Depuis des années, la chanson répétée par nombre de
militants de gauche et par certains syndicalistes est un air très nostalgique concernant
le programme du Conseil National de la Résistance. Sa démolition est le
leitmotiv de leur dénonciation des reculs subis depuis des décennies, et il
s’agit pour eux de le donner comme référence aux combats de demain. La réalité
de ce que fut le CNR est très loin des illusions que ses chantres diffusent à
foison. Ce n’est certainement pas la référence que nous devons avoir en tête
pour préparer nos combats nécessaires. L’article ci-dessous dans
l’avant-dernier numéro de notre hebdomadaire revient sur ce sujet et remet les
pendules à l’heure. DM
Le
programme du CNR : tromperies d’hier et d’aujourd’hui
28 Avril 2020
Devant la crise sociale qui
commence, la vague de licenciements déjà programmée, les milliards d’euros de
cadeaux aux grandes entreprises qu’il faudra bien payer et les situations,
comparables voire plus explosives encore, dans tous les pays du monde, les
références au Conseil national de la Résistance (CNR) se multiplient du côté de
la gauche, et pas seulement.
Du PCF au PS, de Mélenchon au
porte-parole des Verts, le programme du CNR de 1943 est présenté comme le
fondement d’une République sociale, parée de toutes les vertus et qui
aujourd’hui encore pourrait tirer le pays d’un mauvais pas.
Le CNR et les gouvernements qui
l’ont suivi voulaient d’abord éviter à la bourgeoisie française que la fin de
la guerre ne débouche sur une crise révolutionnaire. Formé en 1943, fédérant
les divers mouvements de résistance derrière De Gaulle, il voulait constituer
l’appareil politique capable de prendre les rênes de l’État, une fois les
armées allemandes parties et le régime de Vichy effondré. La bourgeoisie
française, après avoir soutenu Pétain et fait ses affaires avec l’Allemagne,
redoutait deux périls. D’une part, elle voulait garder son empire colonial en
dépit de la volonté des peuples colonisés et de la concurrence américaine.
D’autre part, unie en cela avec les impérialismes américain et britannique et
la bureaucratie de Staline, elle voulait éviter une révolution sociale au
sortir de la guerre et donc s’assurer de la continuité de l’État. Le souvenir
de la période révolutionnaire de 1917-1920 était encore cuisant. Le CNR
réalisait donc l’union nationale de tous les partis de conservation sociale,
mis à part les débris accrochés à Pétain qui n’avaient pas su changer
d’uniforme à temps. De Gaulle en était la figure de proue, le PCF l’appareil
réel, fort du dévouement de dizaines de milliers de militants aptes à
influencer la classe ouvrière.
Le CNR, gaullistes compris, ne
pouvait pas promettre de revenir aux jours d’avant, c’est-à-dire à une
troisième République vermoulue, qui n’avait tenu aucune des promesses de 1936
et s’était honteusement transformée en « État français » sous Pétain.
Il ne pouvait évidemment que promettre des jours heureux, dire qu’il rognerait
les dents du capital, qu’il assurerait la liberté de la presse, la retraite des
vieux travailleurs et les assurances sociales.
Son programme économique
comprenait la nationalisation des industries clés, de l’énergie, des
transports, des banques. Faire repartir l’économie le nécessitait et puis
quelle meilleure façon de racheter aux grands patrons les secteurs à la fois
sinistrés et indispensables et de leur permettre de reprendre leurs affaires
avec des capitaux frais dans des secteurs neufs ? Car les nationalisations
furent payées rubis sur l’ongle.
Le CNR se transforma dès 1944 en
gouvernement provisoire, avec des ministres du PCF et du PS, puis en
gouvernement tout court après le débarquement du 6 juin et la progression des
armées américaines. Grâce à l’union nationale, c’est-à-dire avant tout grâce au
poids du PCF dans la classe ouvrière, la transition politique s’effectua sans
difficulté. Les travailleurs furent remis au travail et durent serrer les dents
pendant des années avant de retrouver, non pas des jours heureux, mais des
horaires normaux, la fin des cartes d’alimentation et des hébergements
provisoires. Non seulement l’ordre social ne fut pas ébranlé, mais les colonies
restèrent aux mains du capital français, par le fer et par le feu en Algérie,
en Indochine, à Madagascar, pour ne citer que les répressions les plus
sanglantes.
Les concessions verbales
contenues dans la constitution de 1946, le droit au travail par exemple, n’ont
jamais changé quoi que ce soit au sort des travailleurs. Les concessions, bien
maigres à l’époque, comme le statut des fonctionnaires, la place faite aux
syndicats dans les institutions et surtout la Sécurité sociale sont en voie
d’être détruites. En revanche la politique du CNR, c’est-à-dire essentiellement
le ralliement des appareils ouvriers à la reconstruction du capitalisme, lui a
remis le pied à l’étrier pour les décennies suivantes, avec leur cortège de
calamités, jusqu’à la crise actuelle.
Alors, ressortir du placard
aujourd’hui le programme du CNR, c’est proposer de recommencer ou de poursuivre
la même politique pour toute une période, avec les mêmes résultats ou pire
encore. Le système capitaliste a fait plus que son temps. On ne peut pas le
rapetasser, il faut le renverser.
Paul GALOIS (Lutte ouvrière n°2700)
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