jeudi 15 août 2013

Egypte : un article de l'hebdomadaire Lutte Ouvrière du 2 août dernier, pour aider à comprendre la situation actuelle

                       Égypte - Entre la dictature de l'armée et celle des islamistes

Un mois après le coup d'État du 3 juillet, au cours duquel l'armée égyptienne a mis fin aux pouvoirs du président élu Mohammed Morsi, représentant des Frères musulmans, la tension est loin d'être retombée. Les manifestations de protestation des Frères musulmans se succèdent. Chaque fois, ces manifestations se concluent par des dizaines de morts sous les balles de l'armée. Aux offres des militaires de négocier une présence de représentants de la confrérie au sein du gouvernement, les porte-parole de celle-ci répondent que désormais aucun accord n'est plus possible avec l'armée.
     Les dirigeants des Frères musulmans et du parti qui les représente, le Parti de la justice et de la liberté, disent refuser toute solution autre que le « retour à la légalité constitutionnelle », ce qui signifie le retour de Mohammed Morsi à la présidence. Ils estiment sans doute que l'attitude d'opposition frontale au coup d'État est celle qui à terme les renforcera le plus dans l'opinion populaire.
      Face au Frères musulmans, le général Al-Sissi a appelé tous ceux qui avaient manifesté le 30 juin contre Mohammed Morsi à témoigner leur soutien au nouveau gouvernement dont il est l'homme fort. « Les Égyptiens honnêtes » ont ainsi été appelés à lui donner mandat « pour en finir avec la violence et le terrorisme » et, le vendredi 26 juillet, des centaines de milliers de personnes ont répondu à cet appel des chefs de l'armée.
     L'armée égyptienne voudrait se présenter comme le rempart qui protège la population contre la menace d'une dictature islamiste. Elle est là dans la continuité de son attitude lors de la chute de Moubarak, en février 2011, où elle s'était présentée comme l'« armée du peuple » défendant ce dernier contre la dictature et contre la répression policière. Mais elle ne protège en rien la population et ne défend en rien ses intérêts.
    Deux ans après le départ de Moubarak, aucun des espoirs que pouvait nourrir la population pauvre n'a été satisfait. Dans une situation sociale chaque jour plus dramatique, le mécontentement s'est en grande partie tourné contre les Frères musulmans au gouvernement. Mais si les chefs de l'armée ont saisi l'occasion pour reprendre directement le pouvoir, il ne s'agissait pas seulement de régler leurs comptes avec un parti rival qui cherchait à leur retirer une partie de leurs prérogatives. Il s'agissait aussi et surtout de parer au risque d'instabilité politique et sociale par le retour de la dictature directe de l'armée.
     Le pouvoir de l'armée de ce point de vue n'est pas dirigé seulement, ni même principalement, contre les Frères musulmans. Il est avant tout dirigé contre la population pauvre. C'est contre elle, c'est pour garantir la bourgeoisie égyptienne et ses alliés impérialistes contre les possibilités de révolte populaire, que l'armée tente de rétablir un pouvoir fort et que les services policiers du temps de Moubarak reprennent du service. L'image d'armée populaire et de défenseur du peuple qu'elle se donne est un masque. Celui-ci pourrait ne pas tenir longtemps, tandis que de leur côté les Frères musulmans rejetés dans l'opposition et en butte à une répression sanglante se forgent une image de représentants du peuple martyrs de la démocratie. Ainsi, le pouvoir de l'armée n'est même pas une garantie contre leur renforcement politique.
     La population pauvre d'Égypte ne peut pas, ne doit pas se laisser réduire à cette fausse alternative entre la dictature de l'armée et une dictature islamiste. Il faut qu'il en émerge une autre, décidée à lutter jusqu'au bout pour imposer les exigences vitales de la population contre la bourgeoisie et contre l'impérialisme. Une alternative que seule la classe ouvrière égyptienne pourra vraiment incarner, en se mobilisant pour ses intérêts politiques sans faire allégeance ni aux généraux ni aux dirigeants islamistes.

                                                                André FRYS

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