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jeudi 12 octobre 2017

Révolution russe (32) : Lenine et l’insurrection, mi-septembre 1917


Au mois d’août dernier, nous avions repris jour après jour le feuilleton paru depuis des mois dans notre hebdomadaire Lutte ouvrière sous le titre « Russie 1917 : La Révolution au fil des semaines »…Dernier article abordé : Début septembre : l’irrésistible progression des bolchéviks dans les soviets. Nous reprenons le fil de ce feuilleton. 


Mi-septembre : les lettres de Lénine sur l’insurrection

 À la mi-septembre, les bolcheviks avaient gagné une influence considérable dans les soviets. L’idée que le pouvoir devait passer aux soviets progressait parmi les masses qui prenaient conscience, à travers tout le pays, que leurs revendications vitales, au sens propre, ne pourraient être satisfaites par le gouvernement provisoire. Ce dernier avait convoqué une Conférence démocratique qui se réunit à partir du 14 septembre, pour tenter de reconstituer une autorité, la plus éloignée possible des soviets et de l’influence des bolcheviks. Durant cette période, Lénine, encore contraint à la clandestinité, envoya deux lettres au comité central du parti, pour défendre l’idée que la situation était mûre pour l’insurrection et la prise du pouvoir.
Dans sa première lettre, Les bolcheviks doivent prendre le pouvoir, écrite entre le 12 et le 14 septembre, Lénine écrivait : « Ayant obtenu la majorité aux soviets des députés ouvriers et soldats des deux capitales, les bolcheviks peuvent et doivent prendre en main le pouvoir. Ils le peuvent, car la majorité agissante des éléments révolutionnaires du peuple des deux capitales suffit pour entraîner les masses, pour vaincre la résistance de l’adversaire, pour l’anéantir, pour conquérir le pouvoir et le conserver. Car, en proposant sur-le-champ une paix démocratique, en donnant aussitôt la terre aux paysans, en rétablissant les institutions et les libertés démocratiques foulées aux pieds et anéanties par Kerenski, les bolcheviks formeront un gouvernement que personne ne renversera. La Conférence démocratique ne représente pas la majorité du peuple révolutionnaire, mais seulement les dirigeants petits-bourgeois conciliateurs. La Conférence démocratique trompe la paysannerie, car elle ne lui donne ni la paix ni la terre. »
Lénine développait cette idée dans Le marxisme et l’insurrection, qu’il fit parvenir au comité central bolchevique le 15 septembre : « Pour réussir, l’insurrection doit s’appuyer non pas sur un complot, non pas sur un parti, mais sur la classe d’avant-garde. Voilà un premier point. L’insurrection doit s’appuyer sur l’élan révolutionnaire du peuple. Voilà le second point. L’insurrection doit surgir à un tournant de l’histoire de la révolution ascendante, où l’activité de l’avant-garde du peuple est la plus forte, où les hésitations sont les plus fortes dans les rangs de l’ennemi et dans ceux des amis de la révolution faibles, indécis, pleins de contradictions. Voilà le troisième point. Telles sont les trois conditions qui font que, dans la façon de poser la question de l’insurrection, le marxisme se distingue du blanquisme.
Mais, dès lors que ces conditions se trouvent remplies, refuser de considérer l’insurrection comme un art, c’est trahir le marxisme, c’est trahir la révolution.
Pour prouver qu’en ce moment précisément le parti doit de toute nécessité reconnaître que l’insurrection est mise à l’ordre du jour par le cours objectif des événements, qu’il doit traiter l’insurrection comme un art, pour prouver cela, le mieux sera peut-être d’employer la méthode de comparaison et de mettre en parallèle les journées des 3 et 4 juillet et les journées de septembre. Les 3 et 4 juillet, (…) les conditions objectives pour la victoire de l’insurrection n’étaient pas réalisées.
1) Nous n’avions pas encore derrière nous la classe qui est l’avant-garde de la révolution. Nous n’avions pas encore la majorité parmi les ouvriers et les soldats des deux capitales. Aujourd’hui, nous l’avons dans les deux soviets. Elle a été créée uniquement par les événements des mois de juillet et d’août, par l’expérience des répressions contre les bolcheviks et par l’expérience de la rébellion de Kornilov.
2) L’enthousiasme révolutionnaire n’avait pas encore gagné la grande masse du peuple. Il l’a gagnée aujourd’hui, après la rébellion de Kornilov. C’est ce que prouvent les événements en province et la prise du pouvoir par les soviets en maints endroits.
3) Il n’y avait pas alors d’hésitations d’une amplitude politique sérieuse parmi nos ennemis et parmi la petite-bourgeoise incertaine. Aujourd’hui, ces hésitations ont une grande ampleur (…).
4) C’est pourquoi, les 3 et 4 juillet, l’insurrection aurait été une faute : nous n’aurions pu conserver le pouvoir ni physiquement ni politiquement (…).
Aujourd’hui la situation est tout autre. Nous avons avec nous la majorité de la classe qui est l’avant-garde de la révolution, l’avant-garde du peuple, capable d’entraîner les masses. »



jeudi 28 septembre 2017

EVS Val d’Oise, emplois « aidés, ils-elles « aident » la société, et non l’inverse !


Maintien en poste des 245 « EVS », un point c’est tout



Le gouvernement a annoncé cet été la diminution drastique des emplois aidés à l’horizon 2018. Dans le Val d’Oise, cela implique la disparition de tous les contrats d’aide administrative à la direction d’école. Ils sont 245.
         Ces emplois sont pourtant essentiels au fonctionnement des écoles primaires. Grâce aux travailleuses qui les occupent, s’il a quelque chose d’ "aidé" en la matière, ce sont les directions d’école qu’elles suppléent au niveau de nombreuses tâches administratives.
         Ces travailleuses doivent non seulement être maintenues sur les postes qu’elles occupent, mais être titularisées dans les meilleurs délais pour toutes celles qui le souhaitent.
         Pour le réclamer, un rassemblement était organisé hier devant la direction académique du Val d’Oise d’Osny, à l’appel de l’ensemble des organisations syndicales de l’Education nationale du département. 

Et un article de notre hebdomadaire Lutte ouvrière n°2565 à paraître 

Les emplois aidés : moins nombreux et moins financés

Le gouvernement a confirmé la semaine dernière la baisse du nombre d’emplois aidés. En 2018, l’État en financera 200 000 contre 320 000 cette année.
Mais ce mauvais coup en cache un autre : non seulement il réduit leur nombre, mais l’État diminue aussi leur financement. Le taux de prise en charge passerait ainsi à 50 % du smic brut en moyenne, contre 72,5 % en 2017. Aux collectivités et aux associations qui emploient ces travailleurs de compenser la différence.
Pour faire passer la pilule, le gouvernement a annoncé le maintien du crédit d’impôt sur la taxe sur les salaires (CITS), dont bénéficient les associations, et insiste sur l’allègement des charges patronales, lié à la transformation du CICE, dont elles bénéficieront en 2019, allègement censé leur permettre de compenser la baisse de prise en charge des emplois aidés.
Cela reste à voir, et surtout, cela ne règle pas le problème des collectivités locales, écoles et mairies qui, elles, devront dès 2018 trouver l’argent pour compenser cette baisse… ou supprimer elles-mêmes certains emplois qu’elles ne pourront plus financer.

