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vendredi 18 mai 2018

Mai-Juin 1968 – Souvenirs de militants ouvriers, un livre édité par Lutte ouvrière





Mai-Juin 1968 – Souvenirs de militants ouvriers, un livre édité par Lutte ouvrière

                                                                 

Mai-Juin 1968 a été la plus vaste grève générale que le pays ait connue. Les jeunes travailleurs de toute une génération se sont politisés. Ils découvraient la force extraordinaire de leur classe. Le drapeau rouge et L’Internationale tenaient le haut du pavé, et une partie de ces jeunes se tournaient vers les idées révolutionnaires. 

Acteurs de cette explosion sociale, plusieurs dizaines d’entre eux, militants du groupe trotskyste Voix ouvrière, ancêtre de Lutte ouvrière, témoignent ici. D’Arlette Laguiller, employée au Crédit Lyonnais, à Paul Palacio, ouvrier à Renault-Billancourt ; de Georges Kvartskhava, ouvrier à Peugeot Sochaux, à Danielle Riché, aide-chimiste à Rhône-Poulenc ; d’Antonio Vasconcelos, électricien sur le chantier de Jussieu à Paris, à Anne-Marie Laflorentie, ouvrière dans une scierie du Tarn-et-Garonne, ces militants ouvriers racontent leur grève de mai-juin 1968. Contre les patrons, contre le pouvoir gaulliste, et souvent malgré les appareils de la CGT et du PCF.

Elles et ils avaient alors 18, 20 ou 30 ans. Mai-Juin 1968 a contribué à forger leurs convictions communistes et révolutionnaires. Cinquante ans après, toutes et tous les ont gardées intactes.

Édité par Lutte ouvrière, cet ouvrage comprend, outre les témoignages, un avant-propos, une analyse datant d’août 1968, une chronologie et plusieurs dizaines d’illustrations, photographies ou affiches de Mai-Juin 1968.


Informations pratiques

Ce livre paraîtra le 19 mai et sera en vente à la Fête de Lutte ouvrière.

Il sera ensuite disponible pour l'achat en ligne et auprès de nos camarades.

Le livre papier est en vente au prix de 18 euros.

Une version électronique sera également vendue en ligne au prix de 9 euros.

544 pages

jeudi 17 mai 2018

Mai 68 : modeste itinéraire d’un jeune de 16 ans (Suite, 4)


Les militants occupent la vieille université de monsieur de Sorbon





Dès le début des évènements, le centre névralgique des évènements est pour tous le quartier latin, le boulevard Saint-Michel, mais surtout la Sorbonne et les facultés de la Halle aux vins et de Censier. Mes itinéraires passeront pendant plusieurs jours par ces lieux.
         La Sorbonne fut fermée le vendredi 3 mai. Le samedi 4 ou le suivant, je vais au quartier latin humer l’air. Il est lourd, très pesant, les gardes mobiles sont très présents.
         Le 13 mai, jour de la grande manifestation parisienne, la Sorbonne est rouverte. Je m’y rendrai de nombreuses fois durant les deux semaines qui suivent, regardant les stands qui s’y alignent dans la cour, longeant les coursives, et découvrant le hall somptueux du rectorat de Paris. J’y dormirai une nuit, sur un coin de pupitre, après avoir participer à un débat interminable.
         Mais la Sorbonne, c’est aussi le centre de l’activité des groupes gauchistes qui vont y occuper des locaux durant plusieurs semaines, Voix ouvrière compris. Plusieurs soirs, je participe à la réunion de bilan de la journée qui, autour des dirigeants de cette organisation rassemble de mémoire 150 à 200 personnes. Il s’agit de faire le point sur les évènements de la journée, de rassembler les informations sur l’état d’esprit des grévistes et des acteurs du mouvement, et de définir les orientations pour la journée ou les jours à venir…
         Ce sera mon premier contact militant avec l’organisation. Un autre aurait pu être le cercle Léon Trotski prévu pour ce mois-là au Palais de la Mutualité, mais qui sera finalement interdit je crois. Il faudra attendre l’année suivante pour que je participe à mon premier meeting de Lutte ouvrière.
(A suivre. L’apprenti militant tente d’appliquer l’orientation politique du moment)

Mai 2018 : agenda militant (suite)


Vendredi 18 mai
à 08h15
France Bleu Île-de-France :  Nathalie Arthaud est l'invitée politique

  

La fête de Lutte ouvrière à Presles, les 19, 20, et 21 mai 2018
Suite du programme
Le site de la fête :

mardi 15 mai 2018

Mai 1968, modeste itinéraire d’un jeune de 16 ans (Suite, 4)


Mon père, un homme discret, mais des parents chouettes

 
Mais nous disions : "pas d'accord"

