Quand la peur changeait de camp…
« …
le renversement de la dynastie des Romanov plongea les ouvriers dans une sorte
d’euphorie. Ils retournèrent dans leurs usines déterminés à balayer l’ancien
régime dans les lieux de travail de la même façon qu’ils venaient d’être
balayés plus largement dans la société. Ils étaient résolus à créer, à la place
de l’ancien ordre « absolutiste », un nouvel ordre
« constitutionnel » dans les entreprises. Ils commencèrent par
déchirer les anciens contrats d’embauche, les vieux règlements et les listes
noires honnies. De même que les agents de l’autocratie venaient d’être chassés
des commissariats et des services gouvernementaux, de même les ouvriers
expulsèrent des usines les personnes les plus liées à l’appareil répressif. A
Petrograd, les ouvriers exigeaient le renvoi de tous les membres de la
hiérarchie qui leur avaient gâché l’existence, qui s’étaient comportés comme
des tyrans, qui avaient abusé de leur autorité, touché des pots-de-vin ou
s’étaient mis au service de la police. Quelquefois, les directeurs furent
remerciés gentiment, d’autres fois, mis à la porte avec perte et fracas. Aux
usines Poutilov, le directeur et son adjoint furent tués par les ouvriers et
leurs corps jetés dans le canal Obvodny et quelque quarante membres de la
direction furent expulsés pendant les trois premiers « jours de
liberté ». A l’atelier des moteurs, Pouzanov, l’ancien chef des Cent-Noirs
de l’usine, fut attaché à une roue de
charrette, badigeonné de plomb rouge, ignominieusement traîné hors de l’usine
et jeté dans la rue. Dans la briqueterie de la même usine, le contremaître A.V.
Spasski fut déchu de ses responsabilités par les ouvriers pour les avoir
traités brutalement et obligés à faire des heures supplémentaires, engendrant
des accidents comme celui arrivé à un certain S. Skinder qui s’était écroulé
d’épuisement à minuit et avait dû être conduit à l’hôpital… »
(Petrograd rouge, Stephen A.
SMITH, les nuits rouges, p.81-82)
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