                                                           J.L.G.

mercredi 27 septembre 2017

Révolution russe de 1917 : 100ème anniversaire, un grand meeting de Lutte ouvrière


« 1917, la Révolution russe

Pour changer le monde, les travailleurs au pouvoir »

Meeting à Paris avec Nathalie Arthaud

Vendredi 20 octobre à 20 h 30

Palais de la Mutualité - 24 rue Saint-Victor

Paris 5ème - -Métro Maubert-Mutualité

Entrée libre



 

vendredi 15 septembre 2017

Lycées en Ile de France à construire d'urgence


Lycées d'Ile de France : l’implosion organisée d’en haut

 


Un lycée francilien sur dix est en sureffectif, tel le lycée Mozart au Blanc-Mesnil où les couloirs sont bondés et où l'ambiance devient tendue.
         La région Ile-de-France n'a pas construit les lycées correspondant au boom de natalité des années 2000, tandis que l'État, qui n'a pas aidé à anticiper, est responsable de la pénurie de surveillants qui ajoute aux difficultés.
         Mais le ministre Blanquer préfère communiquer sur... les téléphones portables des élèves auxquels il voudrait imposer de les laisser dans des casiers durant les classes...

Révolution russe de 1917 Petrograd rouge (V) L'origine de l'organisation des travailleurs dans les usines


Nous reprenons ci-dessous la diffusion des extraits du livre « Petrograd rouge » qui est un exceptionnel témoignage de l’état d’esprit et de l’organisation des travailleurs de la capitale révolutionnaire, durant ces mois qui de février 1917 à octobre furent des temps de bouleversement de la conscience des travailleurs. 

«… L’expulsion de l’ancienne direction n’était que l’aspect négatif de la démocratisation de l’usine. L’aspect positif, et de loin le plus important, consista en la création de comités d’usine (Fabzavkom (y), dérivé de fabrichno-zavodskiyé komitety) pour défendre  les intérêts des ouvriers. Ils poussèrent comme des champignons pendant les jours vertigineux de la révolution. L’apparente « spontanéité » de leur apparition est une illusion d’optique parce qu’existait une longue tradition au sein de la classe ouvrière russe d’élire des  délégués (starosty) pour les représenter face à la direction. Cette tradition trouve son origine à la campagne où les villageois étaient habitués à élire un chef. Dans les usines, les starostes représentaient les ouvriers lors des conflits, mais assuraient des tâches plus prosaïques comme collecter de l’argent pour acheter du pétrole destiné aux lampes éclairant les icônes dans chaque atelier. En 1903, dans une vaine tentative de calmer la colère des ouvriers devant son refus de reconnaître des syndicats réels, le gouvernement avait cherché à institutionnaliser les starostes comme forme rudimentaire de représentation ouvrière. Une loi permit donc aux travailleurs de proposer une liste de candidats à ces postes, parmi lesquels la direction ferait son choix. Le pouvoir du staroste était strictement limité, car il ne pouvait pas faire modifier les contrats de travail, ni bénéficier d’une protection légale C’était une loi que les ouvriers avaient en aversion, les starostes étant rarement capables de diriger activement les luttes du fait de leur vulnérabilité à la répression patronale et étatique. Les patrons de Saint-Pétersbourg ne l’aimaient pas non plus, du fait des perspectives dangereuses qu’elle ouvrait.
         Ce fut la révolution de 1905 qui fit prendre conscience des immenses perspectives offertes par l’organisation au niveau de l’atelier. En même temps que la grève générale se répandait à travers le pays, les starostes et les comités de grève se développèrent de façon extraordinaire en tant qu’organes d’auto-organisation et d’auto-expression ouvrière. A l’automne, les « commissions d’usine » proliférèrent, esquissent de ce que seraient les comités d’usine douze ans plus tard. Ces commissions commencèrent à prendre en charge tous les problèmes affectant la vie de l’usine, élaborant des contrats collectifs, (ou conventions collectives) sur les salaires et supervisant les embauches et les licenciements. Dans l’imprimerie, on assista à un développement étonnant, quand, au printemps 1906, des « commissions autonomes » furent  créées. Bien que les patrons y participaient, elles comprenaient, elles comprenaient une majorité d’ouvriers  élus par l’ensemble du personnel et étaient responsables de l’élaboration des règlements internes et de leur application, ainsi que des embauches et des licenciements. Après 1907, cependant, il ne restait que très peu de commissions autonomes, de commissions d’usine ou de starostes en activité. Durant la période réactionnaire qui suivit l’échec de la Révolution de 1905, les ouvriers jugèrent impossible le maintien d’organes représentatifs.
         Toutefois, l’expérience revigorante de 1905 ne fut pas oubliée par les militants ouvriers… »    (pages 85-86)
                            (A suivre)
 

 
Meeting
1917, la Révolution russe
Pour changer le monde, les travailleurs au pouvoir
Vendredi 20 octobre à 20 h 30
Avec Nathalie Arthaud
Palais de la Mutualité
24, rue Saint-Victor – Paris 5e
Métro : Maubert-Mutualité
                                                               Entrée libre
 

jeudi 7 septembre 2017

Révolution russe de 1917 Petrograd rouge (IV) : dans les usines, le patronat n'est plus le maître (suite)


Retours de bâton contre les soutiens du patronat dans les usines (suite)

 
« …aux chantiers navals Nevski, in fit une liste de trente-cinq contremaîtres et de leurs adjoins qui avaient abusé de leur autorité. Le comité d’usine, à dominante menchevique, interdit leur expulsion tant que leurs cas n’auraient pas été examinés par la Chambre de conciliation. Sauf à la chaufferie, les ouvriers acceptèrent la décision du comité d’usine. Le 30 mars, le comité permit à ceux qui étaient menacés de licenciement de revenir à l’usine en attendant le jugement. Un autre cas soumis à la Chambre de conciliation concernait le directeur du département métallurgique qui avait été embauché comme contremaître en 1908. Il avait déclaré publiquement qu’il « était là pour éliminer les restes de sédition de 1905 », puis collecté des informations sur les opinions politiques des ouvriers, créé un réseau de mouchards et forcé à faire des heures supplémentaires non payées. La Chambre de conciliation estima que l’on ne pouvait retenir de charge contre lui, mais il y avait une telle haine des ouvriers envers lui qu’elle fut impuissante à le faire réintégrer.
         L’incapacité de la Chambre de conciliation  de s’opposer aux expulsions par des moyens légaux était un phénomène généralisé. A l’usine de lainages Kersten, le comité de conciliation recommanda la réintégration de tous les cadres expulsés par les ouvriers sauf un. Ainsi le 16 mars, le comité déclara :
         « Nous sommes convaincus que V.V. Jpoutchaïevvitch a un caractère irascible et nerveux qui l’empêche de se comporter normalement selon les règles de la morale. Cependant, nous considérons que les accusations portées contre lui de cruauté méprisante, d’humiliation des ouvriers et, notamment, de favoritisme dans la distribution des promotions dont ne profiteraient que ses amis, sont sans fondement. »
         La Chambre estima pour un autre ouvrier que « les accusations portées contre lui de honteux mauvais traitements des ouvrières, ne reposant pas sur des témoignages de victimes, ne sont pas prouvées ». Mais, dans aucun de ces cas, le comité ne put surmonter l’opposition des ouvriers à la réintégration des personnels concernés… »

mercredi 6 septembre 2017

Révolution russe de 1917 : Petrograd rouge (III) : quand dans les usines, le patronat cessait d'être le maître


Un passage que je dédie aux travailleurs de GM&S et de PSA Poissy qui ont été opposés hier à Poissy à ce qui rappelle étrangement les pratiques de Simca et de son « syndicat » maison, la CFT, des années 1970

1970 ? Non, 2017. Poissy, usine PSA hier


Quand la peur changera de camp (suite)

« …Aux chantiers navals Baltique, pas moins de soixante membres de la direction furent rétrogradés, transférés ou expulsés de l’usine en charrette. A la Cartoucherie, jusqu’à 80% du personnel technique furent expulsés, le comité refusant qu’ils fassent appel auprès de la Chambre de conciliation. Aux chantiers navals de l’Amirauté, de la Nouvelle-Amirauté et à ceux de l’île Galerny, quarante-neuf techniciens furent expulsés lors de de meetings devant l’ensemble du personnel. La direction insista pour que chaque employé puisse faire appel, mais fut finalement forcée d’accepter le fait accompli. A l’Usine de tubes, le directeur et quatorze cadres furent relevés temporairement de leurs fonctions par le soviet d’usine.
         La purge s’étendit aux entreprises privées. A l’usine textile Thornton, les ouvrières chassèrent de leur local trente gardiens. A l’usine Baranovski, vingt-cinq membres de la direction furent licenciés par les ouvriers, et dix-huit d’entre eux sortis dans des charrettes pour s’être comportés dans le passé comme des bourreaux. Après de longs débats, douze membres de la direction de l’usine de chaussures Skorokhod et seize de l’usine chimique Tentélevski furent remerciés sous la pression des ouvriers. Les raisons pour lesquelles les ouvriers renvoyaient les hiérarques étaient diverses. A l’usine triangle, le 5 mars, une assemblée générale des délégués d’atelier décida que « tous les contremaîtres qui désorganisent la production en cachant des outils, etc., ne doivent pas avoir le droit de travailler. Nous demandons aux ouvriers d’en informer le Soviet des députés ouvriers »…
         (A suivre)
Le soviet de Petrograd

lundi 4 septembre 2017

Révolution russe de 1917, Petrograd rouge (II), extrait : Dans les usines aux lendemains de la révolution de Février 1917…


Quand la peur changeait de camp…

 « … le renversement de la dynastie des Romanov plongea les ouvriers dans une sorte d’euphorie. Ils retournèrent dans leurs usines déterminés à balayer l’ancien régime dans les lieux de travail de la même façon qu’ils venaient d’être balayés plus largement dans la société. Ils étaient résolus à créer, à la place de l’ancien ordre « absolutiste », un nouvel ordre « constitutionnel » dans les entreprises. Ils commencèrent par déchirer les anciens contrats d’embauche, les vieux règlements et les listes noires honnies. De même que les agents de l’autocratie venaient d’être chassés des commissariats et des services gouvernementaux, de même les ouvriers expulsèrent des usines les personnes les plus liées à l’appareil répressif. A Petrograd, les ouvriers exigeaient le renvoi de tous les membres de la hiérarchie qui leur avaient gâché l’existence, qui s’étaient comportés comme des tyrans, qui avaient abusé de leur autorité, touché des pots-de-vin ou s’étaient mis au service de la police. Quelquefois, les directeurs furent remerciés gentiment, d’autres fois, mis à la porte avec perte et fracas. Aux usines Poutilov, le directeur et son adjoint furent tués par les ouvriers et leurs corps jetés dans le canal Obvodny et quelque quarante membres de la direction furent expulsés pendant les trois premiers « jours de liberté ». A l’atelier des moteurs, Pouzanov, l’ancien chef des Cent-Noirs de l’usine,  fut attaché à une roue de charrette, badigeonné de plomb rouge, ignominieusement traîné hors de l’usine et jeté dans la rue. Dans la briqueterie de la même usine, le contremaître A.V. Spasski fut déchu de ses responsabilités par les ouvriers pour les avoir traités brutalement et obligés à faire des heures supplémentaires, engendrant des accidents comme celui arrivé à un certain S. Skinder qui s’était écroulé d’épuisement à minuit et avait dû être conduit à l’hôpital… »

(Petrograd rouge, Stephen A. SMITH, les nuits rouges, p.81-82)

dimanche 3 septembre 2017

Révolution russe de 1917, Petrograd rouge - extrait (1)


Petrograd rouge, de l’historien britannique Stephen A. Smith, édité par « Les nuits rouges » est un livre remarquable. Il porte sur la classe ouvrière de Petrograd de la Révolution de 1917, rendant profondément concrètes sa mobilisation, les étapes de celle-ci, et les problèmes de son organisation. Nouveaux problèmes exprimant en particulier la concurrence entre comités d’usine, soviets, syndicats, mais qui traduit surtout l’extrême vitalité du prolétariat de la grande capitale du nord lors de ces mois où la mobilisation des travailleurs ébranla le monde. Sur toutes les questions que la nouvelle situation posait, l’auteur évoque de quelle façon, les dirigeants bolcheviks -Lenine en particulier-, dont l’influence ne cessa de croître, tentèrent de répondre aux problèmes d’une situation nouvelle.



         Avant de reprendre dans quelques semaines sur ce blog le fil de notre feuilleton sur la Révolution russe de 1917, que nous avons arrêté à la veille de l’insurrection, nous donnerons dans les jours qui viennent, et dès aujourd’hui, comme un intermède, des extraits de ce livre, Petrograd rouge, sous-titré : « La Révolution dans les usines (1917-1918) ». On peut le commander dans toutes les bonnes librairies, dont Le Presse-papier, à Argenteuil. 

Les conditions de travail à Petrograd à la veille de la révolution

« …Elles étaient particulièrement mauvais dans deux usines dépendant du ministère de la Marine, situées dans l’arrondissement d’Okhta. En décembre 1912, une explosion se produisit dans l’usine d’explosifs qui tua cinq ouvriers et en blessa plus de cinquante. Le directeur, le général Somov, fit de son mieux pour empêcher les députés Sociaux-Démocrates à la Douma de mener une enquête. « De tels accidents arrivent, expliqua-t-il, et continueront de se produire. Je ne suis jamais entré dans l’usine sans faire le signe de la croix. » Sa prévision se trouva confirmée, car en avril 1915, une autre explosion eut lieu dans l’atelier de mélinite de la même usine qui souffla deux ateliers et huit maisons avoisinantes, tuant 110 personne et en blessant 120. Une ouvrière décrivit les conditions de travail dans l’atelier de mélinite où travaillaient 3000 femmes : « Dans le coin où l’on fait le lavage et la pulvérisation, l’air est si suffocant et empoissonné que quelqu’un qui n’est pas habitué ne peut pas y rester plus de cinq à dix minutes. Tout votre corps s’y empoisonne. » Le 31 mars 1917, il y eut encore une autre explosion dans la même usine, tuant quatre ouvriers et en blessant deux. Quelques jours plus tard, un ouvrier de l’usine fit la déclaration suivante à la Conférence des délégués (oupolnomotchennyé) des usines placées sous l’autorité de la direction de l’Artillerie : « Nous travaillons sur un volcan. Toute l’usine est envahie d’explosifs, de bombes et d’obus (…), mais la direction dit que ce n’est pas de sa responsabilité et nous renvoie vers la direction de l’Artillerie. » les conditions de travail à l’usine d’Okhta étaient notoirement mauvaises -on reconnaissait les femmes qui y travaillaient à leur peau jaune-, mais elles n’avaient rien d’exceptionnel… »

samedi 2 septembre 2017

Révolution russe de 1917 (31) Début septembre : l’irrésistible progression des bolchéviks dans les soviets


Début septembre : l’irrésistible progression des bolchéviks dans les soviets 

La tentative de coup d’État du général Kornilov et son échec, grâce à la mobilisation du prolétariat, accroissaient considérablement l’influence des bolcheviks. Réduits à une quasi-illégalité depuis les journées de Juillet, emprisonnés comme Trotsky, ou contraints à la clandestinité comme Lénine, ils sont maintenant reconnus comme ceux qui avaient prévu la menace contre-révolutionnaire. Ils ont dénoncé la politique conciliatrice envers les forces bourgeoises des partis menchevique et socialiste-révolutionnaire (SR), qui a favorisé la montée de la contre-révolution ; ils ont reconnu et exprimé les aspirations révolutionnaires des masses. Voici comment Antonov-Ovseenko, cadre bolchévique qui mènera les opérations lors de l’insurrection d’Octobre sous la direction de Trotsky, décrit cette période dans ses Mémoires, publiés en russe :
« Ces messieurs (SR et mencheviks représentant le comité central exécutif du soviet de Petrograd) n’avaient rien appris. Leur moulin à paroles brassait du vent. Et ils ne l’avaient pas remarqué. Le 31 août, le soviet de Petrograd avait adopté une résolution tirée du programme bolchevique, mais ils étaient convaincus que c’était fortuit et qu’ils allaient vite rétablir la situation. Le 9 septembre, ils convoquèrent une séance plénière du soviet de Petrograd, et Tchkhéidzé (président menchevique du soviet) annonça officiellement la démission du bureau du comité exécutif, étant donné l’adoption d’une résolution contraire à sa ligne politique. Escomptant la majorité, le bloc conciliateur proposa alors de refuser cette démission. On vota en sortant de la salle. Il y eut 414 voix pour le bureau et sa politique conciliatrice, 519 voix contre, et 69 abstentions. La démission fut retenue !
Une nouvelle direction fut alors constituée à partir des bureaux de la section des ouvriers et de celle des soldats. Dans la section ouvrière, nous étions majoritaires ; la section des soldats n’ayant pas encore procédé à une réélection de son bureau, les mencheviks et les SR y avaient la majorité. Quelques jours plus tard, de nouvelles élections eurent lieu dans la section des soldats du soviet : son bureau passa également dans nos mains.
Le soviet de Petrograd, de principal appui à la politique conciliatrice, était devenu le principal appui à la lutte contre cette politique. Après le putsch de Kornilov, cela se passa presque partout de cette façon.
Le Vtsik (comité exécutif central panrusse des soviets) recevait des centaines de décisions, de télégrammes, des quatre coins du pays. Presque tous contenaient une condamnation du gouvernement provisoire, l’exigence d’établir un pouvoir socialiste homogène (sans participation des représentants des partis bourgeois). En réponse à la tentative de coup d’État de Kornilov, les masses ouvrières et paysannes ainsi que la masse des soldats s’étaient mises en mouvement en profondeur. Elles s’étaient armées fiévreusement, s’étaient organisées et préparées à la lutte contre le général blanc et ses complices. Et pour s’y préparer, pour lutter, elles voyaient notre parti comme la seule direction fiable et allant de soi.
Dans toute une série de soviets de province et de district, nous conquîmes la majorité. Le 6 septembre, le plénum du soviet de Moscou adopta la résolution du 31 août du soviet de Petrograd (qui réclamait le passage du pouvoir aux ouvriers et aux paysans). Le bureau du comité exécutif de Moscou était à nous.
Déjà lors du putsch de Kornilov, le pouvoir était passé en plusieurs endroits aux comités révolutionnaires constitués pour défaire la contre-révolution. Ces comités conservèrent ce pouvoir jusqu’à ce que soit matée la révolte du général, en s’appuyant sur les ouvriers et les soldats en armes. De fait, on avait là la réalisation du pouvoir soviétique. C’était la renaissance des soviets en tant qu’organes de la lutte révolutionnaire.
Kerenski, à l’évidence, le comprenait. Le 4 septembre il ordonna de dissoudre les comités révolutionnaires, les comités de salut et de défense de la révolution, constitués " dans le but de lutter contre la révolte de Kornilov dans les villes, les campagnes, les gares… Dorénavant, il ne doit plus y avoir d’actions hors du cadre de la loi, et le gouvernement provisoire les combattra. " Mais même le comité populaire pour la lutte contre la contre-révolution, qui dépendait du comité exécutif central, refusa de se soumettre à cet ordre de Kerenski… Et le parti (bolchevique) reprit son slogan (abandonné lorsque les soviets s’étaient trouvés un temps enchaînés à la politique probourgeoise des conciliateurs) : " Tout le pouvoir aux soviets, dans la capitale comme partout ! "
L’influence de notre parti avait cru de façon immense et irrésistible. »

vendredi 1 septembre 2017

Révolution russe de 1917 (30) : Août-septembre 1917 : le putsch manqué de Kornilov


Août-septembre : le putsch manqué de Kornilov

Le général Kornilov, nommé par Kerenski à la tête des armées, se proclame sauveur de la Sainte Russie, veut instaurer sa dictature et en finir avec la révolution. Il lui faut pour cela écarter Kerenski. Ce dernier, sachant ce qui l’attend, ne voit d’autre issue que d’appeler à l’aide le prolétariat de la capitale et ses organisations, y compris le Parti bolchevique. Sans attendre, les marins de Cronstadt, qui avaient débarqué à Petrograd pour faire face aux redoutables cosaques de la Division sauvage, commencent par sortir de prison Trotsky et d’autres dirigeants du Parti bolchevique. En 48 heures, ceux-ci vont coordonner la grève générale et la mobilisation des soviets contre le coup d’État. Le journaliste anglais Albert Rhyss Williams le relate dans son livre-témoignage À travers la révolution russe :
« La bourgeoisie, soutenue par les Alliés et l’état-major, était également déterminée à continuer la guerre. Elle en attendait trois choses : 1° La guerre continuerait à leur donner d’énormes profits basés sur les contrats passés avec l’armée. 2° En cas de victoire, elle leur donnerait comme part de butin les Détroits et Constantinople. 3° Elle leur donnerait une chance d’écarter la demande la plus impérieuse des masses au sujet de la terre et des usines.
Ils pratiquaient la sagesse de Catherine la Grande, qui disait : « Pour sauver notre Empire de l’empire du peuple, le moyen est de déclarer une guerre et ainsi de substituer la passion nationale aux aspirations sociales. » Maintenant, les aspirations sociales des masses russes mettaient en danger le pouvoir bourgeois sur la terre et le capital. Mais, si la guerre continuait, le moment de rendre des comptes aux masses serait reculé. Les énergies absorbées par la guerre ne pourraient pas être employées à continuer la révolution. « Continuons la guerre jusqu’à la victoire » devenait le cri de ralliement de la bourgeoisie.
Mais le gouvernement de Kerenski ne pouvait pas contrôler les soldats. Ils ne répondaient plus à l’éloquence romantique de cet homme. La bourgeoisie chercha un homme d’armes. « La Russie doit avoir un homme énergique qui ne tolérera pas la folie révolutionnaire, mais qui gouvernera avec une main de fer, disaient-ils. Ayons un dictateur. »
Comme homme d’armes, ils choisirent le général Kornilov. À la conférence de Moscou, il avait gagné le cœur de la bourgeoisie en demandant une police de sang et de fer. De sa propre initiative, il avait introduit la peine de mort dans l’armée. Avec des mitrailleuses, il avait massacré des bataillons de soldats réfractaires et avait jeté leurs corps raidis dans les fossés. Il déclarait que seul un remède de cette énergie pouvait guérir les maladies de la Russie.
Le 9 septembre [27 août pour le calendrier russe d’alors – NdR], Kornilov publia la proclamation suivante : « Notre grand pays agonise sous la pression de la majorité bolchevique du soviet. Le gouvernement Kerenski agit en complet accord avec l’état-major allemand. Que ceux qui croient en Dieu et aux Églises prient le Seigneur de faire le miracle de sauver notre patrie. » Il retira du front soixante-dix mille hommes — beaucoup d’entre eux étaient des musulmans —, sa garde du corps turque, des cavaliers tartares et des montagnards circassiens. Les officiers jurèrent sur la garde de leurs épées que, lorsqu’ils auraient pris Petrograd, les socialistes athées seraient obligés d’achever la construction de la grande mosquée sous peine d’être fusillés. Avec des avions, des autos blindées anglaises et la Division sauvage assoiffée de sang, Kornilov s’avança sur Petrograd au nom de Dieu et d’Allah. Mais il ne prit pas la ville.
Au nom des soviets et de la révolution, les masses se levèrent comme un seul homme pour la défense de la capitale. Kornilov fut déclaré traître et hors la loi. Les arsenaux furent ouverts et des fusils mis entre les mains des ouvriers. Les gardes rouges circulèrent en patrouilles dans les rues, des tranchées furent creusées, des barricades élevées en hâte. Des socialistes musulmans se trouvaient dans les rangs de la Division sauvage. Au nom de Marx et de Mahomet, ils exhortèrent les montagnards à ne pas marcher contre la révolution. Leurs plaidoyers et leurs arguments prévalurent. Les forces de Kornilov fondirent et le dictateur fut fait prisonnier avant d’avoir tiré un coup de fusil. Les bourgeois furent accablés de voir que l’espoir de la contre-révolution tombait si facilement sous les coups de la révolution.
Les prolétaires se trouvaient encouragés dans la même mesure. Ils voyaient combien leurs forces et leurs unités avaient de puissance. Ils sentaient de nouveau quelle solidarité liait toutes les fractions des masses travailleuses. Les tranchées et l’usine s’acclamaient. Les soldats et les ouvriers n’oublièrent pas de rendre un tribut spécial aux marins pour le grand rôle qu’ils jouèrent dans l’affaire. »
La démonstration était faite : pour sauver la révolution, il faudrait rapidement en finir avec le pouvoir de la bourgeoisie, en concentrant le pouvoir dans les mains des ouvriers et des paysans pauvres.

