[…]. Lorsque fut fondé en France
le Parti socialiste ouvrier, il fut décidé de présenter des candidats non
seulement à la Chambre, mais aussi à toutes les élections municipales ; et de
fait, lors du dernier renouvellement des conseils municipaux en France, lequel
eut lieu le 19 janvier de cette année, ce jeune parti l’emporta dans un grand
nombre de villes industrielles et de communes rurales, en particulier celles
habitées par les mineurs. Il ne réussit pas seulement à faire passer un ou deux
candidats, il s’assura même en quelques endroits la majorité du conseil et au
moins un conseil municipal fut formé, comme nous le verrons, uniquement d’ouvriers.
Peu avant la formation du Labour
standard se produisit à Roubaix, tout près de la frontière belge, une grève des
ouvriers d’usine. Le gouvernement dépêcha aussitôt la troupe pour occuper la
ville et, en alléguant sa volonté de maintenir l’ordre (qui n’avait jamais été
menacé), tenter de provoquer les grévistes à des actions pouvant servir de
prétexte à l’intervention de la troupe. Mais la population garda son calme, et
l’une des raisons principales qui lui permit de résister à toutes les
provocations fut le comportement du conseil municipal. Celui-ci était constitué
d’une majorité d’ouvriers. Les raisons de cette grève lui furent exposées et on
en débattit en détail. Le résultat fut que non seulement le conseil déclara que
les grévistes étaient dans leur droit, mais qu’il vota en outre l’attribution
aux grévistes d’un soutien financier de 50 000
francs ou 2 000 livres sterling. Ces secours en argent ne
purent être distribués étant donné qu’en droit français, il est dans les
attributions du préfet de département d’annuler toute décision des conseils
municipaux qu’il considère comme outrepassant leurs pouvoirs. Il n’en est pas
moins vrai que le puissant soutien moral accordé ainsi à la grève par les
représentants officiels de la ville revêtit une valeur énorme aux yeux des
ouvriers.
Le 8 juin, la société minière de
Commentry dans le centre de la France (département de l’Allier) licencia 152
personnes qui refusaient de se lier aux nouvelles conditions de travail plus
désavantageuses. Étant donné que ces mesures faisaient partie d’un système
employé depuis un temps assez long déjà et destiné à entraîner progressivement
une détérioration des conditions de travail, la totalité des mineurs, 1 600
environ, se mit en grève. Le gouvernement dépêcha aussitôt la troupe habituelle
afin d’intimider, voire de provoquer les grévistes. Mais là aussi, le conseil
municipal s’engagea sur le champ aux côtés des ouvriers.
Lors de sa réunion du 12 juin (un
dimanche par-dessus le marché), il prit les résolutions suivantes :
1 - Attendu qu’il est du devoir
de la société d’assurer l’existence de ceux qui par leur travail permettent
l’existence de tous, et étant donné que les communes sont tenues de remplir ce
devoir lorsque l’État refuse de le faire, le présent conseil décide avec l’accord
des citoyens les plus imposés d’émettre un emprunt de 25 000
francs au profit des mineurs que le licenciement injustifié de 152 d’entre eux a
contraints de se mettre en grève.
Adopté à l’unanimité contre
l’unique veto du maire.
2 - Partant du fait qu’en vendant
à une société par actions ce précieux patrimoine national que représentent les
mines de Commentry, l’État a livré les ouvriers qui y sont employés à la merci
de ladite société ; et étant donné qu’en
conséquence il est du devoir de l’État de veiller à ce que la pression exercée
par cette société sur les mineurs n’atteigne pas un degré qui menace
directement leur existence ; attendu qu’en mettant des
troupes à la disposition de cette société durant la présente grève, l’État n’a
même pas gardé sa neutralité, mais au contraire a pris fait et cause pour la
société minière, le présent conseil, au nom des intérêts de la classe ouvrière
qu’il est en son devoir de protéger, somme le sous-préfet du département :
1°/ de rappeler immédiatement les
troupes dont la présence totalement déplacée n’est rien d’autre qu’une
provocation, et
2°/ d’aller faire des
représentations à l’administrateur de la société minière et d’agir en sorte que
soit rapportée la mesure qui a provoqué la grève.
Adoptée à l’unanimité.
Dans une troisième résolution
adoptée également à l’unanimité, le conseil, craignant que la pauvreté de la
commune ne permette pas la réalisation de l’emprunt accordé, ouvre une
souscription publique pour soutenir les grévistes et invite tous les autres
conseils municipaux de France à envoyer des secours en argent dans le même but.
Nous avons donc ici un exemple
frappant de ce que signifie la présence d’ouvriers non pas seulement au
Parlement, mais aussi dans les assemblées communales et tous les autres corps.
Combien serait différente l’issue de bien des grèves en Angleterre si les
grévistes avaient derrière eux le conseil municipal de l’endroit. Les conseils
municipaux anglais et les comités locaux, qui, pour une grande part, sont élus
par des ouvriers, sont pour l’heure presque exclusivement composés de chefs
d’entreprise, de leurs agents directs et indirects (avocats, etc.) et dans le
meilleur des cas de propriétaires de magasin. Dès que survient une grève ou un
lock-out, toute la puissance morale et matérielle des autorités locales est
engagée au service des patrons et contre les ouvriers ; même la
police, payée avec l’argent des ouvriers, entre en action exactement comme en
France la troupe, pour provoquer les ouvriers à des actions illégales et pour
ensuite les écraser. Les services de secours aux indigents refusent dans la
plupart des cas tout soutien à des hommes qui, de leur point de vue, pourraient
travailler s’ils le voulaient. Et c’est tout naturel. Aux yeux de cette sorte
de gens, qui, avec le consentement des ouvriers, constituent les autorités
administratives locales, la grève est une rébellion ouverte contre l’ordre
social, une révolte contre les droits sacrés de la propriété. C’est aussi la
raison pour laquelle, lors de chaque grève et de chaque lock-out, les autorités
locales jetteront dans la balance tout le poids énorme qu’elles représentent,
moralement et physiquement, au profit des patrons, tant que les patrons et leurs
représentants seront envoyés dans les corps constitués des collectivités locales.
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