Marikana, trente-quatre grévistes ont
été tués par des policiers noirs, défendant les profits des capitalistes. Ce
sont ensuite des ministres noirs, membres de l'ANC, qui ont défendu l'action de
la police et condamné celle des mineurs. Ainsi malheureusement la politique de
Mandela et de l'ANC, si elle a conduit à la fin de l'apartheid, a maintenu une
exploitation tout aussi féroce, tout au plus ayant changé de couleur.
Viviane LAFONT