jeudi 31 août 2017

Révolution russe de 1917 (29) : août 1917 : la classe ouvrière relève la tête


Août 1917 : la classe ouvrière relève la tête

En août 1917, les classes dirigeantes et les principaux chefs militaires, dont le commandant en chef, Kornilov, ne cachent plus leur volonté d’écraser définitivement la révolution. À la tête du gouvernement, Kerenski partage leurs aspirations. Ayant lancé les armées russes dans une nouvelle offensive, rétabli la peine de mort au front et assuré l’impérialisme français et britannique de sa fidélité aux buts de guerre de la Russie tsariste, il tente de se maintenir au pouvoir en prétendant maintenir un équilibre entre les aspirations révolutionnaires des masses ouvrières et des soldats et les objectifs contre-révolutionnaires des généraux sur lesquels il s’appuie. La classe ouvrière, qui ne veut plus entendre parler de guerre et de vaines promesses, a repris espoir. Elle se tourne massivement vers les bolcheviks et continue d’apprendre en agissant. Dans Les dix jours qui ébranlèrent le monde, le socialiste et journaliste américain John Reed, qui découvre alors la Russie, rend compte de cette effervescence.
« Sur le front, les soldats luttaient contre les officiers et apprenaient à se gouverner eux-mêmes, au moyen de leurs comités. Dans les usines, les comités d’usines, ces organisations russes uniques, gagnaient de l’expérience et de la force et réalisaient leur mission historique en luttant avec l’ancien ordre des choses. Toute la Russie apprenait à lire, et elle lisait — l’économie politique, l’histoire — parce que le peuple désirait savoir. Dans toutes les villes, grandes et petites, sur le front, chaque fraction politique avait son journal, quelquefois elle en avait même plusieurs. Des pamphlets, par centaines de mille, étaient distribués par des milliers d’organisations et répandus dans les armées, dans les villages, les usines, les rues. La soif d’instruction, si longtemps réprimée, avec la révolution prit la forme d’un véritable délire.
Du seul Institut Smolny [le quartier général du Parti bolchevik], pendant les six premiers mois, sortaient chaque jour des trains et des voitures chargés de littérature pour saturer le pays. La Russie, insatiable, absorbait toute matière imprimée comme le sable chaud absorbe de l’eau. Et ce n’était point des fables, de l’histoire falsifiée, de la religion diluée et des romans corrupteurs à bon marché, mais les théories sociales et économiques, de la philosophie, les œuvres de Tolstoï, de Gogol et Gorki...
Ensuite vinrent les discours (…). Les conférences, les débats, les discours aux théâtres, aux cirques, dans les écoles, dans les clubs, dans les lieux de réunion des soviets, dans les sièges des syndicats, dans les casernes... Les meetings dans les tranchées, sur les places publiques des villages, dans les usines... Quel spectacle magnifique de voir l’usine Poutilov verser ses quarante mille ouvriers pour entendre les socialistes démocrates, les socialistes-révolutionnaires, les anarchistes ou qui que ce soit, pourvu qu’ils aient quelque chose à dire. Pendant des mois entiers, à Petrograd et dans toute la Russie, chaque coin de rue était devenu une tribune publique. Dans les trains, dans les tramways, partout éclataient des débats improvisés...
Les conférences et les congrès panrusses rassemblaient les hommes de deux continents : les réunions des soviets, des coopératives, des zemstvos, des nationalités, des prêtres, des paysans, des partis politiques ; la Conférence démocratique, la conférence de Moscou, le Conseil de la République russe. Trois ou quatre congrès avaient toujours lieu en même temps à Petrograd. On essayait en vain de limiter le temps accordé aux orateurs, chacun restait libre d’exprimer sa pensée.
Nous avons visité le front de la 12e armée, à l’arrière de Riga, où les hommes, affamés, malades, sans chaussures, languissaient dans la boue horrible des tranchées ; lorsqu’ils nous virent, ils se dressèrent avec leurs maigres figures, leur chair, bleuie par le froid, qu’on apercevait à travers leurs vêtements déchirés, nous demandant avidement : “Nous avez-vous apporté quelque chose à lire ?”»
La contre-révolution allait se briser sur cette force fantastique et cette conscience grandissante dans les semaines suivantes, avant d’être balayée par la classe ouvrière en octobre.

 

mercredi 30 août 2017

Révolution russe de 1917 (28) : Moscou, août 1917 : la mascarade de la conférence d’État


Moscou, août 1917 : la mascarade de la conférence d’État

Tandis que la classe ouvrière reprend confiance dans ses forces après les coups que la contre-révolution lui a portés en juillet, Kerenski invite à une conférence d’État les représentants du patronat, des syndicats, de l’état-major, des églises et des partis politiques, à l’exception des seuls bolcheviks. Se présentant en arbitre et en médiateur, Kerenski pose au défenseur de la révolution tout en annonçant qu’il continuera la guerre et mènera les armées russes jusqu’à la victoire. Le menchevik Soukhanov, un des principaux témoins et mémorialiste de l’année 1917, décrit l’ambiance qui règne alors à Moscou et l’impuissance des serviteurs de la bourgeoisie qui s’y trouvent réunis.
« Toute la bourgeoisie et toute la démocratie se préparaient à la sensationnelle conférence d’État depuis les premiers jours d’août. Mais personne ne connaissait l’objectif de cette étrange et complexe entreprise. Les journaux essayaient d’intéresser l’homme de la rue à cet événement et y parvenaient. L’homme de la rue, sentant un malaise dans la révolution, imaginait cette conférence comme un remède.(…)
Le 11 août au soir, je quittai la campagne de Yaroslav pour Moscou. Le train était bondé. Usant de mon titre de membre du Comité exécutif, je pus néanmoins pénétrer dans un wagon de service réservé aux militaires qui était presque vide. Je me sentais comblé ! Mais j’eus une aventure désagréable : assez naïf pour enlever mes bottes dans ce wagon militaire bien gardé, je me réveillai deux heures plus tard sans chaussures. La conscience du ridicule de la situation m’empêcha de me rendormir.
À la gare de Moscou, étonnant la foule par mes chaussettes, je parvins jusqu’au bureau du chef de gare où, pendant deux heures, je téléphonai à des amis, dans l’espoir d’obtenir une paire de souliers. C’était là un petit trait caractéristique des voyages à cette époque !...
Je dus attendre longtemps. Puis, les tramways ne circulaient pas dans Moscou, les fiacres étaient rares. Il y avait, en effet, une grève dans la ville, assez imposante pour manifester la volonté des masses. Elle touchait une série d’usines et toutes les entreprises municipales, à l’exception des services vitaux pour la population. Toute cette armée de travailleurs avait suivi les bolcheviks contre leur soviet. Vers le soir, la démonstration devait se faire plus impressionnante encore : Moscou allait être plongée dans l’obscurité car l’usine à gaz était, elle aussi, en grève.
Ayant chaussé les énormes souliers qu’on m’avait fait parvenir, je partis à pied à la recherche de la délégation soviétique. (…) La magnifique salle du théâtre Bolchoï était généreusement illuminée. Du haut en bas, elle se trouvait bondée d’une foule solennelle et brillante. La fine fleur de la société russe se trouvait là ! Parmi les gens connus de la politique, les grands et les petits, seuls étaient absents quelques malchanceux. (…)
J’avais manqué l’ouverture. Avant même d’apercevoir la tribune, j’entendis la voix de Kerenski qui prononçait, sur un mode pathétique et dans un registre très haut, son premier discours au nom du Gouvernement provisoire. Mais je ne vais pas rendre compte du cours des travaux de la conférence. Elle n’était en aucune façon destinée à la constitution d’un gouvernement qui était déjà constitué. Tout le monde en était content et il n’y avait pas à chercher mieux. Servir de substitut à un parlement n’était pas non plus son rôle. Pour quoi faire ? Kerenski et ses collègues n’étaient responsables que devant leur conscience. Pouvait-elle révéler quelque chose de nouveau quant aux besoins du pays ? Mais nous étions dans une période où fleurissaient des milliers de journaux, il était impossible d’améliorer l’information. Il ne lui restait qu’une possibilité : la conférence devait étouffer l’opinion de “toute la démocratie” à l’aide de l’opinion de “tout le pays”…
Ainsi, on obligerait les soviets à s’effacer devant la volonté du reste de la population, réclamant une politique « d’union nationale ». En même temps, elle muselait les extrémistes de droite dans leur rêve d’une dictature militaire. C’était aussi médiocre et naïf que cela et je ne trouve pas d’autre explication à cette inepte initiative. » Ainsi que l’écrit Trotsky, cette réunion avait été une mascarade, elle « s’acheva par un échec qui était sûr d’avance. Elle ne créa rien, ne résolut rien ». Elle avait révélé en revanche l’étendue de la gangrène affectant le gouvernement politique et ses soutiens ».

