Il y a
cent ans, 31 juillet 1914 : Jaurès assassiné
Au soir
du 31 juillet 1914, un activiste nationaliste assassinait Jean Jaurès,
dirigeant du Parti socialiste (Section française de l'Internationale ouvrière).
L'assassin
avait peut-être agi de sa propre initiative, mais son geste concluait des
années de propagande nationaliste, de préparation politique et morale, en
faveur de la colonisation, de la « grandeur de la France » et pour la
revanche contre l'Allemagne, bref, en faveur de la guerre. Cette campagne de
l'extrême droite, reprise progressivement par tous les partis politiques
bourgeois, exprimait de plus en plus clairement et de façon de plus en plus
virulente, le fait que la France se préparait à la guerre afin de garder et
même d'étendre son empire colonial. Les nationalistes dénonçaient un ennemi
extérieur, l'Allemagne, ainsi qu'un ennemi intérieur, le mouvement ouvrier, et
en particulier l'un de ses dirigeants les plus populaires, Jean Jaurès.
Jaurès
était un intellectuel républicain venu au socialisme par conviction que la
classe ouvrière était la seule force sociale capable, en changeant la société,
en instaurant la propriété collective des moyens de production, de réaliser les
idéaux de la Révolution française, de la république démocratique. Une fois
cette certitude acquise, que jamais il ne remit en cause, il consacra sa vie,
ses forces, son talent, à aider le prolétariat à devenir cette force organisée
et consciente qui devait changer le monde et en finir avec le capitalisme.
À cette
époque, entre 1890 et 1914, la classe ouvrière européenne se développait en
nombre, en concentration, en organisation. Les organisations ouvrières,
politiques et syndicales, grandissaient, faisaient élire des dizaines de
députés, conquéraient des mairies. La classe ouvrière se battait et parvenait à
améliorer ses conditions de travail et de vie inhumaines. Les militants
socialistes, et Jaurès n'était pas le dernier, allaient dans les cortèges de
travailleurs en grève, affrontaient avec eux la répression, connaissaient les
procès et parfois la prison, portaient la parole du prolétariat jusqu'au
Parlement. Les objectifs des grévistes se formulaient en projets de loi que les
députés socialistes, parmi lesquels Jaurès, défendaient à l'Assemblée
nationale.
Jaurès
parcourait le pays, de meeting en conférence, rencontrant les militants,
galvanisant les énergies, gagnant ses auditeurs au socialisme, à l'organisation
ouvrière, à l'avenir collectiviste. Les souvenirs abondent de ceux qui, des
années, voire des dizaines d'années après un discours de Jaurès, racontent
comment leur vie en fut changée.
Dans la
vaste organisation qu'était l'Internationale ouvrière, les débats sur la
tactique étaient permanents. Jaurès appartenait à l'aile réformiste et était
capable de proposer des positions de compromis que Lénine ou Rosa Luxemburg
dénonçaient comme autant de compromissions. Jaurès estimait par exemple qu'un
socialiste peut, dans certains cas, devenir ministre d'un gouvernement
bourgeois. Ce à quoi Rosa Luxemburg rétorquait qu'il ne s'agit pas alors «
d'une conquête partielle de l'État bourgeois par les socialistes, mais d'une
conquête partielle du parti socialiste par l'État bourgeois ». Jaurès
croyait convaincre les gouvernements bourgeois, par la force de son verbe,
voire par des manœuvres parlementaires. Les faits ont démenti ses espérances.
Mais en dépit de ces illusions, Jaurès restait sur le terrain de la révolution
sociale.
Les
dernières années de sa vie furent occupées à combattre la guerre qui venait. Si
l'assassin de Jaurès n'était pas parvenu à lui ôter la vie, celui-ci aurait-il,
seul de tous les dirigeants socialistes français, résisté à la pression
belliciste et refusé de tomber dans « l'union sacrée » avec la
bourgeoisie ? Trotsky, qui le tenait pour « le prototype de l'homme
supérieur qui doit naître des souffrances et des chutes, des espoirs et de la
lutte » ne le pensait pas. Mais il ajoutait qu'il « ne se serait jamais
résigné à l'abaissement qu'a subi le parti socialiste français... et nous avons
le droit de croire qu'au moment de la révolution le grand tribun eût déterminé,
choisi sans erreur sa place et lutté jusqu'au bout ».
Jaurès
assassiné, sa mémoire et son idéal furent immédiatement trahis par ses
successeurs qui trouvèrent, en trafiquant ses discours ou en mentant tout
simplement, des écrits de Jaurès pour justifier leur participation aux
ministères de guerre et appeler les travailleurs français à aller éventrer
leurs frères de classe allemands.
En
1924, Jaurès fut travesti par les représentants de l'ordre bourgeois en « héros
national ». En transférant ses cendres au Panthéon, les politiciens, les
historiens, les journalistes ont tout fait pour effacer le caractère de classe
de ses choix. Les dirigeants staliniens ont continué le travail, galvaudant à
leur tour la mémoire de Jaurès en même temps qu'ils trahissaient son
internationalisme, la lutte de classe, sa foi dans la mission de la classe
ouvrière.
Et
récemment, un Sarkozy et même un Le Pen tentèrent de se l'annexer en en faisant
un des hérauts du nationalisme en France. Quant au Parti socialiste actuel, lié
si intimement à la classe dominante, il ne sait même pas qu'il fête le premier
siècle de la trahison de ce qu'il fut à l'origine, et de l'homme dont la vie
fut un combat pour l'émancipation sociale.
Mesurer
François Hollande à Jean Jaurès ? C'est ridicule et même indécent.
Hollande est corps et âme un larbin de la bourgeoisie. Jaurès fut, au risque de
sa vie, un véritable combattant pour le socialisme.
Paul
GALOIS