samedi 21 avril 2018

Mai 68, le PCF, un acteur essentiel mis en porte-à-faux par l'explosion de 68. Un article de notre hebdomadaire Lutte ouvrière de cette semaine


Le PCF à la veille de Mai 68

Il y a 50 ans, à la veille de l’explosion de Mai 1968, le Parti communiste français était, à gauche, la principale force militante implantée dans la classe ouvrière. Pourtant si un parti fut bien mis en porte-à-faux par l’explosion de 68, ce fut le PC.




Depuis la guerre froide, et bien qu’il ait compté jusqu’à 150 députés, le Parti communiste avait été exclu de toute participation gouvernementale. De Gaulle en arrivant au pouvoir imposa la Constitution de 1958 qui, avec la loi électorale au scrutin majoritaire, complétée en 1962 par l’élection du président au suffrage universel, visait à soustraire le pouvoir exécutif à la pression des partis. Aux élections législatives de novembre 1958, le Parti socialiste SFIO passa de 94 à 40 députés et le PC disparut quasiment. Tout en recueillant encore presque 19 % des voix, le nombre de ses députés tomba de 150 à dix. Mais cela ne réduisit pas son poids dans la société, dû à son influence dans la classe ouvrière et à son implantation locale dans des villes ou des banlieues dites « rouges ».

Un parti implanté et responsable

Le PC devait son poids à ses militants combatifs et dévoués à leur classe. Même s’il faut prendre les chiffres avec prudence, sur ses 300 000 adhérents à la fin des années soixante, ses organisations d’entreprises en regroupaient plus du quart. Sans aller jusqu’à croire les militants de Renault Billancourt qui revendiquaient 50 à 70 cellules dans l’usine, le PC comptait des noyaux militants nombreux et omniprésents dans les grandes entreprises et dans des secteurs importants comme les docks, les mines, la sidérurgie, l’automobile. Son influence passait plus largement encore à travers la CGT dont l’appareil lui était étroitement lié.
Cependant en décrivant un pouvoir gaulliste comme quasi-dictatorial, le PC se donnait un alibi pour son inaction ; la CGT prônait des mouvements limités, par secteur, par catégorie, censés être moins coûteux et exposer moins les travailleurs à la répression d’un pouvoir gaulliste présenté comme tout-puissant.
Cette tactique se poursuivit de la fin de la guerre d’Algérie à la fin des années soixante même lorsque les grèves contre la vie chère, les salaires trop bas et les horaires trop lourds commencèrent à se multiplier. Pour le PC et la CGT, il n’était pas question de pousser la classe ouvrière à se servir de sa force pour changer les choses, mais seulement de lui donner comme perspective un changement politique par la voie électorale, qui aurait pu amener la gauche au pouvoir.
Localement, le PC avait depuis longtemps une forte implantation. Il administrait des municipalités, en particulier la fameuse « ceinture rouge » des banlieues parisiennes. En 1965 plus de 22 % de la population francilienne était administrée par le Parti communiste. C’était le reflet de l’activité et du dévouement de ses militants mais c’était aussi le résultat d’une évolution réformiste déjà ancienne.