mardi 29 août 2017

Révolution russe de 1917 (27) : juillet 1917 : les premiers pas du bonapartisme


Juillet : les premiers pas du bonapartisme 

En réprimant la fraction la plus avancée du prolétariat à Petrograd, le gouvernement provisoire désormais dirigé par Kerenski et où dominaient les ministres bourgeois du Parti cadet avait mécaniquement renforcé les forces opposées à la révolution et à son propre pouvoir. Connaissant parfaitement le déroulement de la Révolution française et son issue, l’arrivée au pouvoir du général Bonaparte par un coup d’État, les dirigeants du Parti bolchevique ne manquèrent pas de faire le parallèle. Dans l’ascension de Kerenski et de son chef d’état-major, Kornilov, ils voyaient se profiler ce danger du bonapartisme. Lénine s’en explique à la fin juillet 1917 (le 11 août, selon notre calendrier) :
« Le ministère Kerenski est incontestablement celui des premiers pas du bonapartisme. Le principal caractère historique du bonapartisme s’y trouve nettement affirmé : le pouvoir d’État, s’appuyant sur la clique militaire (sur les pires éléments de l’armée), louvoie entre deux classes et forces sociales hostiles qui s’équilibrent plus ou moins.
La lutte de classe entre la bourgeoisie et le prolétariat atteint son plus haut degré d’acuité : les 20 et 21 avril, puis du 3 au 5 juillet, le pays a été à un cheveu de la guerre civile. Ce facteur économique et social ne constitue-t-il pas la base classique du bonapartisme ? D’autres, tout à fait connexes, viennent en outre s’y ajouter : la bourgeoisie jette feu et flamme contre les Soviets, mais ne peut pas encore les dissoudre d’un seul coup et les Soviets, prostitués par les Tsérétéli, les Tchernov [les dirigeants des partis menchevique et socialiste-révolutionnaire] et consorts, ne peuvent déjà plus opposer à la bourgeoisie une résistance sérieuse.
Les grands propriétaires fonciers et les paysans vivent aussi dans une ambiance de veille de guerre civile : les paysans exigent la terre et la liberté et ne peuvent être bridés – si seulement ils peuvent l’être – que par un gouvernement bonapartiste capable de prodiguer sans vergogne, à toutes les classes, des promesses dont aucune ne sera tenue.
Ajoutez à cela les défaites militaires provoquées par une offensive aventureuse, avec son cortège de plus en plus nombreux de phrases sur le salut de la patrie (qui voilent en réalité le désir de sauver le programme impérialiste de la bourgeoisie), et vous obtiendrez un tableau complet de la situation politique et sociale qui caractérise le bonapartisme. (…)
Mais reconnaître l’inéluctabilité du bonapartisme, ce n’est nullement oublier l’inéluctabilité de sa faillite. (…)
Que le parti dise hautement et clairement au peuple la Vérité sans réticences, qu’il dise que nous assistons aux débuts du bonapartisme ; que le « nouveau » gouvernement Kerenski, Avksentiev (le ministre de l’Intérieur) et Cie n’est qu’un paravent derrière lequel se dissimulent les cadets contre-révolutionnaires et la clique militaire, véritables détenteurs du pouvoir ; que le peuple n’aura pas la paix, que les paysans n’auront pas la terre, que les ouvriers n’auront pas la journée de 8 heures, que les affamés n’auront pas de pain sans liquidation complète de la contre-révolution. Que le parti le dise, et le développement des événements montrera, à chacune de ses phases, que le parti a raison.
La Russie a traversé, à vive allure, une période pendant laquelle les partis petits-bourgeois socialiste-révolutionnaire et menchevique eurent la confiance de la majorité du peuple. Dès à présent, la majorité des masses laborieuses commence à payer chèrement cette confiance.
Tout indique que les événements continuent à se dérouler à très vive allure et que le pays approche de la phase suivante pendant laquelle la majorité des travailleurs se verront obligés de confier leur sort au prolétariat révolutionnaire. Le prolétariat révolutionnaire prendra le pouvoir, commencera la révolution socialiste, ralliera autour d’elle, en dépit de toutes les difficultés et de tous les zigzags possibles du développement ultérieur, les prolétaires de tous les pays avancés et vaincra la guerre et le capitalisme. »
C’était annoncer très précisément ce qui allait survenir deux mois plus tard.

