La
révolution ou la guerre !
En juin 1917, l’offensive
militaire lancée par le gouvernement Kerensky provoqua de multiples discussions
sur la paix et la politique extérieure de la révolution. Sur cette question,
Lénine voulait s’adresser aux exploités de tous les pays, qu’ils soient
occidentaux ou qu’ils appartiennent aux nationalités opprimées par le tsarisme,
pour en faire des alliés des ouvriers et des paysans russes. Il l’exprima dans
plusieurs articles de la Pravda.
Le 7 juin (20 juin selon le
calendrier actuel), Lénine demandait ainsi dans un article : « Y a-t-il un
chemin vers une paix équitable ? » et répondait : « Oui. Par la
révolution ouvrière contre les capitalistes de tous les pays. (...) Ce n’est
qu’après le passage du pouvoir aux classes opprimées que la Russie pourrait
s’adresser aux classes opprimées des autres pays, non plus avec des mots creux
et des appels abstraits, mais en invoquant son propre exemple et en proposant
sur l’heure, en termes précis, les conditions bien claires d’une paix générale.
Cette proposition de paix
immédiate porterait : “Camarades ouvriers et travailleurs de tous les pays !
Assez de sang. La paix est possible. Une paix équitable est une paix sans
annexions, sans conquêtes. Que les forbans capitalistes allemands et leur
bandit couronné Guillaume sachent que nous ne traiterons pas avec eux et que
nous considérons comme conquêtes non seulement ce qu’ils ont pillé depuis la
guerre, mais aussi l’Alsace et la Lorraine, et aussi les territoires danois et
polonais de la Prusse.
Nous considérons comme conquêtes
des tsars et des capitalistes russes la Pologne, la Finlande, l’Ukraine et les
autres pays non grands-russes.
Nous considérons comme conquêtes
des capitalistes anglais, français et autres toutes leurs colonies, l’Irlande,
etc.
Nous, ouvriers et paysans russes,
nous ne garderons par la force aucun des territoires non grands-russes, aucune
des colonies russes (tels le Turkestan, la Mongolie, la Perse). À bas la guerre
pour le partage des colonies, pour le partage des annexions, pour le partage du
butin des capitalistes !”
L’exemple des ouvriers russes
sera inévitablement suivi, peut-être pas dès demain (les révolutions ne se font
pas sur commande), mais inévitablement, par les ouvriers et les travailleurs de
deux grands pays au moins : l’Allemagne et la France.
Car ces deux pays succombent, le
premier à la famine, le second aux pertes en vies humaines. Tous deux
concluront la paix à nos justes conditions, à l’encontre de leurs gouvernements
capitalistes.
Le chemin de la paix s’ouvre
devant nous.
Si les capitalistes anglais,
japonais, américains, tentaient de s’opposer à cette paix, les classes
opprimées de la Russie et des autres pays ne reculeraient pas devant une guerre
révolutionnaire contre les capitalistes. »
Le 15 juin (28 juin), après
l’adoption d’un « acte universel » par des délégués des régiments ukrainiens, Lénine
écrit : « Cet acte réclame l’autonomie, sans nier le moins du monde la
nécessité et l’autorité supérieure d’un “Parlement de toute la Russie”. Pas un
démocrate, pour ne rien dire d’un socialiste, (…) ne peut nier le droit de
l’Ukraine à se séparer librement de la Russie : c’est précisément la
reconnaissance sans réserve de ce droit, et elle seule, qui permet de mener
campagne en faveur de la libre union des Ukrainiens et des Grands-Russes, de
l’union volontaire des deux peuples en un seul État. Seule la reconnaissance
sans réserve de ce droit peut rompre effectivement, à jamais et complètement,
avec le maudit passé tsariste qui a tout fait pour rendre étrangers les uns aux
autres des peuples si proches par leur langue, leur territoire, leur caractère et
leur histoire. Le tsarisme maudit faisait des Grands-Russes les bourreaux du
peuple ukrainien, entretenant chez ce dernier la haine de ceux qui allaient
jusqu’à empêcher les enfants ukrainiens de parler leur langue maternelle et de
faire leurs études dans cette langue.
La démocratie révolutionnaire de
la Russie doit (…) rompre avec ce passé, reconquérir pour elle-même et pour les
ouvriers et les paysans de Russie la confiance fraternelle des ouvriers et des
paysans d’Ukraine. On ne peut pas y arriver sans reconnaître dans leur
intégrité les droits de l’Ukraine, y compris le droit de libre séparation.
Nous ne sommes pas partisans des
petits États. Nous sommes pour l’union la plus étroite des ouvriers de tous les
pays contre les capitalistes, les “leurs” et ceux de tous les pays en général.
C’est justement pour que cette union soit une union librement consentie que
l’ouvrier russe, ne se fiant pas une minute, en rien, ni à la bourgeoisie
russe, ni à la bourgeoisie ukrainienne, est actuellement partisan du droit de
séparation des Ukrainiens, ne voulant pas imposer à ceux-ci son amitié, mais
gagner la leur en les traitant comme des égaux, comme des alliés, comme des
frères dans la lutte pour le socialisme. »