Le 14 mai 1968, ou plutôt le 15 mai 1968, en soirée, les parents arrivent les uns à la suite des autres récupérer leur progéniture. Ni barricade, ni manifestation collective, la quasi-totalité des élèves s’inclinent et se retrouvent, quoi qu’ils en pensent, illico embarqués dans les autos de leurs parents.
         Mon père comme les autres est venu. Mais je n’ai pas l’intention d’accepter le diktat de l’administration, et n’a-t-on pas décidé collectivement d’occuper l’école jusqu’à ce que fin du mouvement s’ensuive ! Je veux rester donc, et en restant modeste, un peu à la manière de Mirabeau qui n’acceptant pas l’ordre du roi de quitter la salle des Etats-généraux déclara le 23 juin 1789 : "Allez dire au roi que nous sommes ici par la volonté du peuple et que nous n'en sortirons que par la force des baïonnettes". C’est vrai, nous sommes également à Versailles, et mon père et moi-même ne sont ni le roi ni Mirabeau. Lui n’a surtout pas l’intention d’utiliser la force.
         Et puis avoir un idéal, même naissant, mon père sait ce que c’est. Il est responsable d’une section syndicale à l’Imprimerie nationale. Il est proche du PSU, de son aile « cathos de gauche », et s’est opposé en son temps à la guerre coloniale d’Algérie.
         Soit. Il accepte, avec ma maman, que je ne parte pas. Il me demande d’être prudent. De donner des nouvelles régulièrement, ce que physiquement je ferai en particulier grâce à mon solex de ces années-là qui me permettra plusieurs fois de faire la route Versailles-Argenteuil. Et puis, bien sûr, il me donne des sous…
         Ce soir-là, nous restons à quelques-uns à « occuper » l’école et son grand parc. Il y a quelques provinciaux contraints de rester puisque les transports sont en grève. Mais ceux qui nous ont abandonnés nous ont tout de même laissé leurs provisions de bouche dorénavant inutiles. Donc, nous ne mourrons pas de faim, et comme on dit, on a 16 ans et la vie est belle…

               (A suivre. Une direction… la Sorbonne…)

Argenteuil-Bezons, Mai 68, « quelques leçons »


Quand la grève générale ouvrait bien des possibilités


Ce soir mardi 15 mai
 Les militants de Lutte ouvrière de Bezons et Argenteuil organisent une
Réunion de Lutte ouvrière
Ce soir à 19 heures
« Quelques leçons de Mai 68 »
Salle des Pierrats
Résidence des Pierrats
Rue Maurice Berteaux
(Près du Théâtre Paul Eluard)



dimanche 13 mai 2018

13 mai 1968, 13 mai 2018, il y a cinquante ans jour pour jour, ma première manifestation


Première manifestation, le 13 Mai 1968, excusez-moi du peu !



Le 13 mai, il y a l’appel à la grève nationale et à la manifestation parisienne sur le thème « Dix ans avec De Gaulle, ça suffit ». L’ensemble des enseignants de l’EN et des élèves sont en grève. Je crois me souvenir être allé seul à la grande manifestation convoquée à gare de L’Est. Je resterai entre celle-ci et République la fin de la matinée et une bonne partie de l’après-midi, dans une ambiance surchauffée et pas seulement par le soleil de mai. Pour ma première manifestation, je suis servi, quelle manifestation ! Des banderoles neuves fabriquées pour l’occasion, des slogans, de la fraternité, de la combativité…
         Grosso modo, je ne manifesterai pas. Le cortège ne bouge pas. Il s’étirera jusqu’à Denfert-Rochereau. Je le quitte vers 17 heures, c’est l’heure de rentrer à Versailles-Montreuil. La soupe n’attend pas pour l’adolescent que je suis. Mais dans la rame de métro qui m’entraîne, je me souviens des grands signes fraternels échangés avec la rame d’en face. Cette manifestation ne sera pas sans lendemain. Mais en tout cas, elle reste, aujourd’hui encore, comme un point de repère, celle d’un rassemblement jusqu’à ce jour sans nul autre pareil.
           (A suivre. 14 mai 1968, en grève...)


samedi 12 mai 2018

Mai 1968. Avoir 16 ans en 1968. Petit parcours personnel (1)


Un espace de politisation, une période qui y aidait

 
Ecole normale de versailles 1967 : joli parc, esprit de caserne

J’entre à l’école normale d’instituteurs de Versailles en septembre 1967. J'ai 15 ans, j'en aurai 16 à la fin avril 1968. Mais depuis un certain temps, je me dis que le monde ne tourne pas rond, et qu'il faut changer la société.
       Des militants de l’OCI de Lambert sont très actifs depuis plusieurs années dans cette école, toute comme une enseignante du groupe trotskyste Voix ouvrière, le nom d’alors de leur journal (qui deviendra Lutte ouvrière en juin 1968). Ma classe de seconde est très politisée, au moins pour la moitié d’entre elle. L’un d’entre nous est à la JC, un autre est marqué par l’activité de son père, ancien cadre du FLN algérien. Pour ma part, j’ai été l’année précédente à la JOC sur Argenteuil, tout en ayant dès ce moment rompu avec la religion. Dès cette époque, j’ai le sentiment d’appartenir à une classe, la classe ouvrière. Je suis porté vers l’internationalisme. Je me dirige rapidement vers les idées trotskystes, et vers les idées de Voix ouvrière.
         Dès le début des évènements, fin avril, début mai 1968, le besoin d’information nous gagne, et comme ailleurs, les récréations, les soirées (nous sommes internes) sont l’occasion de vite écouter sur les transistors les informations sur ce qui se passe chez les étudiants. D. MARIETTE
         (A suivre. Une première manifestation… de choix !)

vendredi 11 mai 2018

Mai 68, du 13 mai à la grève générale. Un article de Lutte ouvrière




Du 13 mai à la grève générale

La révolte étudiante du début mai 1968 mit à bas le mythe de l’État gaulliste fort et prétendument intouchable. Le PCF et la CGT avaient martelé cette légende depuis dix ans. C’est la jeunesse étudiante qui, les pavés à la main, montrait comment faire vaciller le régime. La leçon allait être entendue.
Les dirigeants du PCF, soucieux de montrer qu’ils pouvaient être un parti de gouvernement, tenaient à se montrer capables d’assurer la paix sociale grâce au contrôle qu’ils exerçaient sur la classe ouvrière. Le PCF et de la CGT firent tout pour faire barrage à la sympathie qui se manifestait envers cette jeunesse en révolte. Mais, dans les usines ou chez soi, on suivait le mouvement avec passion sur les radios RTL et Europe n° 1.
À Paris comme en province, on voyait de plus en plus de jeunes travailleurs rallier les manifestations étudiantes, enthousiasmés qu’ils étaient par leur courage et leur détermination. Et c’est eux d’ailleurs qui, quelque temps plus tard, firent pénétrer le mouvement dans les usines.
La journée qui fit tout basculer fut celle du vendredi 10 mai à Paris, avec son déferlement de violence policière. Tout le pays avait suivi pendant la nuit les événements. L’indignation contre le pouvoir était générale. En une semaine, le climat politique et social, l’état d’esprit de millions de gens étaient bouleversés du tout au tout. On parlait politique dans la rue, les bistrots, partout.

Le 13 mai et la grève générale

Les confédérations syndicales se sentirent obligées de proposer immédiatement une rencontre aux leaders du mouvement étudiant et appelèrent en commun pour le lundi 13 mai à une journée de grève générale et de manifestations dans tout le pays. L’immense majorité des travailleurs apprit la nouvelle par la radio pendant le week-end et, sans aucune préparation, la grève fut totale. À Paris, des centaines de milliers de manifestants remplirent les rues de la gare de l’Est à Denfert-Rochereau. Des millions de travailleurs défilèrent dans le pays. C’étaient avant tout des manifestations politiques contre le pouvoir gaulliste. Les slogans repris étaient : « À bas l’État policier », « 58-68 : dix ans ça suffit » et surtout « Ce n’est qu’un début, continuons le combat ».
Le succès de cette grève générale et l’ampleur des manifestations galvanisèrent des millions de travailleurs et, loin de les calmer, leur donnèrent l’envie d’en découdre avec le pouvoir. Ce sont les jeunes ouvriers, présents dans les multitudes d’usines, qui démarrèrent la grève.
Dès le lendemain du 13 mai, ceux de l’usine Sud-Aviation, dans la banlieue de Nantes, refusèrent de reprendre le travail et entraînèrent toute l’usine dans la grève avec occupation, séquestrant le directeur pour quinze jours. Cette nouvelle servit d’exemple à des milliers d’autres jeunes ouvriers qui souvent, à quelques dizaines, se répandirent dans les ateliers pour entraîner leurs camarades dans la grève. C’est ainsi que la grève démarra spontanément, sans mot d’ordre ni programme, dans toute une série d’usines, dont les usines Renault de Cléon, Le Mans, Flins, et enfin le jeudi 16 mai, à Billancourt qui comptait des dizaines de milliers de travailleurs.

La CGT généralise la grève pour mieux la contrôler

Le mouvement paraissait irrésistible et promis à gagner une grande partie de la classe ouvrière. Conscients du danger, les dirigeants du PCF et de la CGT changèrent de tactique. Il ne fut plus question de s’opposer au mouvement, comme ils l’avaient fait chez les étudiants. Ils craignaient, s’ils s’obstinaient dans ce sens, de se couper radicalement d’une partie des travailleurs, comme cela s’était passé chez les étudiants. Dès le vendredi 17 mai, les responsables reçurent la consigne de se porter partout à la tête des grèves et de faire cadenasser les usines pour les protéger, non d’une quelconque agression, mais de la contamination des idées propagées par les étudiants. Pendant le week-end, la consigne fut : prendre l’initiative de mettre les entreprises en grève en demandant aux travailleurs de rentrer chez eux, afin de laisser aux petites équipes syndicales le soin d’occuper et surtout de tout décider.
De toute façon, les directions syndicales n’eurent pas trop de mal à prendre ou à reprendre le contrôle des grèves. Les jeunes ouvriers, même dans les usines où ils avaient pris l’initiative de lancer la grève, ne disputaient pas la direction aux syndicats, même quand ceux-ci étaient plus que réticents au mouvement. Pour eux, ce qui comptait était de lancer la grève, symbolisée partout par le drapeau rouge qui flottait sur les usines.
Dans les faits, ce furent la CGT et le PCF qui, avec la volonté d’avoir un contrôle absolu sur le mouvement, le généralisèrent à tout le pays et à toutes les professions, dans un climat où les travailleurs n’attendaient que cela. Le problème est qu’il n’existait pas dans les usines, à de rares exceptions près, de noyau révolutionnaire capable de disputer aux responsables syndicaux la direction du mouvement.
Au plus fort de celui-ci, il y eut 10 millions de grévistes dans le pays, trois fois plus qu’en 1936. Bien des catégories peu ou pas syndiquées se lancèrent dans la grève, bien au-delà de la classe ouvrière : les artistes de théâtre et de cinéma, les footballeurs, les journalistes et les salariés de la radio et de la télévision publiques. Dans le pays, il n’y eut ni métro, ni trains, ni aucun transport public, pas plus que d’essence dans les stations-service.
En Juin 36 les travailleurs remettaient en cause la propriété des bourgeois, qui se demandaient s’ils allaient leur rendre leurs usines. En Mai 68, des millions de travailleurs firent la grève chez eux. Mais il y avait dans tout le pays une atmosphère festive et l’envie de discuter de tout, de la société et de la possibilité de la changer. Dans tous les quartiers, les villes, grandes ou petites, les gens se regroupaient, se parlaient, confrontaient leurs points de vue. Dans bien des endroits, c’était un véritable forum permanent. C’est bien pourquoi les jeunes ouvriers, plutôt que de rester enfermés dans les usines, préféraient aller voir ce qui se passait dehors, attirés par le mouvement étudiant et ses idées révolutionnaires.
Le problème est que ces idées restèrent le plus souvent en dehors des usines, où les appareils bureaucratiques faisaient la loi. La CGT et le PCF, ultramajoritaires dans la classe ouvrière, avaient ouvert les vannes et tout fait pour généraliser la grève et ainsi la contrôler, mais ce n’était certes pas pour faire du mal à la bourgeoisie.
Le programme revendicatif mis en avant par la CGT fut extrêmement vague : « Réduction de la durée du travail, augmentation des salaires, véritable politique de l’emploi », sans avancer aucun chiffre ! Il était bien loin de ce qui était adopté dans les usines ou les bureaux : pas de salaire inférieur à 1 000 francs, une augmentation de 200 francs pour tous, (soit près de 25 % pour la majorité des ouvriers), l’échelle mobile des salaires et le retour immédiat aux 40 heures.
À peine quelques jours après la généralisation de la grève, des pourparlers secrets allaient commencer entre la CGT et le gouvernement, pour aboutir le 25 mai à la comédie des négociations de Grenelle. Mais en finir avec la grève n’allait pas être si simple. Et ce n’est pas tant la détermination des grévistes qui allait faire défaut qu’un parti capable de proposer une politique alternative au bradage de cette grève massive et enthousiaste.

                                       Paul SOREL (Lutte ouvrière n°2597)



samedi 21 avril 2018

Mai 68, le PCF, un acteur essentiel mis en porte-à-faux par l'explosion de 68. Un article de notre hebdomadaire Lutte ouvrière de cette semaine


Le PCF à la veille de Mai 68

Il y a 50 ans, à la veille de l’explosion de Mai 1968, le Parti communiste français était, à gauche, la principale force militante implantée dans la classe ouvrière. Pourtant si un parti fut bien mis en porte-à-faux par l’explosion de 68, ce fut le PC.




Depuis la guerre froide, et bien qu’il ait compté jusqu’à 150 députés, le Parti communiste avait été exclu de toute participation gouvernementale. De Gaulle en arrivant au pouvoir imposa la Constitution de 1958 qui, avec la loi électorale au scrutin majoritaire, complétée en 1962 par l’élection du président au suffrage universel, visait à soustraire le pouvoir exécutif à la pression des partis. Aux élections législatives de novembre 1958, le Parti socialiste SFIO passa de 94 à 40 députés et le PC disparut quasiment. Tout en recueillant encore presque 19 % des voix, le nombre de ses députés tomba de 150 à dix. Mais cela ne réduisit pas son poids dans la société, dû à son influence dans la classe ouvrière et à son implantation locale dans des villes ou des banlieues dites « rouges ».

Un parti implanté et responsable

Le PC devait son poids à ses militants combatifs et dévoués à leur classe. Même s’il faut prendre les chiffres avec prudence, sur ses 300 000 adhérents à la fin des années soixante, ses organisations d’entreprises en regroupaient plus du quart. Sans aller jusqu’à croire les militants de Renault Billancourt qui revendiquaient 50 à 70 cellules dans l’usine, le PC comptait des noyaux militants nombreux et omniprésents dans les grandes entreprises et dans des secteurs importants comme les docks, les mines, la sidérurgie, l’automobile. Son influence passait plus largement encore à travers la CGT dont l’appareil lui était étroitement lié.
Cependant en décrivant un pouvoir gaulliste comme quasi-dictatorial, le PC se donnait un alibi pour son inaction ; la CGT prônait des mouvements limités, par secteur, par catégorie, censés être moins coûteux et exposer moins les travailleurs à la répression d’un pouvoir gaulliste présenté comme tout-puissant.
Cette tactique se poursuivit de la fin de la guerre d’Algérie à la fin des années soixante même lorsque les grèves contre la vie chère, les salaires trop bas et les horaires trop lourds commencèrent à se multiplier. Pour le PC et la CGT, il n’était pas question de pousser la classe ouvrière à se servir de sa force pour changer les choses, mais seulement de lui donner comme perspective un changement politique par la voie électorale, qui aurait pu amener la gauche au pouvoir.
Localement, le PC avait depuis longtemps une forte implantation. Il administrait des municipalités, en particulier la fameuse « ceinture rouge » des banlieues parisiennes. En 1965 plus de 22 % de la population francilienne était administrée par le Parti communiste. C’était le reflet de l’activité et du dévouement de ses militants mais c’était aussi le résultat d’une évolution réformiste déjà ancienne.

Le passage pacifique au socialisme

Ayant depuis longtemps abandonné toute perspective révolutionnaire, la place que visait le PCF était celle d’un grand parti réformiste, voué à participer aux gouvernements du pays. Cependant le « passage pacifique au socialisme » était la formulation officielle de sa ligne politique. Il s’agissait d’assurer aux militants que sa perspective restait bien la lutte contre le système capitaliste. Mais cela permettait aussi d’effacer l’image radicale que le PCF gardait encore. Cela s’accordait à l’époque de la coexistence pacifique, politique affichée par les bureaucrates russes qui posaient aux champions de la paix face à l’impérialisme américain. Le PC tendait la main à toutes les bonnes volontés, chrétiens, « démocrates sincères », socialistes…
Bien des militants voyaient d’un mauvais œil un rapprochement avec les dirigeants socialistes artisans de la guerre d’Algérie. Mais Waldeck Rochet, successeur de Thorez à la tête du parti, leur rappelait que même si le parti revendiquait toujours la prise du pouvoir par la classe ouvrière et la dictature du prolétariat, être marxiste, c’était « adapter ses formes de lutte aux conditions historiques ». En l’occurrence il s’agissait de créer « une alliance de combat entre la classe ouvrière et (...) toutes les couches sociales progressistes » sous la forme d’une « coopération étroite entre tous les partis démocratiques » pour arriver au socialisme.
En même temps le PCF multipliait les calomnies et les coups, à l’intérieur ou à l’extérieur des entreprises, contre les militants qui le critiquaient sur sa gauche, trotskystes de Voix ouvrière ou maoïstes. C’était, selon l’Humanité, en octobre 1965, des « groupuscules et individus plus ou moins tarés (…) soi-disant défenseurs de la “pureté marxiste-léniniste” mais en fait “à la solde du pouvoir gaulliste” ».
Sur le plan électoral, le PCF se releva rapidement du coup dur de 1958. De 10 députés cette année-là, il passa à 41 en 1962 puis à 73 en 1967. En 1965, il soutint la candidature de Mitterrand à la présidentielle. De Gaulle fut mis en ballotage, avant d’être élu avec 54,5 % des voix mais les 45,5 % de Mitterrand donnèrent à celui-ci une stature nationale. Il allait s’attacher à renforcer son organisation, la FGDS (Fédération de la gauche démocratique et socialiste) regroupement de la gauche non communiste. En réponse, le PC appela ses militants au renforcement du parti tout en œuvrant avec la FGDS à une plateforme commune.
Le PCF sortait donc de l’isolement. Le nombre de ses voix et celui de ses adhérents augmentaient. L’année 1967 fut celle du plus grand nombre de grèves de la Ve République. Une grande manifestation unitaire, le 17 mai, réunit les syndicats CGT CFDT, FEN et les représentants des partis de gauche contre la décision du gouvernement de légiférer par ordonnances. Le pouvoir de De Gaulle ne semblait plus aussi fort. Le PC et la FGDS publièrent leur plateforme en février 68 en vue de changements électoraux futurs.
L’explosion de Mai 1968

En mai 1968, l’explosion du mouvement étudiant surprit tous les partis, à commencer par le PCF. Les étudiants communistes eux-mêmes, organisés dans l’Union des étudiants communistes (UEC), s’étaient déjà souvent montrés contestataires. Deux ans auparavant, le PCF avait sanctionné des militants de l’UEC de Caen et de Lyon, hostiles à la candidature Mitterrand. À la Sorbonne, le secteur Lettres fut dissous et ses dirigeants exclus fondèrent la Jeunesse communiste révolutionnaire (JCR). Face aux manifestations étudiantes de mai, le PCF eut le même réflexe, les désavouant et traitant les manifestants de provocateurs. Il se coupa ainsi du mouvement étudiant, avant de chercher vainement à le rattraper. Puis il prit en marche le train de la grève générale, de peur de se voir désavoué dans la classe ouvrière comme il l’avait été chez les étudiants.
Mai 68 allait donc faire éclater au grand jour la contradiction entre les perspectives gouvernementales recherchées par le PC et celles que pouvaient ouvrir les manifestations et les grèves dans le cadre d’une grande mobilisation sociale.
Dans l’immédiat, le résultat des élections de juin 1968 allait éloigner les perspectives gouvernementales de la gauche. Il fallut plusieurs années pour qu’elles se redessinent et que le PCF s’y intègre. Faute d’avoir saisi les possibilités offertes par l’explosion sociale, il lui restait à saisir celles offertes par Mitterrand en lui servant de faire-valoir. Cela aussi allait lui coûter cher.

Sylvie MARÉCHAL (Lutte ouvrière n°2594)

mercredi 4 avril 2018

Mai 68, conférence de Lutte ouvrière le 13 avril




Vendredi 13 avril
Cercle Léon Trotsky
« L’explosion sociale de mai-juin 1968 »
Vendredi 13 avril à 20 h 30
Palais de la Mutualité
24, rue Saint-Victor – Paris 5e
Métro : Maubert-Mutualité
Participation aux frais : 3 €

Un départ est organisé d’Argenteuil. Rendez-vous à 18 heures 30 devant le café « Les deux gares » gare d’Argenteuil, sortie Orgemont

vendredi 23 mars 2018

Mai 68, mouvement du 22 mars. Un anniversaire ?


Pas seulement, surtout des leçons à tirer !



Le 22 mars 1968, il y a 50ans, démarrait la mobilisation des étudiants de l'université de Nanterre qui allait déboucher deux mois plus tard sur la grève générale. Cela ne doit pas être un simple anniversaire. La grève ouvrière de mai et juin 1968 a démarré sans le soutien des centrales syndicales, au lendemain d'une journée de grève réussie, le 13 mai, contre les violences policières. Parce que dix millions de travailleurs se sont mis en grève, se sont politisés et ont découvert leur force collective, le climat social et le rapport de force avec le patronat a changé pour toute une période.
Mais parce que les partis de gauche et les directions des centrales syndicales ont mis tout leur poids pour arrêter la grève et s'engouffrer sur le terrain des élections, les possibilités ouvertes par la grève de mai 68 ont été dévoyées. Il faut en tirer les leçons pour aujourd'hui et pour demain.

dimanche 11 mars 2018

Mai 68, rétrospective, avant 1968, 1967…


À la veille de Mai 1968, des grèves significatives

Mai 1968 n’a pas été le coup de tonnerre dans un ciel serein que beaucoup, même cinquante ans après, continuent de décrire. Si le mouvement étudiant a été le facteur déclenchant débouchant sur la grève générale, celle-ci avait été précédée, au moins depuis la fin de l’année 1966, par une série de grèves d’une autre nature que celles des années précédentes. Ces mouvements plus massifs, plus fréquents, sortant des cadres définis par les syndicats, étaient déjà le signe d’un accroissement de la combativité ouvrière.



Pendant des années, les appareils syndicaux, et d’abord le plus puissant, la CGT, qui revendiquait plus de deux millions d’adhérents et qui relayait la politique du PCF, avaient tout fait pour limiter l’expression du mécontentement ouvrier. Prenant prétexte qu’avec l’arrivée de De Gaulle il y avait un « pouvoir fort », ils avaient inventé des substituts à la grève : les grèves par secteur, divisées par atelier, par corporation. Et avec les grèves perlées, le ralentissement des cadences, supposées « faire mal au patron » et « ne pas coûter cher », ce n’était même pas la grève. Tout était fait pour que la classe ouvrière ne prenne pas conscience de sa force. Encore un peu plus isolé avec de Gaulle, le PCF voulait sortir de son ghetto en se montrant responsable de l’ordre social. Les militants staliniens du PCF et de la CGT pouvaient être combatifs, mais l’appareil leur avait appris à ne tolérer aucune voix indépendante.
Mais, en cette fin des années 1960, une génération de jeunes ouvriers entrée dans les usines tendait à échapper à l’emprise des appareils syndicaux et avait envie d’en découdre. Ces jeunes travailleurs avaient grandi dans le contexte de la guerre d’Algérie et du gaullisme, au pouvoir depuis 1958. Les partis de gauche, responsables puis complices de la répression coloniale, s’étaient considérablement déconsidérés aux yeux des plus révoltés. Puis il y avait le contexte international : la lutte des Noirs aux États-Unis et les manifestations contre la guerre du Viêt-Nam partout dans le monde. Tout cela forgeait dans une partie de la jeunesse étudiante et ouvrière un esprit contestataire rejetant les cadres de la société, l’autorité patronale et même celle des appareils syndicaux.
Le 25 février 1967, chez Rhodiaceta à Besançon, la grève éclate contre le chômage par roulement imposé par la direction. Cette grève est portée par un dirigeant de la CFDT très apprécié, Castella, qui prend de court l’appareil de la CGT. À son initiative, 3 000 ouvriers arrêtent la production et occupent leur usine, ce qui n’est pas arrivé depuis des dizaines d’années, et qui rappelle Juin 1936. Sur les murs, les grévistes écrivent : « Ici finit la liberté, ici commence l’esclavage ». Leur combativité fait tache d’huile. Le 28, la grève s’étend aux 7 200 travailleurs des sites de Lyon-Vaise. Des piquets de grève se tiennent jour et nuit. À Vaise, plus qu’à Besançon, la CGT réussit à cadrer le mouvement.
Après plus de trois semaines de grève, contre la volonté des grévistes et après avoir isolé les secteurs les plus combatifs, les syndicats signent un accord de reprise à l’échelle du groupe avec une augmentation de salaire de 3,8 %, en dessous des 5 % revendiqués. Dans plusieurs sites, les travailleurs retournent travailler la rage au cœur, en jetant leurs cartes et leurs insignes syndicaux.

Après Rhodiaceta, Berliet et les Chantiers de Saint-Nazaire

Le 14 mars, à l’usine Berliet de Vénissieux près de Lyon, une large majorité des 12 000 travailleurs se mettent en grève, inspirés par l’exemple de Rhodiaceta. Le lendemain, dans la nuit, plusieurs centaines de CRS cernent l’usine pour déloger des ouvriers qui occupent une partie de leur atelier. L’usine est lockoutée pendant douze jours, puis c’est la reprise encadrée par les appareils syndicaux. Côté patronat, la méthode du lockout, déjà utilisée lors de précédentes grèves, va se généraliser.
Ainsi, à Saint-Nazaire, depuis le 1er mars 1967, 3 200 travailleurs de la métallurgie de plusieurs usines de la région sont en grève. Les plus nombreux sont ceux des chantiers navals, où la tradition de lutte est forte et où, en plus de la CGT, le syndicat FO tenu par des militants se revendiquant de l’anarcho-syndicalisme a de l’influence. Ces « mensuels », payés au mois, sont des employés, des techniciens, des dessinateurs industriels ou des membres du petit encadrement. Ils réclament le rattrapage de leurs salaires et leur alignement sur ceux de Paris. Des manifestations ont lieu à Saint-Nazaire et à Nantes, mais ni la CGT ni FO ne cherchent à élargir la grève aux autres travailleurs, les « horaires », payés à l’heure. Au contraire, CGT, FO et CFDT laissent entendre que le fait que les horaires ne soient pas en grève empêche le patron de lockouter. Et pourtant, après trois semaines de grève des mensuels, les patrons ferment les chantiers, mettant de fait les horaires dans le mouvement. De nouvelles manifestations ont lieu, avec plus de 10 000 travailleurs. Mais la séparation entre mensuels et horaires est soigneusement maintenue par les syndicats, qui organisent des assemblées générales séparées et parfois des parcours de manifestation séparés. La grève dure deux mois. Des augmentations de salaire sont concédées, mais bien en dessous de ce pour quoi les grévistes se sont battus.
Toutes ces grèves montrent que quelque chose change dans le monde ouvrier. Le 3 avril, l’éditorial des bulletins d’entreprises Voix Ouvrière a pour titre « La classe ouvrière passe-t-elle à l’offensive ? »
La journée d’action du 17 mai est particulièrement réussie. FO y participe. Cette journée est une réponse aux pleins pouvoirs qui viennent d’être votés au gouvernement Pompidou, qui prévoit de s’attaquer à la Sécurité sociale par ordonnances. Mais elle reste sans lendemain et la simple présence d’une banderole des travailleurs de Roussel-Uclaf de Romainville, réclamant une suite, met en rage le service d’ordre de la CGT.
Il n’y a pas qu’en métropole que la contestation ouvrière s’exprime. Le 26 mai 1967, en Guadeloupe, alors que 5 000 ouvriers du bâtiment sont en grève, 2 000 d’entre eux s’affrontent aux CRS, qui tirent dans la foule, tuant plusieurs ouvriers. Après plusieurs journées d’émeutes et une chasse à l’homme, des dizaines d’ouvriers sont arrêtés.

L’influence des luttes paysannes

La colère de la petite paysannerie éclate aussi dans plusieurs villes, notamment à la fin 1967. Les manifestations des paysans s’affrontant avec les CRS contrastent avec le ronron des grandes mobilisations syndicales ouvrières. Des travailleurs, notamment dans les régions où ouvriers et paysans sont proches, vont en être influencés.
En octobre 1967, au Mans, les ouvriers de Renault s’opposent aux CRS pendant plusieurs heures. Le 23 janvier 1968, ce sont 4 800 ouvriers de la Saviem de Caen qui entament une grève pour 6 % d’augmentation. Quand le préfet envoie des CRS, des barricades sont montées pour défendre l’entrée de l’usine. Deux jours plus tard, le 26 janvier, une manifestation regroupant près de 10 000 personnes débouche sur une nuit d’émeute, où les ouvriers de la Saviem, ceux d’autres usines et aussi une centaine d’étudiants affrontent les CRS. Sur les 83 manifestants arrêtés, la moitié ont moins de 22 ans. Quelques semaines plus tard, c’est à Redon, en Bretagne, lors d’un mouvement local sur les salaires, que les jeunes ouvriers vont se battre contre les CRS.
Ces épisodes restent cependant isolés, et personne n’y voit les prémisses d’une explosion sociale généralisée. Un journaliste du Monde, Pierre Viansson-Ponté, peut même écrire le 14 mars un article intitulé « Quand la France s’ennuie… » En réalité, la contestation couve en profondeur. Un mois et demi plus tard démarre le mouvement étudiant, puis quinze jours après, la grève générale. Comme Marx l’avait écrit à propos de la révolution de 1848, « Bien creusé, vieille taupe ! »

                                           Pierre ROYAN (Lutte ouvrière n°2588)

vendredi 19 août 2016

Georges Séguy en Mai 68 : le bradeur de la grève générale : un article de notre hebdomadaire Lutte ouvrière de cette semaine


A un tout autre nouveau, la disparition de Georges Séguy nous impose, loin des ralliements post-mortem de rappeler le passé de l’action de celui qui était le dirigeant de la CGT lors des mobilisations de 1968 à laquelle, tout jeune lycéen de seconde, j’ai pu participer. DM

 

Georges Séguy : le bradeur de la grève générale de Mai 68

 

Georges Séguy est mort, à l’âge de 89 ans. Du PS au PCF en passant par les Verts et le Parti de gauche, la gauche ne tarit pas d’éloges sur celui qui a été pendant quinze ans le secrétaire général de la CGT en même temps qu’il était membre du PCF, et même de sa direction. C’est à ce poste, qu’il affronta la grève générale de 1968 et sut l’orienter sur une voie sans danger pour la bourgeoisie.
 
 
À la suite de la grève et des manifestations réussies du 13 mai 1968 contre les brutalités policières envers les étudiants, l’émotion était grande et l’envie d’agir massive dans la classe ouvrière. Cette journée de grève du 13 mai avait été décidée par les confédérations syndicales dont la plus influente, la CGT, pour tenter de canaliser cette situation. Elle était prévue pour durer un jour par les confédérations, mais le travail ne reprit pas le lendemain ni les jours suivants. Dix millions de travailleurs se retrouvèrent en grève sans que ni la CGT ni les autres confédérations n’y aient appelé. Elles se gardèrent bien de parler de grève générale. Mais surtout, la tactique de la CGT, dirigée en fait par le PCF, consista à tout faire pour ne pas perdre la direction du mouvement, surtout après avoir rencontré une méfiance justifiée dans le milieu étudiant. Malgré l’étendue du mouvement de grèves, la participation des ouvriers à leurs propres grèves fut entravée. Les appareils les appelèrent à rentrer chez eux, les usines furent « occupées » par les militants syndicaux, seuls. Il n’était pas question de laisser les ouvriers ensemble, ni de leur permettre de contester la propriété privée par une véritable occupation des usines comme en 1936, et encore moins de se poser tous les problèmes de la gestion de leur grève.

Une fois le pays paralysé, il fallut trouver une issue « acceptable ». Des discussions eurent lieu entre gouvernement, patronat et syndicats au ministère du Travail, rue de Grenelle. Séguy joua un rôle de premier plan. Il se fit huer – ce qu’il nia toujours contre toute évidence – par les ouvriers de Renault Billancourt, auxquels il était venu présenter un premier protocole d’accord. Mais là encore, pour ne pas risquer de perdre la direction du mouvement, il attendit que l’hostilité des travailleurs s’épuise pour imposer les accords négociés. Ce furent les fameux accords de Grenelle : augmentation de 35 % du salaire minimum, qui passa de 385 à 519 francs (la CGT revendiquait 600 francs), augmentation de 10 % des autres salaires, droits et postes supplémentaires pour les appareils syndicaux et quelques vagues paroles sur le temps de travail et la retraite. Lorsque le Premier ministre Pompidou lui demanda s’il allait appeler à la reprise du travail, Séguy lui répondit par une boutade significative : « Non, parce que nous n’avons jamais lancé de mot d’ordre national de grève. » En fait, les appareils de la CGT et des autres confédérations firent tout pour mettre fin à un mouvement qui s’était développé contre leur gré.

Ce que le patronat et le gouvernement avaient dû lâcher était loin de suffire au regard de l’ampleur d’un mouvement sans précédent depuis 1936, et le travail ne reprit pas. Mais les dirigeants nationaux de la CGT et de la CFDT se dirent satisfaits et organisèrent les discussions par branche ou par entreprise, fragmentant la grève.

Enfin, pour mettre véritablement fin à cette situation de crise sociale et politique, de Gaulle choisit comme moyen de diversion d’organiser des élections législatives. Les dirigeants de la gauche qui avaient appelé de Gaulle à démissionner se rallièrent du jour au lendemain à cette perspective. Et Séguy et les appareils syndicaux prirent prétexte de ces élections pour justifier l’arrêt des grèves. Ils imposèrent pas à pas la reprise du travail, jouant de leur autorité et utilisant mensonges et calomnies pour démoraliser les plus déterminés.

Arracher quelques avantages matériels pour calmer la mobilisation ouvrière et prôner le changement politique par les urnes : c’est en menant cette politique que Séguy réussit à brader la grève générale. Si la grève de mai 68 ne menaça pas la bourgeoisie, elle lui fit craindre quand même que sa domination sur la société ne soit remise en cause. Eh bien non ! Dans la lignée d’un Thorez qui avait affirmé en 1936 « Il faut savoir terminer une grève », Séguy et les appareils syndicaux mirent tout leur poids pour empêcher encore une fois les travailleurs d’aller au bout des possibilités de leurs luttes.

Séguy profita dès lors paisiblement des cinquante années qui lui restaient à vivre. Il avait bien mérité de la bourgeoisie.

                                            Vincent GELAS (Lutte ouvrière n°2507)