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vendredi 10 novembre 2017

Révolution russe de 1917 : un siècle plus tard, une sacrée leçon


100 ans après : la leçon d’Octobre 1917

La commémoration de la Révolution russe et surtout de l’insurrection d’Octobre a fait couler beaucoup d’encre… du côté des tenants de l’ordre établi. Ceux-là ont fait assaut d’anticommunisme pour dénigrer le premier pouvoir ouvrier et le présenter comme une dictature qui n’aurait été qu’un prélude à celle de Staline. Il n’y a là rien d’étonnant. Cent ans après, la haine de cette révolution est toujours aussi forte, car Octobre 1917 a représenté la plus grande victoire des opprimés, des ouvriers et des paysans.
La révolution russe débuta en février 1917, en pleine guerre mondiale. Tous ceux qui voudraient ramener cette révolution ouvrière à la dictature stalinienne évitent d’évoquer la boucherie impérialiste, ses millions de morts qu’il faut pourtant imputer aux « grandes démocraties occidentales » ! Le quotidien Les Échos du 7 novembre évoque la révolution d’Octobre en insistant sur le recul économique dont elle aurait été responsable. Il faut beaucoup de mensonges pour affirmer une telle chose, par exemple en présentant la production industrielle de la Russie de 1917 comme égale à celle de l’Allemagne. Alors que l’empire tsariste n’arrivait pas à fournir des armes aux millions de paysans qu’il jetait dans les tranchées, à les nourrir ni à les vêtir. Et c’est bien à cause de cette guerre que les ouvriers de Petrograd se lancèrent à l’assaut du tsarisme.
Au lendemain de la révolution victorieuse de février 1917, ceux qui se proclamaient représentants des ouvriers remirent le pouvoir à la bourgeoisie. Mais si la révolution russe, malgré tout, ne s’est pas finie comme les autres, c’est justement parce qu’il existait un parti défendant la perspective de la conquête du pouvoir politique par les travailleurs eux-mêmes.
De février à octobre 1917, le parti bolchevik d’abord ultra minoritaire s’employa à « expliquer patiemment aux masses », comme l’écrivit maintes fois Lénine, que seul un pouvoir des ouvriers et des paysans pourrait résoudre les grands problèmes auxquels elles étaient confrontées.
Le parti de Lénine appuya toutes les actions révolutionnaires dans les campagnes, alors même que le gouvernement refusait la moindre réforme agraire. Dans les campagnes, dans les villes, dans les usines, les militants bolcheviks poussaient à l’organisation des travailleurs, poussaient à la prise de contrôle par les soviets de la vie quotidienne, de la production, du partage des terres. Le pouvoir effectif des soviets s’étendait dans tout le pays. En août 1917, les travailleurs en armes firent reculer les troupes contre-révolutionnaires du général Kornilov. Les soviets des grandes villes devinrent majoritairement bolcheviks, ceux des campagnes suivirent.

L’insurrection d’Octobre

Dans ce contexte, les gardes rouges prirent Petrograd pratiquement sans coup férir et quelques coups de canons suffirent à faire fuir le gouvernement. Le 2e Congrès panrusse des soviets, réuni dans la foulée, se retrouva dépositaire du pouvoir d’un nouveau genre : celui des opprimés, des ouvriers, des soldats, des paysans. Le renversement du régime s’était opéré dans les rapports de force sociaux et dans les cerveaux avant de se concrétiser sur le terrain.
Le nouveau régime put s’appuyer totalement sur les masses. Les premières mesures du pouvoir ouvrier avaient de quoi inquiéter tous les gouvernants du monde. Le décret sur la terre établit que ceux qui l’accaparaient se trouvaient expropriés, que la terre appartenait désormais à l’État et que les paysans pouvaient se la partager. Les nationalités opprimées se voyaient reconnaître le droit de s’émanciper de la tutelle russe. Les traités secrets furent publiés. Les ministères furent occupés par des travailleurs prêts à les faire fonctionner malgré le sabotage et la résistance des anciens fonctionnaires. La résistance des classes possédantes fut vaincue par les travailleurs en armes.
En quelques années, malgré les difficultés inouïes liées à la guerre mondiale, à l’intervention des puissances impérialistes contre la Russie révolutionnaire et à la misère générale, le nouveau régime élimina les vestiges féodaux de la société russe et le pouvoir éphémère de la bourgeoisie.
Quoi qu’il soit advenu ensuite de la Russie sous la dictature stalinienne, les ouvriers russes ont prouvé qu’une telle révolution était possible et qu’une société dirigée par les opprimés eux-mêmes était viable. Cela reste une leçon fondamentale pour tous les opprimés d’aujourd’hui et c’est bien cette leçon que politiciens et journalistes bourgeois voudraient faire oublier pour toujours. Ils n’y réussiront pas.

                                          Marion AJAR (Lutte ouvrière n°2571)

jeudi 9 novembre 2017

Révolution russe de 1917 (41) : après la victoire d'Octobre, et les paysans ?


Le congrès paysan et le ralliement des socialistes-révolutionnaires de gauche

Au lendemain de la révolution d’Octobre 1917, le comité exécutif des soviets paysans était encore aux mains de socialistes conciliateurs opposés à celle-ci. Mais le nouveau pouvoir, qui avait immédiatement publié un décret donnant la terre à ceux qui la travaillent, convoqua un nouveau congrès paysan panrusse. John Reed, militant révolutionnaire américain et témoin actif de la révolution, raconte ce congrès dans son livre Les dix jours qui ébranlèrent le monde.
« Partout les campagnes fermentaient, non seulement sous l’influence électrisante du décret sur la terre, mais aussi grâce à l’esprit révolutionnaire que des milliers de paysans soldats rapportaient du front. Ce furent eux tout particulièrement qui accueillirent avec joie la nouvelle de la convocation du congrès paysan. (…) La moitié des délégués étaient socialistes-révolutionnaires [SR] de gauche, alors que les bolcheviks en représentaient à peine un cinquième et les SR de droite, un quart (…).
À droite, on remarquait des épaulettes d’officiers et les barbes patriarcales des cultivateurs plus âgés, plus aisés ; au centre, siégeaient quelques paysans, quelques soldats et des sous-officiers ; à gauche, presque tout le monde portait l’uniforme du simple soldat. C’était la jeune génération, ceux qui avaient fait la guerre. Les tribunes débordaient d’ouvriers qui, en Russie, se souviennent encore de leur origine paysanne. (…)
Il devint évident presque aussitôt que la plupart des délégués étaient hostiles au gouvernement des commissaires du peuple. Zinoviev, qui essaya de prendre la parole au nom des bolcheviks, dut se taire sous les huées (…).

Lénine prend la parole

Soudain, le troisième jour, Lénine monta à la tribune ; dix minutes durant, la salle tempêta, les délégués criaient : “À bas. Nous n’écouterons pas vos commissaires du peuple ! Nous ne reconnaissons pas votre gouvernement !” (…)
“Je ne suis pas venu ici en tant que membre du Conseil des commissaires du peuple (…) mais en tant que membre du groupe bolchevik dûment élu à ce congrès,” dit Lénine, qui leva son mandat pour que tout le monde pût le voir. (…) “Dites-moi franchement, vous, paysans à qui nous avons donné les terres des propriétaires terriens, voulez-vous à présent empêcher les ouvriers de s’assurer le contrôle de l’industrie ? Il s’agit de la guerre des classes. Il va de soi que les propriétaires terriens s’opposent aux ouvriers. Allez-vous laisser les rangs du prolétariat se diviser ? De quel côté serez-vous ? Nous, bolcheviks, nous sommes le parti du prolétariat, le prolétariat des campagnes aussi bien que le prolétariat industriel (…), partisans des soviets, les soviets paysans aussi bien que les soviets ouvriers et soldats. Le gouvernement actuel est le gouvernement des soviets ; non seulement avons-nous invité les soviets paysans à participer au gouvernement, mais encore avons-nous invité les représentants des SR de gauche à entrer dans le Conseil des commissaires du peuple.”
Et lors d’une deuxième intervention : “Nous invitons les SR de gauche à rejoindre les rangs de cette coalition, en insistant toutefois pour qu’ils cessent de regarder en arrière et rompent avec les conciliateurs au sein de leur propre parti [ndlr : les SR de droite].”

Ralliement des SR de gauche

Le vendredi 16 novembre [3 novembre selon l’ancien calendrier] (…), Nathanson, un vieillard à la barbe blanche qui était le doyen de l’aile gauche des SR, lut, d’une voix tremblante et les yeux pleins de larmes, « l’acte de mariage » des soviets paysans et des soviets ouvriers et soldats. Chaque mention du mot union provoquait des applaudissements extatiques. (…)
La foule paysanne s’écoula dans la rue (…). Deux vieux paysans, courbés sous le poids d’une vie de travail, avançaient la main dans la main, le visage illuminé d’une béatitude enfantine. “Eh bien, dit l’un, je voudrais les voir nous reprendre nos terres à présent !” (…)
Et le cortège paysan s’engouffra par la grande entrée de l’institut Smolny et gravit l’escalier (…). Dans la vaste salle blanche, le comité exécutif des soviets ouvriers et soldats attendait ; le soviet de Petrograd était là (...).
Maria Spiridonova [dirigeante des SR de gauche] monta à la tribune, frêle, pâle, (…). La femme la mieux aimée et la plus puissante de Russie. “Les travailleurs russes voient s’ouvrir devant eux des horizons que l’histoire n’a encore jamais connus (…). Dans le passé, tous les gouvernements ouvriers ont abouti à une défaite. Mais le mouvement actuel est international, et c’est pour cela qu’il est invincible. Il n’est pas de force au monde capable d’éteindre la flamme de la révolution ! Le vieux monde s’écroule, le monde nouveau est en train de naître.”

samedi 4 novembre 2017

Révolution russe de 1917 (40) : après octobre, faire face à la contre-révolution


Les débuts du pouvoir soviétique : face à la contre-révolution :

Dès la fin octobre, le nouveau pouvoir doit affronter la contre-révolution regroupant dans un comité de salut public tous les ennemis du bolchevisme, des tsaristes aux socialistes-révolutionnaires de droite et aux mencheviks. Victor Serge, militant bolchevik, raconte dans son ouvrage L’an I de la révolution russe, écrit dix ans après les évènements, l’âpreté des combats à Moscou.
« La bataille de rue dura six jours et fut sévère. L’initiative des opérations appartint au comité de salut public qui le 27 octobre (…) sommait le comité révolutionnaire militaire (CRM) [de Moscou] de se dissoudre, dans un quart d’heure. (…)
Le 28, à minuit, les junkers – élèves des écoles militaires – cernent le Kremlin. Déjà le comité de salut public occupe les gares, l’usine électrique, la station centrale des téléphones. Coupé du CRM, le commandant du Kremlin (…) rend la place, sur promesse formelle que ses hommes auront la vie sauve. Il va lui-même ouvrir les portes. Il est aussitôt empoigné, frappé, abreuvé d’outrages par les junkers. Un colonel lui dit : « Tiens ! Vous êtes encore vivant ? Il faut vous tuer. » Les ouvriers de l’arsenal du Kremlin n’apprennent la capitulation que lorsqu’on vient arrêter leur comité de fabrique. (…) Le vacarme de trois mitrailleuses en action se mêle à des cris d’épouvante, à des râles, à des sanglots. (…) Ce massacre n’est pas un fait isolé. Les blancs arrêtaient et fusillaient un peu partout. (…) La terreur blanche débutait. »

L’offensive avortée du général Krasnov

« Kerenski s’était réfugié parmi les cosaques du général Krasnov. (…) Monarchiste ambitieux, destiné à devenir, dans la guerre civile, une des vedettes de la contre-révolution, Krasnov assura qu’ils materaient sans peine l’anarchie installée à Petrograd. Dans la capitale même, le soulèvement militaire préparé par les socialistes-révolutionnaires ne devait-il pas leur aplanir les voies ? [Les cosaques] occupèrent Gatchina et Tsarkoïe-Selo, à moins de vingt kilomètres de la capitale. Les hauteurs de Poulkovo s’élevaient maintenant entre eux et Petrograd. L’artillerie lourde leur infligea du haut de ces collines des pertes sévères (300 à 500 morts, 30 octobre). Les cosaques, surpris par cette résistance, démoralisés par l’agitation, environnés de l’hostilité des populations ouvrières, reculèrent en désordre. (…) [Kerenski] n’eut, cette fois encore, que le temps de filer, au moment où Krasnov, son subordonné – qui le méprisait – se préparait à le livrer aux bolcheviks, « afin de voir s’il n’était pas un lâche ». Krasnov lui-même fut, en somme, livré par ses cosaques. (…) La révolution eut le tort de se montrer magnanime à l’égard du chef de la division cosaque. Il eût fallu le fusiller sur l’heure. Il recouvra, au bout de quelques jours, la liberté sur parole d’honneur de ne plus porter les armes contre la révolution. Mais est-il des engagements d’honneur envers les ennemis de la patrie et de la propriété ? Il alla mettre la région du Don à feu et à sang. »
« Aux Affaires étrangères, Trotsky [nommé commissaire du peuple à ce poste] ne trouva personne. Un prince Tatischeff, mis en état d’arrestation, consentit à la fin à lui ouvrir les secrétaires. Le commissariat des Affaires étrangères fonctionnait à Smolny, sans installation ni personnel. Trotsky, d’ailleurs absorbé par les tâches militaires, se faisait à ce moment, de la politique étrangère, une idée sommaire : « Ma mission est restreinte : publier les traités secrets et fermer boutique. »

L’appel de Lénine à l’initiative des masses

Pour défendre la révolution, Lénine s’adressait aux soldats, aux ouvriers et aux paysans. Le 22 novembre, au premier congrès de la marine de guerre de Russie : « Les masses ont pris conscience de leurs forces et, sans se laisser troubler par les persécutions de la bourgeoisie, ont commencé à gérer elles-mêmes l’État. Au début, des difficultés peuvent surgir, une préparation insuffisante peut se faire sentir. Mais il faut apprendre pratiquement à administrer le pays, se rendre maître de ce qui était naguère le monopole de la bourgeoisie. »
Le 4 novembre, aux ouvriers du soviet de Pétrograd : « La masse ouvrière doit organiser le contrôle et la production sur une vaste échelle nationale. C’est dans l’organisation de la masse laborieuse, et non d’un certain nombre d’individus, que réside le gage du succès. »
Le 6 décembre, aux paysans, lors du IIe congrès des soviets des députés paysans de Russie : « Camarades paysans ! Méditez notre message, notre appel lancé par les députés des paysans aux paysans de toutes les nations de la Russie, lisez notre appel dans chaque village, dans chaque isba, examinez-le à toutes les réunions, à toutes les assemblées, dans toutes les institutions rurales sans exception, prenez vous-mêmes sur place des décisions fermes, inébranlables. Car c’est avant tout de vos décisions, des décisions de la majorité du peuple, des décisions des paysans eux-mêmes, que dépend le sort de notre patrie. »

jeudi 26 octobre 2017

Révolution russe de 1917 (39) Après la victoire de l’insurrection ouvrière, premiers actes


Les premiers actes du pouvoir ouvrier

Au lendemain de l’insurrection d’Octobre, le 25 octobre (7 novembre selon notre calendrier), s’ouvrait à Petrograd le deuxième congrès des soviets. Ceux-ci prenaient ainsi tout le pouvoir en main. Voici le récit qu’en fait Trotsky dans son Histoire de la Révolution russe :

« Le 25 octobre devait s’ouvrir à Smolny le Parlement le plus démocratique de tous ceux qui ont existé dans l’Histoire mondiale.
(…) De l’armée et du front, à travers le blocus des comités d’armée et des états-majors, c’étaient presque uniquement des soldats du rang qui faisaient leur percée comme délégués. Dans leur majorité, ils n’avaient accédé à la vie politique que depuis la révolution. Ils avaient été formés par l’expérience de huit mois. Ce qu’ils savaient était peu de choses, mais ils le savaient solidement. L’apparence extérieure du congrès en démontrait la composition. Les galons d’officier, les lunettes et les cravates d’intellectuels du premier congrès avaient presque complètement disparu. (…) Les délégués des tranchées n’avaient pas l’air très présentables : pas rasés depuis longtemps, couverts de vieilles capotes déchirées (...). La nation plébéienne avait envoyé pour la première fois une représentation honnête, non fardée, faite à son image et ressemblance.
(…) Au moment de l’ouverture, l’on comptait 650 participants ayant voix délibérative. Il revenait aux bolcheviks 390 délégués ; loin d’être tous membres du Parti, ils étaient en revanche la substance même des masses (…). Nombreux étaient ceux des délégués qui, étant arrivés avec des doutes, achevaient rapidement de mûrir dans l’atmosphère surchauffée de Petrograd. (…)
Lounatcharsky trouve enfin la possibilité de lire à haute voix un appel aux ouvriers, aux soldats, aux paysans. Mais ce n’est pas simplement un appel : par le seul exposé de ce qui s’est passé et de ce que l’on prévoit, le document, rédigé à la hâte, présuppose le début d’un nouveau régime étatique. “Les pleins pouvoirs du Comité exécutif central conciliateur ont expiré. Le gouvernement provisoire est déposé. Le congrès prend le pouvoir en main.” Le gouvernement soviétique proposera une paix immédiate, remettra aux paysans la terre, donnera un statut démocratique à l’armée, établira un contrôle sur la production, convoquera en temps opportun l’assemblée constituante, assurera le droit des nations de la Russie à disposer d’elles-mêmes. “Le congrès décide que tout le pouvoir, dans toutes les localités, est remis aux soviets.” […]
Lénine reçoit la parole pour traiter de la paix. Son apparition à la tribune soulève des applaudissements interminables. Les délégués des tranchées regardent de tous leurs yeux l’homme mystérieux qu’on leur a appris à détester et qu’ils ont appris, sans le connaître, à aimer. S’agrippant solidement au bord du pupitre et dévisageant de ses petits yeux la foule, Lénine attendait, sans s’intéresser visiblement, aux ovations incessantes qui durèrent plusieurs minutes. Quand la manifestation fut terminée, il dit simplement : “Maintenant, nous allons nous occuper d’édifier l’ordre socialiste.” […]
Écoutez, peuples ! La révolution vous invite à la paix. Elle sera accusée d’avoir violé les traités. Mais elle en est fière. Rompre avec de sanglantes alliances de rapaces – c’est un grand mérite dans l’histoire. Les bolcheviks osèrent. Ils furent seuls à oser. La fierté éclate dans les cœurs. Les yeux s’enflamment. […] “Brusquement, sur une impulsion générale – racontera bientôt John Reed, observateur et participant, chroniqueur et poète de l’insurrection – nous nous trouvâmes tous debout, reprenant les accents entraînants de l’Internationale. Un vieux soldat aux cheveux gris pleurait comme un enfant. Alexandra Kollontaï cillait rapidement des yeux pour ne pas pleurer. La puissante harmonie se répandait dans la salle, perçant vitres et portes, et montant bien haut vers le ciel.”
Était-ce vers le ciel ? Plutôt vers les tranchées d’automne qui découpaient la misérable Europe crucifiée, vers les villes et villages dévastés, vers les femmes et les mères en deuil. “Debout, les damnés de la terre ; debout, les forçats de la faim !...” Les paroles de l’hymne s’étaient dégagées de leur caractère conventionnel. Elles se confondaient avec l’acte gouvernemental. C’est de là que leur venait leur sonorité d’action directe. Chacun se sentait plus grand et plus significatif en ce moment-là. Le cœur de la révolution s’élargissait au monde entier. »

vendredi 20 octobre 2017

Révolution russe d'Octobre 1917, 100ème anniversaire, grand meeting ce soir à la Mutualité avec Nathalie ARTHAUD


Ce soir vendredi 20 octobre
Meeting
1917-2017, la Révolution russe
à 20h30
Pour changer le monde, les travailleurs au pouvoir
Meeting avec Nathalie Arthaud, avec la participation d'Arlette Laguiller
Palais de la Mutualité
24, rue Saint-Victor – Paris 5e
Métro : Maubert-Mutualité
Entrée libre
Le meeting sera retransmis sur https://www.lutte-ouvriere.org/direct





Pour aller à notre grand meeting sur le 100ème anniversaire de la Révolution d’octobre, un départ collectif en transport en commun est organisé. On se retrouvera ce soir à 18 heures 45 au Café des 2 gares, gare d’Argenteuil, immédiatement à la sortie Orgemont.

jeudi 19 octobre 2017

Révolution russe de 1917 (38) : l’insurrection d’octobre à Petrograd


L’insurrection d’Octobre à Petrograd

L’insurrection d’Octobre était préparée par le Comité militaire révolutionnaire (CMR), en étroite liaison avec le soviet de Petrograd et la direction du Parti bolchevique, siégant comme lui au palais Smolny. Le plan, qui devait être déclenché dans la nuit du 24 au 25 octobre, reposait sur l’action conjointe des détachements ouvriers de la Garde rouge, de la garnison de Petrograd et des marins de la Baltique. Mais les premiers actes de l’insurrection interviennent en réalité dès la matinée du 24 octobre, en réaction à des tentatives de coup de force du gouvernement provisoire, par exemple contre des imprimeries bolcheviques, ou encore aux mouvements de troupes autour de la capitale, comme le souligne Trotsky, alors président du soviet de Petrograd, dans son Histoire de la révolution russe et dans L’avènement du bolchevisme.
« Au palais d’Hiver, Kerenski réunissait des élèves des écoles militaires, des officiers et des membres du régiment de choc féminin. (…)
On rappela du front deux nouveaux bataillons cyclistes, une batterie antiaérienne, on essaya d’en faire revenir des unités de cavalerie… En chemin, les cyclistes télégraphièrent au soviet de Petrograd : “On nous dirige sur Petrograd, ne savons pas pourquoi, prière envoyer éclaircissements.” Nous leur avons dit de s’arrêter et d’envoyer une délégation à Petrograd. Leurs représentants arrivèrent et déclarèrent en séance du soviet que le bataillon était entièrement de notre côté. Cela suscita une tempête d’enthousiasme. On enjoignit au bataillon de rejoindre immédiatement la ville. (…)
Le ministère de la Marine donna au croiseur Aurore l’ordre de prendre la mer et de sortir des eaux de Petrograd. L’équipage nous en avisa aussitôt. Nous annulâmes cet ordre, et le croiseur resta sur place, prêt en permanence à mettre toute sa force combattante au service du pouvoir des soviets. »

Le palais Smolny, état-major de l’insurrection

Dans la journée du 24, selon les mots du bolchevik Raskolnikov, le palais de Smolny est transformé en camp retranché : « Au dehors, devant les colonnes, des canons positionnés. Près d’eux, des mitrailleuses. Une mitrailleuse à l’intérieur, canon pointé vers la porte d’entrée. (…) Dans tous les couloirs, l’allure rapide, bruyante, enthousiaste, des soldats et des ouvriers, des matelots et des agitateurs. »
De partout arrivent des délégués ouvriers, prêts à recevoir les instructions du CMR : « À Smolny, dans la chambre des comités de fabrique et d’usine, des délégués des entreprises faisaient la queue pour obtenir des bons de livraison d’armes. La capitale avait vu, pendant les années de guerre, bien des gens qui faisaient la queue : maintenant, pour la première fois, on la faisait pour avoir des fusils. »

Les ouvriers et les soldats s’emparent du pouvoir

Dans la soirée du 24 octobre, l’insurrection est déclenchée. Les révolutionnaires prennent le contrôle de la centrale des télégraphes et de l’agence télégraphique gouvernementale : « Deux soldats du régiment suffirent, fusil en main, auprès d’un commutateur, pour obtenir un compromis provisoire avec les fonctionnaires hostiles du télégraphe, parmi lesquels il n’y avait pas un seul bolchevik. (…) Les principales opérations commencèrent vers deux heures du matin. Par petits groupes militaires, ordinairement avec un noyau d’ouvriers armés ou de matelots, sous la direction de commissaires, l’on occupe simultanément ou consécutivement les gares, la centrale d’électricité, les arsenaux et les entrepôts d’approvisionnement, le service des eaux, le pont du Palais, la centrale des téléphones, la banque d’État, les grandes imprimeries, et l’on s’assure des télégraphes et de la poste. Partout, l’on place une garde sûre. »
Les points principaux de la ville passent ainsi entre les mains des insurgés en quelques heures, pratiquement sans résistance, sans combat ni victimes. L’insurrection, qui a été ouvertement annoncée et préparée lors d’innombrables meetings tenus par les bolcheviks, est accueillie partout avec enthousiasme. Trotsky cite l’occupation du journal réactionnaire Rousskaïa Volia, qui a été confiée au dernier moment, pour ne pas être ébruitée, au régiment Semenovsky de la Garde : « L’imprimerie, on en avait besoin pour la publication du journal bolcheviste en grand format et à gros tirage. Les soldats faisaient déjà leurs préparatifs pour se coucher. Le commissaire leur exposa brièvement le but de sa mission : “Je n’eus pas le temps de finir que de tous côtés retentissaient les hourras. Les soldats se dressaient et m’entouraient étroitement.” Un camion automobile surchargé d’hommes du régiment Semenovsky arriva à l’imprimerie. Dans la salle des rotatives s’assembla bientôt l’équipe de nuit. Le commissaire exposa pourquoi il était venu. “Ici encore, comme à la caserne, les ouvriers répondirent par des hourras et au cri de : Vivent les soviets.” »

Mencheviks et SR : avec la bourgeoisie contre l’insurrection

Au même moment, en pleine nuit, se tient la séance préliminaire du deuxième congrès panrusse des soviets qui doit s’ouvrir le lendemain et où la majorité est désormais assurée au Parti bolchevik. Trotsky y annonce le déclenchement de l’insurrection.
Les partisans du gouvernement provisoire protestent et quittent la salle les uns après les autres. Dans la nuit, ils proclament un Comité pour le salut du pays et de la révolution, se réunissant avec les bourgeois du Parti cadet à la Douma. Le journaliste John Reed s’y rend et observe : « Rien n’était plus frappant que le contraste entre cette foule et le congrès des soviets. Là-bas, la grande masse de soldats en vêtements usés, d’ouvriers crasseux, de paysans : des hommes pauvres, courbés et marqués dans leur chair par la lutte brutale pour l’existence ; ici, les chefs mencheviks et SR – les Avksentiev, les Dan, les Lieber – les anciens ministres socialistes, les Skobelev, les Tchernov, faisant bon ménage avec les cadets tels que l’huileux Chatski, l’insinuant Vinaver, avec des journalistes, des étudiants, des intellectuels de presque toutes les tendances. Ces gens de la Douma étaient bien nourris, bien vêtus ; parmi eux, je ne comptai pas plus de trois prolétaires. »

Tout le pouvoir aux soviets !

Dans la journée du 25 octobre, quelques combats se poursuivent autour du palais d’Hiver où est retranché le gouvernement provisoire, protégé par les dernières troupes qui lui sont encore fidèles. Quelques dizaines de victimes tombent alors, de part et d’autre. Mais plusieurs coups de canon tirés du croiseur Aurore et la détermination des insurgés emportent la victoire. Les ministres du gouvernement provisoire sont arrêtés. Kerenski réussit à prendre la fuite et part au front où il espère encore rassembler des troupes. Le 2e congrès des soviets, acclamant l’insurrection victorieuse, prend alors tout le pouvoir entre ses mains.
Depuis le matin du 25 octobre, une proclamation signée du Comité militaire révolutionnaire circule dans les rues de la capitale :
« Aux citoyens de Russie
Le gouvernement provisoire est déposé. Le pouvoir est passé entre les mains du Comité militaire révolutionnaire, organe du soviet des députés ouvriers et soldats de Petrograd, qui se trouve à la tête du prolétariat et de la garnison de la capitale.
La cause pour laquelle le peuple a lutté – offre immédiate d’une paix démocratique, abolition de la grande propriété foncière, contrôle ouvrier de la production, création d’un gouvernement des soviets – cette cause a triomphé.
Vive la révolution des ouvriers, des soldats et des paysans ! »

Vendredi 20 octobre
Meeting
1917-2017, la Révolution russe
à 20h30
Pour changer le monde, les travailleurs au pouvoir
Meeting avec Nathalie Arthaud, avec la participation d'Arlette Laguiller
Palais de la Mutualité
24, rue Saint-Victor – Paris 5e
Métro : Maubert-Mutualité
Entrée libre
Le meeting sera retransmis sur https://www.lutte-ouvriere.org/direct

  

Pour aller à notre grand meeting sur le 100ème anniversaire de la Révolution d’octobre, un départ collectif en transport en commun est organisé. On se retrouvera demain vendredi à 18 heures 45 au Café des 2 gares, gare d’Argenteuil, immédiatement à la sortie Orgemont.

mercredi 18 octobre 2017

Révolution russe de 1917 : en France, les soldats russes aussi


16-20 septembre 1917 : la répression contre les soldats russes en France

Le 16 septembre 1917, à dix heures, les premiers obus tombaient sur le camp militaire de La Courtine, situé dans la Creuse, où dix mille soldats russes mutinés se trouvaient retranchés depuis le mois de juin. L’assaut était mené par les troupes russes qui avaient combattu depuis un an sur le sol français et qui demeuraient fidèles au gouvernement provisoire de Kérenski. Appuyé par plusieurs milliers de soldats français, il allait être mené trois jours durant à coups de canons et de mitrailleuses pour briser la plus longue et la plus profonde mutinerie survenue sur le front occidental au cours de la Première Guerre mondiale.
Dans ce conflit, la Russie tsariste était alliée à la France et à la Grande-Bretagne, ses principaux créanciers, mais en situation de subordonnée. À l’été 1914, elle avait lancé sous leur pression une offensive contre l’Allemagne et ­l’Autriche-Hongrie alors que sa mobilisation était à peine engagée et ses armées sous-équipées. En décembre 1915, la France imposa, en échange de quelques caisses de matériel militaire, que la Russie la laisse prélever dans son supposé « réservoir humain inépuisable » des troupes destinées à servir sur le front français et auprès de l’armée d’Orient. C’est ainsi que deux brigades, la 1re et la 3e, soit environ 20 000 hommes, furent envoyées en France à partir de février 1916, et deux autres à Salonique.

La contagion de la révolution

La presse française, soumise au pouvoir français et souvent alimentée par les fonds secrets de l’empire russe, présenta ces unités commandées par des chefs issus de la haute noblesse et dévoués au tsar et à son régime comme des troupes d’élite exemplaires, obéissantes et pétries par la foi que rien ne viendrait ébranler. Elles défilèrent, derrière leurs popes, à Marseille en avril et dans les rues de Paris à l’occasion du 14 juillet 1916, puis furent conduites au front. À l’enfer des combats s’ajouta la discipline de fer imposée par le commandement, y compris à l’aide de châtiments corporels.
Lorsque survint la révolution de février en Russie, le corps des officiers en retarda l’annonce le plus longtemps qu’il put. Mais la majorité des hommes en avaient déjà pris connaissance, grâce aux contacts amicaux qu’ils avaient noués avec des soldats français, mais aussi par l’intermédiaire des militants révolutionnaires exilés en France qui, malgré la censure, étaient parvenus à transmettre quelques journaux et des tracts. Des liens furent établis également dans les hôpitaux de la région parisienne où certains blessés avaient été soignés.
Ainsi que l’écrivit Trotsky dans son Histoire de la révolution, ces soldats « avaient apporté une terrible contagion à travers les mers, dans leurs musettes de toile, dans les plis de leurs capotes et dans le secret de leurs âmes ». Se saisissant des nouveaux droits du soldat proclamés en Russie dans l’ordre n°1 par le soviet de Petrograd, réduisant à néant la toute puissance des officiers caractérisant jusque-là l’armée tsariste, la troupe élut ses délégués. Se constituant en soviet à la stupeur des autorités françaises, elle exigea d’être rapatriée au plus vite, ce qui lui fut refusé. L’offensive du 16 avril 1917 dans laquelle ces unités furent jetées avec l’essentiel des unités françaises sur le Chemin des Dames fut une hécatombe : elles comptèrent plusieurs milliers de morts et des centaines de blessés en trois jours d’atroces affrontements.
La colère de la troupe se dressa alors ouvertement contre tout ce qui représentait l’Ancien Régime. Les officiers furent désignés comme des « buveurs de sang ». Au sein de la 1re brigade, dans laquelle avaient été incorporés de nombreux ouvriers de la région de Moscou, leur autorité fut bientôt réduite à néant. Pour éviter toute contagion révolutionnaire, au moment même où les troupes françaises elles-mêmes commençaient à être touchées par un vaste mouvement de mutineries et de contestation de la guerre, les deux brigades furent retirées du front. Le 1er mai du calendrier russe, elles manifestèrent en reprenant des chants révolutionnaires, banderoles à l’appui et en conspuant leurs généraux. Pétain, qui venait d’être nommé commandant en chef des armées, décida de les transférer de toute urgence au camp militaire de La Courtine, dans la Creuse, loin donc de tout contact avec la troupe et la population des villes.

Les commandements russe et français mènent la répression

Peu après leur arrivée à la fin juin, les dix mille soldats de la 1re brigade, qui avaient conservé leur armement, expulsèrent tous leurs officiers. Affirmant fièrement qu’ils étaient les maîtres du camp, ils tinrent des meetings plusieurs fois par jour et continuèrent à exiger leur retour en Russie. Le commandement conservait encore suffisamment d’autorité sur la 3e brigade pour l’éloigner à plusieurs kilomètres. Mais il finit par l’envoyer au camp militaire du Courneau, dans le bassin d’Arcachon, pour empêcher qu’elle ne basculât à son tour dans une mutinerie ouverte.
Kérenski n’eut de cesse d’exiger la soumission des mutins, et dépêcha ses émissaires sur place. Ceux-ci exhortèrent en vain la troupe à se soumettre et à rendre ses armes en échange de vagues promesses. Après deux mois et demi de face-à-face, d’ultimatums, de menaces et de privation de nourriture, le gouvernement provisoire russe, encouragé fortement par les autorités françaises, décida d’obtenir la reddition des mutins par la force.
Après sélection, il réunit dans ce but une partie des soldats de la 3e brigade et une unité d’artillerie russe de passage en France, soit plus de 5 000 hommes. Le gouvernement français fit mettre en place un cordon formé d’autant de soldats en deuxième ligne pour l’appuyer. La population de La Courtine et des villages environnants, qui avait jusque-là cohabité avec les mutins, fut évacuée tandis que des tranchées étaient creusées et des batteries de 75 positionnées.
Après trois jours d’affrontements, les derniers rebelles se rendirent. Les membres du comité du camp et tous ceux considérés comme des meneurs furent arrêtés, avant d’être pour la plupart déportés dans un fort sur l’île d’Aix. Officiellement, l’assaut avait fait neuf morts et quelques dizaines de blessés. Mais il n’enraya pas la « décomposition » des troupes russes en France.
La révolution continua son œuvre de sape, y compris au sein de l’unité qui avait participé à la répression. Contraints dès l’automne 1917 à travailler dans de dures conditions et sous une stricte surveillance, déportés pour plusieurs milliers d’entre eux en Algérie, en prison ou dans des camps, ces soldats russes continuèrent à défendre les idéaux de la révolution et le pouvoir bolchevik malgré la censure et la propagande dont ils furent l’objet, témoignant ainsi, à des milliers de kilomètres, de la puissance émancipatrice de cette révolution.
Mais l’immense majorité d’entre eux durent attendre 1920 pour retrouver la Russie après un long bras de fer entre les dirigeants bolcheviks et le gouvernement français.

                                       Pierre DELAGE (Lutte ouvrière n°2565)






mardi 17 octobre 2017

La Révolution russe de 1917 : (37) vers l’insurrection


Vers l’insurrection d’Octobre

Début octobre 1917, le gouvernement de Kerenski, soutenu par les conciliateurs mencheviks et socialistes-révolutionnaires (SR), se révèle impuissant. Son autorité se désagrège, tandis que la lutte entre la bourgeoisie et le prolétariat pour le pouvoir se dirige vers l’affrontement armé. John Reed, journaliste américain alors présent à Petrograd, a décrit dans Les dix jours qui ébranlèrent le monde l’insurrection elle-même, mais aussi la situation à la veille d’Octobre :
« Le gouvernement, déchiré entre les groupements démocratiques et réactionnaires, ne pouvait rien faire ; lorsqu’il était forcé d’agir, c’était toujours pour défendre les intérêts des classes possédantes. Il envoyait les cosaques rétablir l’ordre chez les paysans, briser les grèves. À Tachkent, les autorités décidèrent la dissolution du soviet. À Petrograd, au Conseil économique créé pour ranimer l’économie ravagée du pays, les forces opposées du capital et du travail aboutirent à une impasse ; Kerenski supprima le conseil. Les militaires de l’ancien régime, soutenus par les cadets, exigeaient l’adoption de mesures sévères pour restaurer la discipline dans les forces terrestres et navales. (…)
Sous prétexte que Petrograd était en danger, le gouvernement provisoire dressa des plans pour l’évacuation de la capitale. Les grandes usines de munitions devaient partir les premières pour être éparpillées à travers la Russie ; puis le gouvernement lui-même allait se transporter à Moscou. Aussitôt les bolcheviks déclarèrent que le gouvernement abandonnait la capitale rouge afin d’affaiblir la révolution. » La presse bourgeoise exultait : « Rodzianko, chef de l’aile droite des cadets, affirma dans le Outro Rossii (Le matin de la Russie) que la prise de Petrograd par les Allemands serait une bénédiction, parce qu’elle permettrait de détruire les soviets et de se débarrasser de la flotte révolutionnaire de la Baltique. »
Les mencheviks et les SR appelaient le gouvernement à empêcher l’ouverture du congrès panrusse des soviets, convoqué pour le 20 octobre et qui allait être finalement reporté au 25. De toute évidence, les conciliateurs allaient y être écartés et les bolcheviks obtenir la majorité. Du côté des travailleurs, des soldats et des paysans, la volonté d’en découdre avec la bourgeoisie n’avait jamais été aussi forte. John Reed voyait les délégués nouvellement élus arrivant à Petrograd pour le congrès : « De grands soldats barbus, des travailleurs en chemise noire, quelques paysans à la longue chevelure. La jeune fille qui les recevait (…) souriait avec mépris. ”Ils sont très différents des délégués au premier congrès, observa-t-elle. Voyez comme ils ont l’air ignare et grossier ! Des gens incultes !” C’était vrai : la Russie avait été remuée jusque dans ses profondeurs et à présent c’était le fond qui remontait à la surface. »
Lénine pressa alors le Parti bolchevique de déclencher l’insurrection sans attendre le congrès et écrivit : « La révolution est perdue si le gouvernement de Kerenski n’est pas renversé par les prolétaires et les soldats très prochainement... Il faut mobiliser toutes les forces pour inculquer aux ouvriers et aux soldats l’idée de l’absolue nécessité d’une lutte désespérée, dernière, décisive, pour le renversement du gouvernement de Kerenski. » Après deux jours de discussion acharnée, les 9 et 10 octobre, la direction du Parti bolchevique vota par dix voix contre deux le déclenchement de l’insurrection dans les jours suivants.
Elle adopta la résolution suivante rédigée par Lénine : « Le comité central reconnaît que la situation internationale de la révolution russe (mutinerie de la flotte en Allemagne, manifestation extrême de la croissance de la révolution socialiste mondiale dans toute l’Europe ; et, par ailleurs, menace de voir la paix impérialiste étouffer la révolution en Russie), de même que la situation militaire (décision indubitable de la bourgeoisie russe et de Kerenski et consorts, de livrer Petrograd aux Allemands), – de même que l’obtention par le parti prolétarien de la majorité aux soviets, – tout cela, lié au soulèvement paysan et au changement d’attitude du peuple qui fait confiance à notre parti (élections de Moscou) et enfin la préparation manifeste d’une nouvelle aventure Kornilov (retrait des troupes de Petrograd, transfert des cosaques à Petrograd, encerclement de Minsk par les cosaques, etc.) – tout cela met l’insurrection armée à l’ordre du jour. Considérant donc que l’insurrection armée est inévitable et tout à fait mûre, le comité central propose à toutes les organisations du parti de déterminer leur attitude en fonction de cet état de choses, d’examiner et de résoudre de ce point de vue toutes les questions pratiques. »





Vendredi 20 octobre
Meeting
1917-2017, la Révolution russe
à 20h30
Pour changer le monde, les travailleurs au pouvoir
Meeting avec Nathalie Arthaud, avec la
participation d'Arlette Laguiller
Palais de la Mutualité
24, rue Saint-Victor – Paris 5e
Métro : Maubert-Mutualité
Entrée libre
Le meeting sera retransmis sur https://www.lutte-ouvriere.org/direct

lundi 16 octobre 2017

Révolution russe de 1917 (36) : l’insurrection se prépare


Le comité militaire révolutionnaire prépare l’insurrection

Début octobre 1917, les bolcheviks avaient acquis la majorité dans les soviets de Petrograd, de Moscou, du Nord, de la flotte de la Baltique, ce qui reflétait les progrès spectaculaires de leur influence parmi les masses ouvrières et les soldats. Ces derniers envoyaient de partout des délégués au soviet de Petrograd : « Mais jusqu’à quand cette situation intolérable va-t-elle encore durer ? Les soldats nous ont ordonné de vous faire savoir que si d’ici au 1er novembre il n’y a pas d’avancées décisives vers la paix, il n’y aura plus personne dans les tranchées, l’armée tout entière se ruera vers l’arrière », disaient-ils notamment. Les campagnes, elles aussi, se soulevaient. Trotsky décrit ainsi cette période dans L’avènement du bolchevisme :
« C’était l’époque où nous nous dirigions ouvertement vers l’insurrection et où nous nous organisions pour la préparer. La date fixée pour la convocation du congrès panrusse des soviets était le 25 octobre. On savait déjà, sans l’ombre d’un doute, que le congrès se prononcerait pour la remise du pouvoir aux mains des soviets. Mais une telle décision devait entrer en vigueur sans attendre, sinon elle se transformerait en une manifestation platonique absolument indigne. (…) Nous avions proclamé publiquement, au nom du soviet de Petrograd et du congrès du Nord, que le deuxième congrès des soviets devait renverser le gouvernement de Kerenski et devenir le véritable maître de la terre russe.
L’insurrection était déjà réellement en marche. Elle se déployait complètement au grand jour, aux yeux de tout le pays. (…) C’était une époque de meetings incessants dans les usines, aux cirques Moderne et Ciniselli, dans les clubs, les casernes. L’atmosphère de tous les meetings, de toutes les réunions, était chargée d’électricité. Toute évocation de l’insurrection soulevait une tempête d’applaudissements et des cris enthousiastes. »
La bourgeoisie criait au danger. Le gouvernement Kerenski et ses soutiens, socialistes-révolutionnaires et mencheviks au soviet, sentaient le sol se dérober sous leurs pieds. Le pouvoir leur échappait. Quand le quartier général de l’armée réclama l’envoi au front d’une partie de la garnison de Petrograd, sous prétexte de protéger la capitale d’une avancée allemande, le soviet de Petrograd s’y opposa. Il se méfiait de l’état-major, la tentative de coup d’État de Kornilov, fin août, ayant déjà été précédée de l’éloignement de plusieurs régiments révolutionnaires.
« Le comité exécutif du soviet refusa d’apposer, les yeux bandés, son tampon sous l’ordre d’éloigner les deux tiers de la garnison. Il est indispensable, avons-nous alors déclaré, de vérifier si cet ordre répond effectivement à des considérations militaires, et donc de constituer un organisme pour ce faire. C’est ainsi qu’est née l’idée de former, avec la section des soldats du soviet, c’est-à-dire avec la représentation politique de la garnison, un organe strictement opérationnel, en l’occurrence le comité militaire révolutionnaire, un organe qui allait par la suite acquérir une puissance telle qu’il devint l’instrument concret du coup de force d’Octobre.
La première tâche du comité militaire révolutionnaire fut de nommer des commissaires dans toutes les unités de la garnison de Petrograd et dans toutes les institutions importantes de la capitale et des environs.
De divers endroits, on nous informait que le gouvernement ou, pour être plus exact, les partis gouvernementaux s’activaient à organiser et armer leurs forces. De différents dépôts d’armes, publics et privés, on sortait des fusils, des revolvers, des mitrailleuses, des cartouches, pour en armer les élèves des écoles militaires, les étudiants et, plus généralement, la jeunesse bourgeoise.
Il fallait prendre sans tarder des mesures préventives. On affecta des commissaires à tous les dépôts et magasins d’armes. Ils se rendirent maîtres de la situation pratiquement sans rencontrer d’opposition. Il est vrai que les commandants et les propriétaires des dépôts d’armes s’efforcèrent de ne pas reconnaître leur autorité, mais il suffisait de s’adresser au comité de soldats ou à celui des employés de chaque établissement pour que la résistance soit immédiatement brisée. Dès lors, on ne délivra plus d’armes que sur un ordre de nos commissaires. (…) Les régiments déclaraient les uns après les autres, à l’issue de meetings où étaient intervenus les représentants des différents partis, qu’ils ne reconnaissaient plus que les commissaires du soviet de Petrograd et qu’ils ne bougeraient que sur ses instructions. »



Vendredi 20 octobre
Meeting
1917-2017, la Révolution russe
à 20h30
Pour changer le monde, les travailleurs au pouvoir
Meeting avec Nathalie Arthaud, avec la
participation d'Arlette Laguiller
Palais de la Mutualité
24, rue Saint-Victor – Paris 5e
Métro : Maubert-Mutualité
Entrée libre
Le meeting sera retransmis sur https://www.lutte-ouvriere.org/direct

dimanche 15 octobre 2017

Révolution russe de 1917 (35) : dans les campagnes


La révolution dans les campagnes

 « La civilisation a fait du paysan un âne qui porte le bât. La bourgeoisie a seulement modifié la forme du bât », écrit Trotsky dans le chapitre de son Histoire de la révolution russe consacré à l’évolution de l’état d’esprit dans les campagnes. Les paysans, qui représentaient les trois quarts de la population, vivaient des conditions différentes suivant les régions et suivant leur situation sociale, du travailleur agricole sans terre au fermier louant la terre, en passant par les propriétaires, et dont les petits peinaient à nourrir leur famille tandis que les gros faisaient partie des notables du village. Mais au fil de la révolution, les paysans se manifesteront de plus en plus radicalement, n’hésitant pas à devancer les hésitations du gouvernement provisoire et à s’emparer directement des terres.
Dans son récit À travers la Révolution russe, le journaliste socialiste américain Albert Rhyss Williams raconte sa visite en août 1917, dans le village de Spasskoye, dans le bassin de la Volga, avec Yanishev, militant bolchévik qui en avait été banni dix ans plus tôt et n’y était pas revenu : « Depuis notre arrivée, les villageois demandaient à Yanishev de faire un discours. – Regardez, me dit Yanishev il y a dix ans, si ces paysans m’avaient soupçonné d’être socialiste ils m’auraient tué. Aujourd’hui, même sachant que je suis un bolchévik, ils viennent me demander de parler. Ils ont fait beaucoup, beaucoup de chemin depuis ! (…) Yanishev, sur la place du village, monta sur une tribune improvisée et commença à expliquer les théories des bolchéviks sur la révolution, la guerre et la terre.
La nuit succéda au crépuscule et ils écoutaient toujours. On apporta des torches et Yanishev continua son discours. Sa voix devint rauque. On lui apporta de l’eau, du thé et du kvass. La voix lui manqua et ils attendirent patiemment qu’elle lui revînt. Ces paysans, qui avaient travaillé toute la journée dans les champs, restèrent là jusqu’à une heure avancée de la nuit, plus ardents à nourrir leur esprit qu’ils ne l’avaient été à recueillir la nourriture de leur corps. (…) Il y avait un tel respect et de si anciens désirs sur ces figures qui se pressaient attentives autour de l’orateur ; une telle faim dans ces questions qui surgissaient de l’obscurité ! Yanishev tint bon jusqu’à l’épuisement complet. »
Trotsky, quant à lui, rapporte dans son Histoire de la révolution russe, les propos d’un journal libéral de Moscou, pendant l’été 1917, qui se font l’écho des préoccupations des cercles de propriétaires : « Le moujik regarde autour de lui, pour l’instant il n’entreprend rien encore, mais voyez bien dans ses yeux, et ses yeux disent que toute la terre qui s’étend autour de lui est à lui. »
Analysant les centaines de conflits se multipliant au cours de la révolution aux quatre coins de la Russie, Trotsky poursuit : « Le village luttait contre les koulaks sans les rejeter, au contraire en les obligeant à se joindre au mouvement général et à le couvrir contre les couches de droite. Il y eut même des cas où le refus de participer à un pillage fut châtié par l’exécution de l’indocile. Le koulak louvoyait tant qu’il pouvait, mais, à la dernière minute, après s’être gratté la nuque une fois de plus, attelait ses chevaux bien nourris à sa télègue, montée sur des roues solides, et partait prendre son lot. C’était fréquemment la part du lion. Ceux qui profitèrent étaient surtout des gens cossus – raconte Béguichev, paysan de la province de Penza – qui avaient des chevaux et des gens à leur disposition. C’est presque dans les mêmes termes que s’exprime Savtchenko, de la province d’Orel : “Le profit revint à la majorité des koulaks qui étaient repus et avaient les moyens de transporter du bois…” D’après le calcul de Verménitchev, sur quatre mille neuf cent cinquante-quatre conflits agraires avec les propriétaires nobles, de février à octobre, il y a eu au total trois cent vingt-quatre conflits avec la bourgeoisie paysanne. Rapport évidemment remarquable ! À lui seul, il démontre indiscutablement que le mouvement paysan de 1917, dans sa base sociale, était dirigé non contre le capitalisme, mais contre les survivances du servage. La lutte contre les koulaks ne se développa que plus tard, dès 1918, après la liquidation définitive des propriétaires nobles. »

samedi 14 octobre 2017

Révolution russe de 1917 (34) : septembre, l’impossible conciliation


La Conférence démocratique, impossible conciliation

Après la tentative de coup d’État contre-révolutionnaire du général Kornilov, le troisième gouvernement provisoire de Kerensky, « fidèle à sa tradition de ne résister à aucun choc sérieux », s’effondre. Une nouvelle crise gouvernementale s’ouvre, Kerensky tentant d’incarner le pouvoir à la tête d’un directoire de cinq personnes, tandis que dans les usines, les casernes et les campagnes le mécontentement et l’impatience des masses augmentent.
Les forces conciliatrices, socialistes-révolutionnaires et menchéviks, convoquent alors une Conférence démocratique, grâce à laquelle elles espèrent montrer leurs poids, tout en contrant les forces bourgeoises les plus contre-révolutionnaires mais aussi les aspirations révolutionnaires des masses, portées par les soviets. Cette conférence se réunit à Pétrograd, du 14 au 22 septembre (27 septembre au 5 octobre selon notre calendrier). Trotsky, membre de la délégation désignée pour y présenter la plate-forme du Parti bolchevique, en parle en ces termes dans l’Histoire de la révolution russe.
« Si l’on néglige les nuances, il est facile d’établir dans la conférence trois groupes : un centre, vaste mais extrêmement instable, qui n’ose pas prendre le pouvoir, accepte la coalition mais ne veut point des cadets (le parti bourgeois) ; une aile droite, faible, qui tient pour Kerensky et la coalition avec la bourgeoisie, sans aucune limitation ; une aile gauche, deux fois plus forte, qui tient pour le pouvoir des soviets, ou bien pour un gouvernement socialiste.
À la réunion des délégués soviétiques de la Conférence démocratique, Trotsky se prononça pour la transmission du pouvoir aux soviets, Martov (dirigeant menchevik) pour un ministère socialiste homogène. La première formule réunit 86 suffrages, la deuxième 97. Formellement, il n’y avait guère que la moitié des soviets ouvriers et de soldats qui eussent à ce moment-là des bolcheviks à leur tête, l’autre moitié hésitait entre les bolcheviks et les conciliateurs. Mais les bolcheviks parlaient au nom des puissants soviets des centres les plus industriels et les plus instruits du pays ; dans les soviets, ils étaient infiniment plus forts que dans la conférence et, dans le prolétariat et l’armée, infiniment plus forts que dans les soviets. Les soviets attardés ne cessaient pas de chercher à rejoindre les plus avancés. »

Aucune majorité claire ne se prononça en faveur d’un gouvernement de coalition, d’autant que Kerensky refusait de participer à un gouvernement uniquement socialiste et réclamait une coalition comprenant le Parti cadet. Finalement, une motion suffisamment floue, présentée par le menchevik Tsereteli, laissa les mains libres à Kerensky. Se séparant, la Conférence démocratique laissait en place un pré-Parlement, censé représenter la nation jusqu’à la convocation de l’Assemblée constituante.
La direction du Parti bolchevique se divisa sur l’attitude à adopter, Trotsky défendant le boycott. Lénine, qui ne put faire parvenir son avis qu’une fois prise la décision de participer, écrivait le 23 septembre : « Il faut boycotter le pré-Parlement. Il faut se retirer dans les soviets d’ouvriers, de soldats et de paysans, se retirer dans les syndicats, se retirer en général dans les masses. Il faut les appeler à la lutte. Il faut leur donner un mot d’ordre juste et clair : chasser la bande de Kerensky et son fallacieux pré-Parlement. »
Rédigée par Trotsky, son président, la résolution du soviet de Petrograd soulignait : « Le nouveau gouvernement entrera dans l’histoire de la révolution comme un gouvernement de guerre civile… La nouvelle de la formation d’un nouveau pouvoir rencontrera du côté de toute la démocratie révolutionnaire une seule réponse : Démission ! S’appuyant sur cette voix unanime de la véritable démocratie, le congrès panrusse des soviets créera un pouvoir véritablement révolutionnaire ». Trotsky la commentait ainsi dans son Histoire de la révolution russe : « Les adversaires avaient envie de ne voir dans cette résolution qu’un vote ordinaire de défiance. En réalité, c’était un programme d’insurrection. Pour que le programme fût rempli, il faudrait juste un mois. »