Algérie :
contre le pouvoir, un mouvement populaire toujours déterminé
10 Juillet 2019
Vingt semaines après son
déclenchement, le mouvement populaire a fait une puissante démonstration de
force vendredi 5 juillet, jour anniversaire de l’indépendance de l’Algérie. Des
foules immenses ont parcouru les principales villes du pays, malgré les très
fortes chaleurs et les intimidations du pouvoir.
Les manifestants exigent le
départ des « 2 B » : Bédoui, le Premier ministre, et Bensallah,
le président par intérim. Ce dernier a proposé qu’un panel de personnalités mette
sur pied une instance électorale indépendante pour organiser un scrutin
présidentiel. Les manifestants ont massivement rejeté sa proposition :
« Pas de dialogue avec la issaba (bande) », « Pas d’élection,
bande de mafieux ! » ou encore « Dégagez tous ! »
Cinquante-sept ans après la fin
de la guerre contre les colonisateurs français, la population estime que les
aspirations à vivre dans un pays libre et sans oppression, qui étaient celles
du peuple algérien en 1962, ont été trahies. Depuis le début du mouvement, la
population accuse les dignitaires du FLN, parti au pouvoir depuis 1962, les
hommes du système et en particulier les généraux, de s’être arrogé les
bénéfices d’une indépendance acquise au prix de lourds sacrifices.
Aussi les manifestants ont-ils
été nombreux à arborer des portraits de celles et ceux qu’ils considèrent comme
les véritables héros de la lutte pour l’indépendance. Sur une banderole on
pouvait lire : « 1962 : indépendance confisquée. 2019 :
Algérie indépendante. »
Les aspirations démocratiques qui
s’expriment depuis le 22 février opposent les masses algériennes à un système
politique qui, depuis 1962, repose sur une dictature militaire à peine voilée.
Qu’elle ait été dans les coulisses ou sur le devant de la scène, c’est l’armée,
véritable colonne vertébrale du régime, qui est à la manœuvre depuis
l’indépendance.
Aujourd’hui, le bras de fer met
face à face le mouvement populaire et Gaïd Salah, le chef d’état-major, nouvel
homme fort du régime, cible principale des manifestants. Si son opération
« mains propres », qui a conduit en prison des hauts dignitaires, des
grands patrons, des ministres ou des officiers, a pu satisfaire une fraction de
l’opinion populaire, elle n’a pas été suffisante pour faire refluer le
mouvement. Par contre, ses tentatives de division entre berbérophones et
arabophones, ses intimidations avec d’impressionnants dispositifs policiers,
ont semble-t-il attisé la colère.
Ces dernières semaines, une
trentaine de manifestants ont été arrêtés pour avoir brandi, ou simplement
transporté, un drapeau berbère. Ils sont poursuivis pour atteinte à l’unité
nationale. La mise en détention à la veille du 5 juillet de Lakhdar Bouregaa,
ancien combattant de la guerre d’indépendance, pour atteinte au moral de
l’armée, a particulièrement choqué. « Nous voulons un état civil, ni
militaire ni policier ! », « Libération de tous les
détenus » : ces slogans ont été scandés avec vigueur.
Les initiatives pour tenter de
sortir le régime de l’impasse ne manquent pas. Elles sont l’expression de sensibilités
politiques diverses. Ainsi une Conférence nationale de dialogue, qui regroupe,
autour de l’ex-Premier ministre Ali Benflis, les dirigeants islamistes, Makri
du MSP, Djaballah d’El Adala, se dit favorable à la proposition de dialogue de
Bensalah. Elle concurrence d’autres initiatives comme celle baptisée Société
civile, réunissant des associations, syndicats autonomes et collectifs, ou
encore l’Alternative démocratique, constituée autour de partis qui s’affirment
progressistes, comme le FFS ou le RCD.
Ces différents regroupements
prétendent chacun offrir un débouché politique au mouvement populaire, mais
aucun n’a à ce jour suffisamment de crédit pour pouvoir le représenter et
parler en son nom. Et s’ils rivalisent entre eux, les solutions qu’ils
préconisent auraient toutes pour résultat de préserver la domination de la
bourgeoisie algérienne, de l’État et de l’armée sur lesquels elle s’appuie
depuis 1962.
« Pour une seconde
indépendance », pouvait-on lire sur les pancartes des manifestants.
Afin de ne pas voir leurs espoirs
d’émancipation trahis, les travailleurs et les classes populaires doivent
cultiver leur défiance vis-à-vis de tous ceux qui prétendent parler en leur
nom.
Gaïd Salah prétend répondre aux
aspirations du mouvement populaire en mettant derrière les barreaux quelques
riches hommes d’affaires et des hommes autrefois au pouvoir.
Ces arrestations ne changeront
rien au sort des classes populaires.
Pour changer leurs conditions
d’existence, pour empêcher le pillage des richesses du pays, les travailleurs
et les classes populaires ne peuvent compter que sur leur propre mobilisation,
sur le contrôle qu’ils pourront exercer sur le pouvoir politique et sur
l’économie.
Pour vivre libres dans un pays
sans oppression, ils devront s’attaquer à ce qui est à la racine de cet ordre
social injuste : la domination de la bourgeoisie et de l’impérialisme.
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