Hier
matin dimanche, sur le marché Héloïse, nous évoquions avec une lectrice le
pacte Germano-soviétique de fin août 1939 (voir ci-dessous l’article de notre
hebdomadaire Lutte ouvrière de cette semaine). Elle me disait, qu’à l’époque
c’était la première fois qu’elle avait vu son père, membre des réseaux yiddishs
du PCF, pleurer.
En l’occurrence, ce père faisait partie
de ce que l’on nomma le « Yiddishland », le réseau de tous ces
militants et militantes juives qui rejoignirent le mouvement communiste après
la Révolution russe, en espérant lutter non seulement contre l’antisémitisme
qui imprégnait les sociétés de l’Europe de l’Est (mais à l’Ouest également,
même de manière moins forte, et encore), mais pour un monde sans frontière,
celui de l’émancipation sociale. Nombreux furent ceux qui se retrouvèrent, pour
résumer, derrière Staline, quand d’autres suivirent Léon Trotsky. On peut
imaginer la déconvenue des premiers fin août 1939. DM
Août 1939
: signature du pacte germano-soviétique
Le 23 août 1939, sous l’œil de
Staline, Molotov, le ministre soviétique des Affaires étrangères, signait avec
son homologue allemand von Ribbentrop le pacte germano-soviétique. Cet accord
de non-agression entre la dictature nazie et la bureaucratie soviétique était
une nouvelle trahison du prolétariat international à la veille de la généralisation
de la guerre.
En août 1939, la guerre avait
déjà commencé, et pas seulement en Asie, où le Japon poursuivait sa conquête de
la Chine. En Europe, Hitler avait annexé l’Autriche et la Tchécoslovaquie, avec
l’aval des autres puissances européennes qui avaient signé avec lui les accords
de Munich. Hitler s’apprêtait à lancer ses troupes contre la Pologne.
Ce fut la stupeur, et pas
seulement dans les chancelleries occidentales, lorsque le 24 août le monde
apprit cette alliance entre l’URSS des bureaucrates et l’Allemagne nazie que
Staline prétendait combattre. Avec son cynisme coutumier, celui-ci porta un
toast à Hitler : « Je sais l’amour que porte à son führer la
nation allemande. Je bois à sa santé. » Plutôt que de lier son sort
aux puissances colonialistes d’Europe occidentale, qui en cas d’attaque de
l’Allemagne ne lui auraient offert tout au plus qu’une aide, Staline
choisissait de s’allier à l’impérialisme allemand, même dirigé par les nazis
menaçants, dans l’espoir de rester hors du conflit.
Le pacte était censé interdire
pour dix ans toute action agressive contre l’un des co-signataires. Des clauses
commerciales permettaient à l’Allemagne d’obtenir certaines matières premières
(cuivre, pétrole) indispensables pour préparer la guerre. Ces fournitures
continuèrent jusqu’en juin 1941, à la veille de l’offensive allemande contre
l’URSS.
En signant un accord avec
Staline, Hitler s’assurait que l’Allemagne n’aurait pas à se battre directement
sur deux fronts comme lors de la Première Guerre mondiale. Quant à la
bureaucratie soviétique, pour prix de sa dernière ignominie, des clauses
secrètes lui assuraient de recevoir une part de la Pologne. Son armée en
envahit la partie orientale quinze jours après l’attaque d’Hitler à l’ouest.
Puis Staline, avec la complicité d’Hitler, allait s’attaquer à la Finlande et
annexer les pays Baltes.
L’accord comprenait aussi la
coopération entre les polices politiques des deux pays, la Gestapo et le NKVD.
En plus d’une lutte commune contre toute résistance en Pologne, il prévoyait
l’échange de prisonniers entre geôliers : des antifascistes allemands
réfugiés en URSS seraient renvoyés à leurs bourreaux, en échange d’opposants au
régime de Staline arrêtés en Allemagne.
À la veille de la guerre, l’URSS
était affaiblie. Staline avait fait exterminer à travers les grandes purges de
nombreux cadres de l’Armée rouge et déporté plus de 30 000 d’entre eux,
accusés d’être des agents d’Hitler. Après l’arrivée d’Hitler au pouvoir en
1933, il avait d’abord tenté d’établir des liens avec le régime nazi, sans
succès. Il avait cherché ensuite des alliés du côté d’autres États occidentaux,
les présentant comme des démocraties avec lesquelles l’URSS pouvait s’allier
contre le fascisme. Ainsi, dès 1935, fut signé l’accord Laval-Staline, un
soutien à la politique de réarmement de l’impérialisme français par l’Union
soviétique et par le PCF.
À aucun moment les bureaucrates
ne considérèrent que le développement de perspectives révolutionnaires pouvait
être une issue pour l’URSS. Pourtant, au cours des années 1930, les
travailleurs montrèrent leur combativité, parfois révolutionnaire comme en
Espagne après la tentative de coup d’État de Franco. Au contraire, les partis
communistes cornaqués par la bureaucratie soviétique orientèrent les luttes
dans des impasses politiques.
Les accords de Munich, en
novembre 1938, avaient montré ce que pouvaient valoir des traités d’alliance,
la France et la Grande-Bretagne acceptant de voir un de leurs alliés (la
Tchécoslovaquie) dépecé à la demande d’Hitler. C’était la méthode des
dirigeants des impérialismes repus pour lui indiquer qu’il avait les mains
libres pour orienter ses conquêtes vers l’est.
En signant un accord avec Hitler,
Staline pensait sans doute leur rendre la monnaie de leur pièce. Ce calcul ne
négligeait qu’une chose : comment pouvait le comprendre le mouvement
ouvrier international, et en particulier les communistes qui croupissaient dans
les camps de concentration en Allemagne ?
Dans le monde entier, les
travailleurs conscients qui se sentaient encore solidaires de l’URSS et du
mouvement communiste furent décontenancés par ce cynisme et se sentirent
abandonnés face au danger de guerre mondiale.
En France, ce fut la stupeur et
l’effarement dans les rangs du PCF. Quant à sa direction, prise au dépourvu,
elle tenta de rassurer la bourgeoisie française alors que le parti se trouvait
dans la situation de défendre la politique extérieure de l’URSS opposée à celle
de son propre impérialisme. L’Humanité du 25 août proclama ainsi que les
militants du PCF étaient prêts « à remplir leur devoir de Français dans
le cadre des engagements contractés par leur pays ». Cet alignement
derrière son propre impérialisme, confirmé par le vote des crédits de guerre le
2 septembre 1939, alors que la presse communiste était déjà interdite, ne
suffit pas à sauver l’appareil. Le PCF fut dissous fin septembre par le
gouvernement.
Même du point de vue de la
bureaucratie à la tête de l’URSS, le pacte germano-soviétique était en réalité
un traité de dupes. Hitler en parlait lui-même comme d’un chiffon de papier. Le
répit servit surtout à lui faciliter ses brigandages à l’ouest de l’Europe. En
faisant de l’URSS un voisin immédiat, le partage de la Pologne facilitait les
préparatifs d’invasion par l’Allemagne. Comme l’écrivait Trotsky en juin 1940 à
propos d’Hitler, « ses victoires à l’ouest ne sont qu’une gigantesque
préparation pour un gigantesque mouvement vers l’est ».
L’accord avec Hitler
affaiblissait encore plus l’URSS. L’État ouvrier issu de la révolution
d’Octobre ébranlait ce qui lui restait de sympathies dans le prolétariat
international, à la veille d’une guerre inévitable avec l’impérialisme. Le
traité germano-soviétique résumait le degré de dégénérescence des dirigeants
staliniens, prêts à liquider toute apparence de politique révolutionnaire et à
donner l’accolade à un Hitler, bourreau du mouvement ouvrier allemand, pour
tenter de sauver leur propre peau. Il n’allait pas empêcher Hitler de
déclencher la guerre contre l’URSS en juin 1941.
Gilles BOTI (Lutte ouvrière N°2667)