Le passage pacifique au socialisme

Ayant depuis longtemps abandonné toute perspective révolutionnaire, la place que visait le PCF était celle d’un grand parti réformiste, voué à participer aux gouvernements du pays. Cependant le « passage pacifique au socialisme » était la formulation officielle de sa ligne politique. Il s’agissait d’assurer aux militants que sa perspective restait bien la lutte contre le système capitaliste. Mais cela permettait aussi d’effacer l’image radicale que le PCF gardait encore. Cela s’accordait à l’époque de la coexistence pacifique, politique affichée par les bureaucrates russes qui posaient aux champions de la paix face à l’impérialisme américain. Le PC tendait la main à toutes les bonnes volontés, chrétiens, « démocrates sincères », socialistes…
Bien des militants voyaient d’un mauvais œil un rapprochement avec les dirigeants socialistes artisans de la guerre d’Algérie. Mais Waldeck Rochet, successeur de Thorez à la tête du parti, leur rappelait que même si le parti revendiquait toujours la prise du pouvoir par la classe ouvrière et la dictature du prolétariat, être marxiste, c’était « adapter ses formes de lutte aux conditions historiques ». En l’occurrence il s’agissait de créer « une alliance de combat entre la classe ouvrière et (...) toutes les couches sociales progressistes » sous la forme d’une « coopération étroite entre tous les partis démocratiques » pour arriver au socialisme.
En même temps le PCF multipliait les calomnies et les coups, à l’intérieur ou à l’extérieur des entreprises, contre les militants qui le critiquaient sur sa gauche, trotskystes de Voix ouvrière ou maoïstes. C’était, selon l’Humanité, en octobre 1965, des « groupuscules et individus plus ou moins tarés (…) soi-disant défenseurs de la “pureté marxiste-léniniste” mais en fait “à la solde du pouvoir gaulliste” ».
Sur le plan électoral, le PCF se releva rapidement du coup dur de 1958. De 10 députés cette année-là, il passa à 41 en 1962 puis à 73 en 1967. En 1965, il soutint la candidature de Mitterrand à la présidentielle. De Gaulle fut mis en ballotage, avant d’être élu avec 54,5 % des voix mais les 45,5 % de Mitterrand donnèrent à celui-ci une stature nationale. Il allait s’attacher à renforcer son organisation, la FGDS (Fédération de la gauche démocratique et socialiste) regroupement de la gauche non communiste. En réponse, le PC appela ses militants au renforcement du parti tout en œuvrant avec la FGDS à une plateforme commune.
Le PCF sortait donc de l’isolement. Le nombre de ses voix et celui de ses adhérents augmentaient. L’année 1967 fut celle du plus grand nombre de grèves de la Ve République. Une grande manifestation unitaire, le 17 mai, réunit les syndicats CGT CFDT, FEN et les représentants des partis de gauche contre la décision du gouvernement de légiférer par ordonnances. Le pouvoir de De Gaulle ne semblait plus aussi fort. Le PC et la FGDS publièrent leur plateforme en février 68 en vue de changements électoraux futurs.
L’explosion de Mai 1968

En mai 1968, l’explosion du mouvement étudiant surprit tous les partis, à commencer par le PCF. Les étudiants communistes eux-mêmes, organisés dans l’Union des étudiants communistes (UEC), s’étaient déjà souvent montrés contestataires. Deux ans auparavant, le PCF avait sanctionné des militants de l’UEC de Caen et de Lyon, hostiles à la candidature Mitterrand. À la Sorbonne, le secteur Lettres fut dissous et ses dirigeants exclus fondèrent la Jeunesse communiste révolutionnaire (JCR). Face aux manifestations étudiantes de mai, le PCF eut le même réflexe, les désavouant et traitant les manifestants de provocateurs. Il se coupa ainsi du mouvement étudiant, avant de chercher vainement à le rattraper. Puis il prit en marche le train de la grève générale, de peur de se voir désavoué dans la classe ouvrière comme il l’avait été chez les étudiants.
Mai 68 allait donc faire éclater au grand jour la contradiction entre les perspectives gouvernementales recherchées par le PC et celles que pouvaient ouvrir les manifestations et les grèves dans le cadre d’une grande mobilisation sociale.
Dans l’immédiat, le résultat des élections de juin 1968 allait éloigner les perspectives gouvernementales de la gauche. Il fallut plusieurs années pour qu’elles se redessinent et que le PCF s’y intègre. Faute d’avoir saisi les possibilités offertes par l’explosion sociale, il lui restait à saisir celles offertes par Mitterrand en lui servant de faire-valoir. Cela aussi allait lui coûter cher.

Sylvie MARÉCHAL (Lutte ouvrière n°2594)

0 commentaires:

Enregistrer un commentaire