Le PCF à
la veille de Mai 68
Il y a 50 ans, à la veille de
l’explosion de Mai 1968, le Parti communiste français était, à gauche, la
principale force militante implantée dans la classe ouvrière. Pourtant si un
parti fut bien mis en porte-à-faux par l’explosion de 68, ce fut le PC.
Depuis la guerre froide, et bien
qu’il ait compté jusqu’à 150 députés, le Parti communiste avait été exclu de
toute participation gouvernementale. De Gaulle en arrivant au pouvoir imposa la
Constitution de 1958 qui, avec la loi électorale au scrutin majoritaire,
complétée en 1962 par l’élection du président au suffrage universel, visait à soustraire
le pouvoir exécutif à la pression des partis. Aux élections législatives de
novembre 1958, le Parti socialiste SFIO passa de 94 à 40 députés et le PC
disparut quasiment. Tout en recueillant encore presque 19 % des voix, le nombre
de ses députés tomba de 150 à dix. Mais cela ne réduisit pas son poids dans la
société, dû à son influence dans la classe ouvrière et à son implantation
locale dans des villes ou des banlieues dites « rouges ».
Un parti implanté et responsable
Le PC devait son poids à ses
militants combatifs et dévoués à leur classe. Même s’il faut prendre les
chiffres avec prudence, sur ses 300 000 adhérents à la fin des années soixante,
ses organisations d’entreprises en regroupaient plus du quart. Sans aller
jusqu’à croire les militants de Renault Billancourt qui revendiquaient 50 à 70
cellules dans l’usine, le PC comptait des noyaux militants nombreux et
omniprésents dans les grandes entreprises et dans des secteurs importants comme
les docks, les mines, la sidérurgie, l’automobile. Son influence passait plus
largement encore à travers la CGT dont l’appareil lui était étroitement lié.
Cependant en décrivant un pouvoir
gaulliste comme quasi-dictatorial, le PC se donnait un alibi pour son inaction
; la CGT prônait des mouvements limités, par secteur, par catégorie, censés
être moins coûteux et exposer moins les travailleurs à la répression d’un
pouvoir gaulliste présenté comme tout-puissant.
Cette tactique se poursuivit de
la fin de la guerre d’Algérie à la fin des années soixante même lorsque les
grèves contre la vie chère, les salaires trop bas et les horaires trop lourds
commencèrent à se multiplier. Pour le PC et la CGT, il n’était pas question de
pousser la classe ouvrière à se servir de sa force pour changer les choses,
mais seulement de lui donner comme perspective un changement politique par la
voie électorale, qui aurait pu amener la gauche au pouvoir.
Localement, le PC avait depuis
longtemps une forte implantation. Il administrait des municipalités, en
particulier la fameuse « ceinture rouge » des banlieues parisiennes. En 1965
plus de 22 % de la population francilienne était administrée par le Parti
communiste. C’était le reflet de l’activité et du dévouement de ses militants
mais c’était aussi le résultat d’une évolution réformiste déjà ancienne.
Le passage pacifique au
socialisme
Ayant depuis longtemps abandonné
toute perspective révolutionnaire, la place que visait le PCF était celle d’un
grand parti réformiste, voué à participer aux gouvernements du pays. Cependant
le « passage pacifique au socialisme » était la formulation officielle de sa
ligne politique. Il s’agissait d’assurer aux militants que sa perspective
restait bien la lutte contre le système capitaliste. Mais cela permettait aussi
d’effacer l’image radicale que le PCF gardait encore. Cela s’accordait à
l’époque de la coexistence pacifique, politique affichée par les bureaucrates
russes qui posaient aux champions de la paix face à l’impérialisme américain.
