Grande-Bretagne
: après le Brexit, un climat empoisonné
L’annonce
du succès du Brexit dans le référendum du 23 juin, en Grande-Bretagne, avec
51,9 % des voix et une participation électorale record de 72,2 %, aura pris
tout le monde par surprise.
Dans la
classe politique, la consternation était évidente, dans les rangs
gouvernementaux comme dans la majorité proeuropéenne des grands partis. Mais
même le camp du Brexit a montré par un certain flottement qu’il ne s’attendait
pas à ce résultat, à tel point que dans la soirée du 23 Nigel Farage, le leader
du parti souverainiste UKIP, avait déjà admis sa défaite !
L’anatomie
d’un résultat...
C’est
l’électorat conservateur traditionnel des provinces riches qui a fourni les
plus fortes majorités pour le Brexit. En revanche, la plupart des grandes
agglomérations, dont la capitale, se sont prononcées pour le maintien dans
l’Union européenne.
Cela
n’a pas empêché les commentateurs de tous bords d’attribuer la responsabilité
de la victoire du Brexit à l’électorat populaire du Parti travailliste qui
aurait, selon eux, défié les consignes de son parti pour exprimer ainsi ses
préjugés anti-immigrés.
C’est
aussi ce prétexte qu’a invoqué la droite de ce parti pour tenter de contraindre
le leader du parti, Jeremy Corbyn, à démissionner. Elle lui reproche de s’être
montré trop mou sur l’immigration, pour avoir dénoncé la dérive anti-immigrée
de la campagne !
Que les
sentiments anti-immigrés aient joué dans l’électorat populaire ne fait aucun
doute. Mais à qui la faute ? L’essentiel de la classe politique n’a-t-elle pas
mené campagne contre les immigrés, en les accusant d’être responsables de la
dégradation générale des conditions de vie ? Comme si cette dégradation n’était
pas due à l’offensive patronale contre l’emploi et les salaires, et aux
réductions brutales des budgets sociaux auxquelles se sont livrés les
gouvernements successifs, pour financer leur sauvetage du grand capital !
Il est
vrai qu’une fraction importante de l’électorat populaire s’est aussi servie du
Brexit pour défier Cameron et sa politique antiouvrière et, dans les grandes
entreprises, pour répondre au chantage à l’emploi auquel se livraient les
patrons pour convaincre leurs salariés de « bien » voter.
Évidemment,
ce vote de défiance ne pouvait servir les intérêts des travailleurs, car il
renforcera la démagogie nauséabonde et nationaliste qui a dominé cette
campagne. Mais ce n’est pas un hasard si les secteurs ouvriers où le vote pour
le Brexit a été le plus élevé coïncident avec les déserts industriels laissés
par les licenciements massifs de la sidérurgie et des mines : la colère et le
manque de perspective y ont masqué le fait que ce vote n’offrait aucun choix
réel pour les travailleurs.
... qui
ne satisfait pas grand monde
Une
fois passée la surprise, les réactions au résultat ont été des plus mitigées
parmi les travailleurs. Sans doute ont-ils savouré la mine déconfite de Cameron
lorsqu’il a annoncé sa démission pour l’automne prochain, mais la perspective
de voir la morgue provocatrice de son successeur probable, Boris Johnson,
s’étaler sur les écrans ne sourit pas à grand monde. En fait, au lieu de
manifestations de joie, on a vu apparaître un nouveau vocable, celui de «
regretxiter », pour désigner ceux qui se sont prononcés pour le Brexit mais qui,
au vu des résultats, voudraient pouvoir revenir sur leur vote.
Car bon
nombre d’électeurs, et pas seulement ceux qui ont voté pour le maintien dans
l’UE, en sont à se dire que le résultat n’est guère convaincant, pour un vote
que les deux camps avaient présenté comme un choix historique. Après tout, le
Brexit ne l’emporte que de 3,8 %, soit moins de 1,3 million de voix sur 33,5
millions de votants. Et si d’aussi minces majorités sont depuis longtemps
acceptées dans le jeu de chaises musicales parlementaires ou municipales, il
n’en va pas de même s’agissant de la remise en cause d’un état de fait
institutionnel vieux de quarante-trois ans.
Cette
ambivalence a posteriori de l’électorat est si palpable que, fait sans
précédent, une pétition électronique réclamant l’organisation d’un deuxième
référendum a recueilli plus de 3,3 millions de signatures en moins de 48 heures
! C’est bien plus qu’il n’en faut légalement pour obtenir un débat
parlementaire sur le sujet et peut-être même fournir au gouvernement un prétexte
pour embrayer en marche arrière, s’il y parvient sans provoquer de crise.
Le coût
de leur démagogie
Rappelons
que toute cette comédie référendaire n’avait rien à voir avec l’UE. Elle fut
conçue par Cameron comme une stratégie pour priver UKIP de son seul argument
électoral, son opposition à l’UE, et désamorcer les frayeurs des députés
conservateurs à l’idée de perdre des voix à son profit.
De
dérive politicienne en surenchère démagogique, cette stratégie a fini par se
retourner contre celui qui l’avait conçue, mais aussi contre ses donneurs
d’ordres du milieu des affaires qui, eux, ne voulaient pas d’un tel résultat.
Mais
toutes ces surenchères démagogiques auxquelles se sont livrés tant Cameron que
le camp du Brexit, sur le dos des travailleurs immigrés, ont un prix pour toute
la classe ouvrière britannique. Elles ont créé un climat dans lequel il est
devenu légitime de parler des travailleurs immigrés comme de parasites. Et
comme, hormis quelques voix isolées, le mouvement ouvrier officiel a conservé
un silence assourdissant à ce sujet, quand il n’est pas allé ouvertement dans
le sens du vent dominant comme c’est le cas de certains syndicats, il ne se
trouve guère de contrepoids parmi les travailleurs pour lutter contre ce poison
qui ne peut que diviser leurs rangs.
Sur une
note plus positive, la réalité est néanmoins que des millions de travailleurs
britanniques subissent au jour le jour l’exploitation capitaliste aux côtés de
leurs camarades immigrés, dans les usines, les chantiers, les centres de tri ou
les dépôts de chemins de fer. Et, quelles que soient les divisions créées par
la démagogie des politiciens, la nécessité de résister à l’exploitation
ressoudera leurs rangs sur la base de leurs intérêts de classe.
François ROULEAU (Lutte ouvrière n°2500)
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