lundi 28 août 2017

Révolution russe de 1917 (26) Août-septembre 1917 : le putsch manqué de Kornilov


Août-septembre : le putsch manqué de Kornilov

Le général Kornilov, nommé par Kerenski à la tête des armées, se proclame sauveur de la Sainte Russie, veut instaurer sa dictature et en finir avec la révolution. Il lui faut pour cela écarter Kerenski. Ce dernier, sachant ce qui l’attend, ne voit d’autre issue que d’appeler à l’aide le prolétariat de la capitale et ses organisations, y compris le Parti bolchevique. Sans attendre, les marins de Cronstadt, qui avaient débarqué à Petrograd pour faire face aux redoutables cosaques de la Division sauvage, commencent par sortir de prison Trotsky et d’autres dirigeants du Parti bolchevique. En 48 heures, ceux-ci vont coordonner la grève générale et la mobilisation des soviets contre le coup d’État. Le journaliste anglais Albert Rhyss Williams le relate dans son livre-témoignage À travers la révolution russe :
« La bourgeoisie, soutenue par les Alliés et l’état-major, était également déterminée à continuer la guerre. Elle en attendait trois choses : 1° La guerre continuerait à leur donner d’énormes profits basés sur les contrats passés avec l’armée. 2° En cas de victoire, elle leur donnerait comme part de butin les Détroits et Constantinople. 3° Elle leur donnerait une chance d’écarter la demande la plus impérieuse des masses au sujet de la terre et des usines.
Ils pratiquaient la sagesse de Catherine la Grande, qui disait : « Pour sauver notre Empire de l’empire du peuple, le moyen est de déclarer une guerre et ainsi de substituer la passion nationale aux aspirations sociales. » Maintenant, les aspirations sociales des masses russes mettaient en danger le pouvoir bourgeois sur la terre et le capital. Mais, si la guerre continuait, le moment de rendre des comptes aux masses serait reculé. Les énergies absorbées par la guerre ne pourraient pas être employées à continuer la révolution. « Continuons la guerre jusqu’à la victoire » devenait le cri de ralliement de la bourgeoisie.
Mais le gouvernement de Kerenski ne pouvait pas contrôler les soldats. Ils ne répondaient plus à l’éloquence romantique de cet homme. La bourgeoisie chercha un homme d’armes. « La Russie doit avoir un homme énergique qui ne tolérera pas la folie révolutionnaire, mais qui gouvernera avec une main de fer, disaient-ils. Ayons un dictateur. »
Comme homme d’armes, ils choisirent le général Kornilov. À la conférence de Moscou, il avait gagné le cœur de la bourgeoisie en demandant une police de sang et de fer. De sa propre initiative, il avait introduit la peine de mort dans l’armée. Avec des mitrailleuses, il avait massacré des bataillons de soldats réfractaires et avait jeté leurs corps raidis dans les fossés. Il déclarait que seul un remède de cette énergie pouvait guérir les maladies de la Russie.
Le 9 septembre [27 août pour le calendrier russe d’alors – NdR], Kornilov publia la proclamation suivante : « Notre grand pays agonise sous la pression de la majorité bolchevique du soviet. Le gouvernement Kerenski agit en complet accord avec l’état-major allemand. Que ceux qui croient en Dieu et aux Églises prient le Seigneur de faire le miracle de sauver notre patrie. » Il retira du front soixante-dix mille hommes — beaucoup d’entre eux étaient des musulmans —, sa garde du corps turque, des cavaliers tartares et des montagnards circassiens. Les officiers jurèrent sur la garde de leurs épées que, lorsqu’ils auraient pris Petrograd, les socialistes athées seraient obligés d’achever la construction de la grande mosquée sous peine d’être fusillés. Avec des avions, des autos blindées anglaises et la Division sauvage assoiffée de sang, Kornilov s’avança sur Petrograd au nom de Dieu et d’Allah. Mais il ne prit pas la ville.
Au nom des soviets et de la révolution, les masses se levèrent comme un seul homme pour la défense de la capitale. Kornilov fut déclaré traître et hors la loi. Les arsenaux furent ouverts et des fusils mis entre les mains des ouvriers. Les gardes rouges circulèrent en patrouilles dans les rues, des tranchées furent creusées, des barricades élevées en hâte. Des socialistes musulmans se trouvaient dans les rangs de la Division sauvage. Au nom de Marx et de Mahomet, ils exhortèrent les montagnards à ne pas marcher contre la révolution. Leurs plaidoyers et leurs arguments prévalurent. Les forces de Kornilov fondirent et le dictateur fut fait prisonnier avant d’avoir tiré un coup de fusil. Les bourgeois furent accablés de voir que l’espoir de la contre-révolution tombait si facilement sous les coups de la révolution.
Les prolétaires se trouvaient encouragés dans la même mesure. Ils voyaient combien leurs forces et leurs unités avaient de puissance. Ils sentaient de nouveau quelle solidarité liait toutes les fractions des masses travailleuses. Les tranchées et l’usine s’acclamaient. Les soldats et les ouvriers n’oublièrent pas de rendre un tribut spécial aux marins pour le grand rôle qu’ils jouèrent dans l’affaire. »
La démonstration était faite : pour sauver la révolution, il faudrait rapidement en finir avec le pouvoir de la bourgeoisie, en concentrant le pouvoir dans les mains des ouvriers et des paysans pauvres.

dimanche 27 août 2017

Révolution russe de 1917 (23) : juillet 1917 : les premiers pas du bonapartisme


Juillet : les premiers pas du bonapartisme 

En réprimant la fraction la plus avancée du prolétariat à Petrograd, le gouvernement provisoire désormais dirigé par Kerenski et où dominaient les ministres bourgeois du Parti cadet avait mécaniquement renforcé les forces opposées à la révolution et à son propre pouvoir. Connaissant parfaitement le déroulement de la Révolution française et son issue, l’arrivée au pouvoir du général Bonaparte par un coup d’État, les dirigeants du Parti bolchevique ne manquèrent pas de faire le parallèle. Dans l’ascension de Kerenski et de son chef d’état-major, Kornilov, ils voyaient se profiler ce danger du bonapartisme. Lénine s’en explique à la fin juillet 1917 (le 11 août, selon notre calendrier) :
« Le ministère Kerenski est incontestablement celui des premiers pas du bonapartisme. Le principal caractère historique du bonapartisme s’y trouve nettement affirmé : le pouvoir d’État, s’appuyant sur la clique militaire (sur les pires éléments de l’armée), louvoie entre deux classes et forces sociales hostiles qui s’équilibrent plus ou moins.
La lutte de classe entre la bourgeoisie et le prolétariat atteint son plus haut degré d’acuité : les 20 et 21 avril, puis du 3 au 5 juillet, le pays a été à un cheveu de la guerre civile. Ce facteur économique et social ne constitue-t-il pas la base classique du bonapartisme ? D’autres, tout à fait connexes, viennent en outre s’y ajouter : la bourgeoisie jette feu et flamme contre les Soviets, mais ne peut pas encore les dissoudre d’un seul coup et les Soviets, prostitués par les Tsérétéli, les Tchernov [les dirigeants des partis menchevique et socialiste-révolutionnaire] et consorts, ne peuvent déjà plus opposer à la bourgeoisie une résistance sérieuse.
Les grands propriétaires fonciers et les paysans vivent aussi dans une ambiance de veille de guerre civile : les paysans exigent la terre et la liberté et ne peuvent être bridés – si seulement ils peuvent l’être – que par un gouvernement bonapartiste capable de prodiguer sans vergogne, à toutes les classes, des promesses dont aucune ne sera tenue.
Ajoutez à cela les défaites militaires provoquées par une offensive aventureuse, avec son cortège de plus en plus nombreux de phrases sur le salut de la patrie (qui voilent en réalité le désir de sauver le programme impérialiste de la bourgeoisie), et vous obtiendrez un tableau complet de la situation politique et sociale qui caractérise le bonapartisme. (…)
Mais reconnaître l’inéluctabilité du bonapartisme, ce n’est nullement oublier l’inéluctabilité de sa faillite. (…)
Que le parti dise hautement et clairement au peuple la Vérité sans réticences, qu’il dise que nous assistons aux débuts du bonapartisme ; que le « nouveau » gouvernement Kerenski, Avksentiev (le ministre de l’Intérieur) et Cie n’est qu’un paravent derrière lequel se dissimulent les cadets contre-révolutionnaires et la clique militaire, véritables détenteurs du pouvoir ; que le peuple n’aura pas la paix, que les paysans n’auront pas la terre, que les ouvriers n’auront pas la journée de 8 heures, que les affamés n’auront pas de pain sans liquidation complète de la contre-révolution. Que le parti le dise, et le développement des événements montrera, à chacune de ses phases, que le parti a raison.
La Russie a traversé, à vive allure, une période pendant laquelle les partis petits-bourgeois socialiste-révolutionnaire et menchevique eurent la confiance de la majorité du peuple. Dès à présent, la majorité des masses laborieuses commence à payer chèrement cette confiance.
Tout indique que les événements continuent à se dérouler à très vive allure et que le pays approche de la phase suivante pendant laquelle la majorité des travailleurs se verront obligés de confier leur sort au prolétariat révolutionnaire. Le prolétariat révolutionnaire prendra le pouvoir, commencera la révolution socialiste, ralliera autour d’elle, en dépit de toutes les difficultés et de tous les zigzags possibles du développement ultérieur, les prolétaires de tous les pays avancés et vaincra la guerre et le capitalisme. »
C’était annoncer très précisément ce qui allait survenir deux mois plus tard.