Le PC tendait la main à toutes les bonnes volontés, chrétiens, « démocrates
sincères », socialistes…
Bien des militants voyaient d’un
mauvais œil un rapprochement avec les dirigeants socialistes artisans de la
guerre d’Algérie. Mais Waldeck Rochet, successeur de Thorez à la tête du parti,
leur rappelait que même si le parti revendiquait toujours la prise du pouvoir
par la classe ouvrière et la dictature du prolétariat, être marxiste, c’était «
adapter ses formes de lutte aux conditions historiques ». En l’occurrence
il s’agissait de créer « une alliance de combat entre la classe ouvrière et
(...) toutes les couches sociales progressistes » sous la forme d’une «
coopération étroite entre tous les partis démocratiques » pour arriver au
socialisme.
En même temps le PCF multipliait
les calomnies et les coups, à l’intérieur ou à l’extérieur des entreprises,
contre les militants qui le critiquaient sur sa gauche, trotskystes de Voix
ouvrière ou maoïstes. C’était, selon l’Humanité, en octobre 1965, des «
groupuscules et individus plus ou moins tarés (…) soi-disant défenseurs de la
“pureté marxiste-léniniste” mais en fait “à la solde du pouvoir gaulliste” ».
Sur le plan électoral, le PCF se
releva rapidement du coup dur de 1958. De 10 députés cette année-là, il passa à
41 en 1962 puis à 73 en 1967. En 1965, il soutint la candidature de Mitterrand
à la présidentielle. De Gaulle fut mis en ballotage, avant d’être élu avec 54,5
% des voix mais les 45,5 % de Mitterrand donnèrent à celui-ci une stature
nationale. Il allait s’attacher à renforcer son organisation, la FGDS
(Fédération de la gauche démocratique et socialiste) regroupement de la gauche
non communiste. En réponse, le PC appela ses militants au renforcement du parti
tout en œuvrant avec la FGDS à une plateforme commune.
Le PCF sortait donc de
l’isolement. Le nombre de ses voix et celui de ses adhérents augmentaient.
L’année 1967 fut celle du plus grand nombre de grèves de la Ve République. Une
grande manifestation unitaire, le 17 mai, réunit les syndicats CGT CFDT, FEN et
les représentants des partis de gauche contre la décision du gouvernement de
légiférer par ordonnances. Le pouvoir de De Gaulle ne semblait plus aussi fort.
Le PC et la FGDS publièrent leur plateforme en février 68 en vue de changements
électoraux futurs.
L’explosion de Mai 1968
En mai 1968, l’explosion du mouvement
étudiant surprit tous les partis, à commencer par le PCF. Les étudiants
communistes eux-mêmes, organisés dans l’Union des étudiants communistes (UEC),
s’étaient déjà souvent montrés contestataires. Deux ans auparavant, le PCF
avait sanctionné des militants de l’UEC de Caen et de Lyon, hostiles à la
candidature Mitterrand. À la Sorbonne, le secteur Lettres fut dissous et ses
dirigeants exclus fondèrent la Jeunesse communiste révolutionnaire (JCR). Face
aux manifestations étudiantes de mai, le PCF eut le même réflexe, les
désavouant et traitant les manifestants de provocateurs. Il se coupa ainsi du
mouvement étudiant, avant de chercher vainement à le rattraper. Puis il prit en
marche le train de la grève générale, de peur de se voir désavoué dans la classe
ouvrière comme il l’avait été chez les étudiants.
Mai 68 allait donc faire éclater
au grand jour la contradiction entre les perspectives gouvernementales
recherchées par le PC et celles que pouvaient ouvrir les manifestations et les
grèves dans le cadre d’une grande mobilisation sociale.
Dans l’immédiat, le résultat des
élections de juin 1968 allait éloigner les perspectives gouvernementales de la
gauche. Il fallut plusieurs années pour qu’elles se redessinent et que le PCF
s’y intègre. Faute d’avoir saisi les possibilités offertes par l’explosion
sociale, il lui restait à saisir celles offertes par Mitterrand en lui servant
de faire-valoir. Cela aussi allait lui coûter cher.
Sylvie MARÉCHAL (Lutte ouvrière n°2594)
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire