Mexique :
l’horreur des féminicides
19 Février 2020
Le 9 février au Mexique, une
jeune femme de 25 ans, Ingrid, a été retrouvée assassinée et éviscérée par son
compagnon, un ingénieur de 46 ans. Ce crime sauvage a déclenché une réaction
massive des femmes, qui ont manifesté dans les rues de Mexico, le 14 février.
« Pas une de plus »,
ont lancé les manifestantes, dont certaines portaient les foulards mauves des
féministes ou les foulards verts des militantes pour le droit à l’avortement.
Beaucoup se dissimulaient le visage avec des cagoules ou du maquillage, par
crainte de représailles. Il y a eu des rassemblements et des manifestations
d’hommage à cette jeune femme dans sept États du pays.
Les clichés de la victime et la
confession de son meurtrier se sont étalés dans les journaux à sensation, ce
qui a contribué à la fois à alimenter la colère des femmes contre un crime
révoltant mais aussi contre la vénalité des marchands de papier. Cette colère
s’est exprimée contre le journal La Prensa, dont plusieurs véhicules de
livraison ont été saccagés et incendiés la veille de la manifestation. C’était
la réponse aux propos désinvoltes du dirigeant du journal, qui ne voulait pas
s’excuser de la manière dont il avait traité l’affaire, préférant le racolage à
la dignité de la personne.
La société mexicaine est une des
sociétés du continent américain où la vie humaine vaut le moins cher. Gangrenée
par diverses mafias, allant des partis gouvernementaux, clientélistes depuis
toujours, aux narcotrafiquants qui disposent de moyens suffisants pour corrompre
ou éliminer ceux qui pourraient leur barrer la route, les meurtres y sont très
fréquents.
Les meurtres de femmes ont
longtemps frappé les ouvrières travaillant dans les usines sous-traitantes
installées à la frontière nord du Mexique. Mais depuis 2015, dans cette société
très machiste, les meurtres de femmes tuées par leur compagnon ont explosé. En
2019, on a recensé 1 006 assassinats de femmes, une augmentation de
145 % par rapport à 2015.
Six femmes mexicaines de moins de
15 ans sur dix sont victimes d’agressions physiques et sexuelles. Mais la très
grande majorité d’entre elles ne portent pas plainte parce que la police ne
donne pas suite, ou tient les propos stupides qu’on sert partout aux femmes
agressées : il ne fallait pas sortir non accompagnée, ou ne pas porter de
jupe trop courte.
Des manifestantes ont interpellé
devant le palais présidentiel le président Andrès Manuel Lopez Obrador pour
qu’il agisse contre les féminicides. Il a déclaré qu’il ne « ferait pas
l’autruche », mais jusqu’à présent il s’est montré plus efficace contre les
migrants qui tentent de rejoindre les États-Unis. Sa ministre de l’Intérieur a
entonné le couplet : « Les revendications des femmes sont notre
priorité. » Une enquête a été ouverte à propos de la diffusion des photos
d’Ingrid. Le Parlement local de Mexico a déposé un projet de loi condamnant à
de fortes peines de prison la divulgation de telles images. Mais la question
des meurtres de femmes est sur la table depuis plusieurs années, sans que cela
ait mis un terme à ce fléau. Pire, il a pris de l’ampleur.
« Mes amies me protègent,
pas les policiers », scandaient des femmes dans la manifestation,
conscientes que, pour les protéger, elles ne peuvent guère compter sur un État
gangrené par la corruption. Les mobilisations de femmes ces derniers mois dans
plusieurs pays d’Amérique latine, au Chili, en Argentine et au Salvador,
montrent que ce n’est pas spécifique au Mexique.
Jacques
FONTENOY (Lutte ouvrière n°2690)
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire