Le
congrès paysan et le ralliement des socialistes-révolutionnaires de gauche
Au lendemain de la révolution
d’Octobre 1917, le comité exécutif des soviets paysans était encore aux mains
de socialistes conciliateurs opposés à celle-ci. Mais le nouveau pouvoir, qui
avait immédiatement publié un décret donnant la terre à ceux qui la
travaillent, convoqua un nouveau congrès paysan panrusse. John Reed, militant
révolutionnaire américain et témoin actif de la révolution, raconte ce congrès
dans son livre Les dix jours qui ébranlèrent le monde.
« Partout les campagnes
fermentaient, non seulement sous l’influence électrisante du décret sur la
terre, mais aussi grâce à l’esprit révolutionnaire que des milliers de paysans
soldats rapportaient du front. Ce furent eux tout particulièrement qui
accueillirent avec joie la nouvelle de la convocation du congrès paysan. (…) La
moitié des délégués étaient socialistes-révolutionnaires [SR] de gauche, alors
que les bolcheviks en représentaient à peine un cinquième et les SR de droite,
un quart (…).
À droite, on remarquait des
épaulettes d’officiers et les barbes patriarcales des cultivateurs plus âgés,
plus aisés ; au centre, siégeaient quelques paysans, quelques soldats et des
sous-officiers ; à gauche, presque tout le monde portait l’uniforme du simple
soldat. C’était la jeune génération, ceux qui avaient fait la guerre. Les
tribunes débordaient d’ouvriers qui, en Russie, se souviennent encore de leur
origine paysanne. (…)
Il devint évident presque
aussitôt que la plupart des délégués étaient hostiles au gouvernement des
commissaires du peuple. Zinoviev, qui essaya de prendre la parole au nom des
bolcheviks, dut se taire sous les huées (…).
Lénine
prend la parole
Soudain, le troisième jour,
Lénine monta à la tribune ; dix minutes durant, la salle tempêta, les délégués
criaient : “À bas. Nous n’écouterons pas vos commissaires du peuple !
Nous ne reconnaissons pas votre gouvernement !” (…)
“Je ne suis pas venu ici en tant
que membre du Conseil des commissaires du peuple (…) mais en tant que membre du
groupe bolchevik dûment élu à ce congrès,” dit Lénine, qui leva son
mandat pour que tout le monde pût le voir. (…) “Dites-moi franchement, vous,
paysans à qui nous avons donné les terres des propriétaires terriens,
voulez-vous à présent empêcher les ouvriers de s’assurer le contrôle de
l’industrie ? Il s’agit de la guerre des classes. Il va de soi que les
propriétaires terriens s’opposent aux ouvriers. Allez-vous laisser les rangs du
prolétariat se diviser ? De quel côté serez-vous ? Nous, bolcheviks, nous
sommes le parti du prolétariat, le prolétariat des campagnes aussi bien que le
prolétariat industriel (…), partisans des soviets, les soviets paysans aussi
bien que les soviets ouvriers et soldats. Le gouvernement actuel est le gouvernement
des soviets ; non seulement avons-nous invité les soviets paysans à participer
au gouvernement, mais encore avons-nous invité les représentants des SR de
gauche à entrer dans le Conseil des commissaires du peuple.”
Et lors d’une deuxième intervention
: “Nous invitons les SR de gauche à rejoindre les rangs de cette
coalition, en insistant toutefois pour qu’ils cessent de regarder en arrière et
rompent avec les conciliateurs au sein de leur propre parti [ndlr : les SR de
droite].”
Ralliement
des SR de gauche
Le vendredi 16 novembre [3
novembre selon l’ancien calendrier] (…), Nathanson, un vieillard à la barbe
blanche qui était le doyen de l’aile gauche des SR, lut, d’une voix tremblante
et les yeux pleins de larmes, « l’acte de mariage » des soviets paysans et des
soviets ouvriers et soldats. Chaque mention du mot union provoquait des
applaudissements extatiques. (…)
La foule paysanne s’écoula dans
la rue (…). Deux vieux paysans, courbés sous le poids d’une vie de travail,
avançaient la main dans la main, le visage illuminé d’une béatitude enfantine.
“Eh bien, dit l’un, je voudrais les voir nous reprendre nos terres à
présent !” (…)
Et le cortège paysan s’engouffra
par la grande entrée de l’institut Smolny et gravit l’escalier (…). Dans la
vaste salle blanche, le comité exécutif des soviets ouvriers et soldats
attendait ; le soviet de Petrograd était là (...).
Maria Spiridonova [dirigeante des
SR de gauche] monta à la tribune, frêle, pâle, (…). La femme la mieux aimée et
la plus puissante de Russie. “Les travailleurs russes voient s’ouvrir devant
eux des horizons que l’histoire n’a encore jamais connus (…). Dans le passé,
tous les gouvernements ouvriers ont abouti à une défaite. Mais le mouvement
actuel est international, et c’est pour cela qu’il est invincible. Il n’est pas
de force au monde capable d’éteindre la flamme de la révolution ! Le vieux
monde s’écroule, le monde nouveau est en train de naître.”
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire