mardi 5 novembre 2019

Élections municipales, comment Friedrich Engels, l’ami et compagnon de combat de Marx évoquait l’exemple de deux conseils municipaux ouvriers dans un journal prolétarien anglais, The labour Standard, le 25 juin 1881 (texte 4 de l’article 4 de notre revue Lutte de Classe de novembre 2019


 
Deux conseils municipaux exemplaires

[…]. Lorsque fut fondé en France le Parti socialiste ouvrier, il fut décidé de présenter des candidats non seulement à la Chambre, mais aussi à toutes les élections municipales; et de fait, lors du dernier renouvellement des conseils municipaux en France, lequel eut lieu le 19 janvier de cette année, ce jeune parti l’emporta dans un grand nombre de villes industrielles et de communes rurales, en particulier celles habitées par les mineurs. Il ne réussit pas seulement à faire passer un ou deux candidats, il s’assura même en quelques endroits la majorité du conseil et au moins un conseil municipal fut formé, comme nous le verrons, uniquement d’ouvriers.
Peu avant la formation du Labour standard se produisit à Roubaix, tout près de la frontière belge, une grève des ouvriers d’usine. Le gouvernement dépêcha aussitôt la troupe pour occuper la ville et, en alléguant sa volonté de maintenir l’ordre (qui n’avait jamais été menacé), tenter de provoquer les grévistes à des actions pouvant servir de prétexte à l’intervention de la troupe. Mais la population garda son calme, et l’une des raisons principales qui lui permit de résister à toutes les provocations fut le comportement du conseil municipal. Celui-ci était constitué d’une majorité d’ouvriers. Les raisons de cette grève lui furent exposées et on en débattit en détail. Le résultat fut que non seulement le conseil déclara que les grévistes étaient dans leur droit, mais qu’il vota en outre l’attribution aux grévistes d’un soutien financier de 50000 francs ou 2000 livres sterling. Ces secours en argent ne purent être distribués étant donné qu’en droit français, il est dans les attributions du préfet de département d’annuler toute décision des conseils municipaux qu’il considère comme outrepassant leurs pouvoirs. Il n’en est pas moins vrai que le puissant soutien moral accordé ainsi à la grève par les représentants officiels de la ville revêtit une valeur énorme aux yeux des ouvriers.
Le 8 juin, la société minière de Commentry dans le centre de la France (département de l’Allier) licencia 152 personnes qui refusaient de se lier aux nouvelles conditions de travail plus désavantageuses. Étant donné que ces mesures faisaient partie d’un système employé depuis un temps assez long déjà et destiné à entraîner progressivement une détérioration des conditions de travail, la totalité des mineurs, 1600 environ, se mit en grève. Le gouvernement dépêcha aussitôt la troupe habituelle afin d’intimider, voire de provoquer les grévistes. Mais là aussi, le conseil municipal s’engagea sur le champ aux côtés des ouvriers.
Lors de sa réunion du 12 juin (un dimanche par-dessus le marché), il prit les résolutions suivantes:
1 - Attendu qu’il est du devoir de la société d’assurer l’existence de ceux qui par leur travail permettent l’existence de tous, et étant donné que les communes sont tenues de remplir ce devoir lorsque l’État refuse de le faire, le présent conseil décide avec l’accord des citoyens les plus imposés d’émettre un emprunt de 25000 francs au profit des mineurs que le licenciement injustifié de 152 d’entre eux a contraints de se mettre en grève.
Adopté à l’unanimité contre l’unique veto du maire.
2 - Partant du fait qu’en vendant à une société par actions ce précieux patrimoine national que représentent les mines de Commentry, l’État a livré les ouvriers qui y sont employés à la merci de ladite société; et étant donné qu’en conséquence il est du devoir de l’État de veiller à ce que la pression exercée par cette société sur les mineurs n’atteigne pas un degré qui menace directement leur existence; attendu qu’en mettant des troupes à la disposition de cette société durant la présente grève, l’État n’a même pas gardé sa neutralité, mais au contraire a pris fait et cause pour la société minière, le présent conseil, au nom des intérêts de la classe ouvrière qu’il est en son devoir de protéger, somme le sous-préfet du département:
1°/ de rappeler immédiatement les troupes dont la présence totalement déplacée n’est rien d’autre qu’une provocation, et
2°/ d’aller faire des représentations à l’administrateur de la société minière et d’agir en sorte que soit rapportée la mesure qui a provoqué la grève.
Adoptée à l’unanimité.
Dans une troisième résolution adoptée également à l’unanimité, le conseil, craignant que la pauvreté de la commune ne permette pas la réalisation de l’emprunt accordé, ouvre une souscription publique pour soutenir les grévistes et invite tous les autres conseils municipaux de France à envoyer des secours en argent dans le même but.
Nous avons donc ici un exemple frappant de ce que signifie la présence d’ouvriers non pas seulement au Parlement, mais aussi dans les assemblées communales et tous les autres corps. Combien serait différente l’issue de bien des grèves en Angleterre si les grévistes avaient derrière eux le conseil municipal de l’endroit. Les conseils municipaux anglais et les comités locaux, qui, pour une grande part, sont élus par des ouvriers, sont pour l’heure presque exclusivement composés de chefs d’entreprise, de leurs agents directs et indirects (avocats, etc.) et dans le meilleur des cas de propriétaires de magasin. Dès que survient une grève ou un lock-out, toute la puissance morale et matérielle des autorités locales est engagée au service des patrons et contre les ouvriers; même la police, payée avec l’argent des ouvriers, entre en action exactement comme en France la troupe, pour provoquer les ouvriers à des actions illégales et pour ensuite les écraser. Les services de secours aux indigents refusent dans la plupart des cas tout soutien à des hommes qui, de leur point de vue, pourraient travailler s’ils le voulaient. Et c’est tout naturel. Aux yeux de cette sorte de gens, qui, avec le consentement des ouvriers, constituent les autorités administratives locales, la grève est une rébellion ouverte contre l’ordre social, une révolte contre les droits sacrés de la propriété. C’est aussi la raison pour laquelle, lors de chaque grève et de chaque lock-out, les autorités locales jetteront dans la balance tout le poids énorme qu’elles représentent, moralement et physiquement, au profit des patrons, tant que les patrons et leurs représentants seront envoyés dans les corps constitués des collectivités locales.

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