Brésil : Après des victoires partielles, la population toujours mobilisé
Jeudi 20 juin, plus d'un million de manifestants protestaient
contre les hausses des tarifs des transports dans plus de cent villes du
Brésil, dont 300 000 à Rio. Les hausses envisagées ont été
annulées dans une soixantaine de villes, dont Rio et Sao Paulo. Mais le
mouvement, qui selon les sondages a le soutien de trois Brésiliens sur
quatre, ne semble pas près de s'éteindre. Ses
revendications se sont en effet étendues à tous les services publics, en
particulier la santé et l'éducation, que l'État sacrifie alors qu'il
consacre des milliards à la préparation du Mondial de
football et des jeux Olympiques.
Le mouvement est parti de Sao Paulo le 6 juin. D'autres villes
importantes avaient déjà manifesté auparavant, comme Porto Alegre début
avril, Natal ou Santarem en mai, et cela fait plus de deux ans
que le mouvement Passe libre milite pour la gratuité des transports, en
particulier pour les étudiants. Le Brésil est un État fédéral, aussi
vaste que les États-Unis, largement décentralisé. Mais Sao
Paulo en constitue le coeur économique, son agglomération réunit plus de
20 millions d'habitants et de nombreuses grandes entreprises. La
manifestation du 6 juin s'est renouvelée le 7, le 11, le 13,
puis le 17 où la majorité des grandes villes étaient dans la lutte.
Le tarif des transports publics n'est que la raison la plus récente
et la plus visible du mécontentement populaire. Il y a aussi
l'insuffisance de transports publics dans ces agglomérations
géantes, leur mauvaise organisation, les conditions indignes dans
lesquelles on voyage. Et, au-delà des transports, il y a la santé et
l'éducation, qui n'ont jamais été développées de façon
satisfaisante et dont les « réformes » successives ont réduit l'accès
pour la population la moins riche. Il y a aussi le logement, que les
préparatifs du Mondial et des jeux Olympiques remettent en
cause directement. Aussi bien pour construire les installations
sportives et hôtelières que pour « sécuriser » les villes, des quartiers
entiers d'habitations populaires sont vidés et détruits.
Certains sont des bidonvilles, mais à Rio, par exemple, un quart de la
population y vit, jusqu'en plein centre-ville. Les habitants des
bidonvilles sont en majorité ouvriers et employés, à qui leurs
revenus interdisent de se loger ailleurs. 170 000 seraient en voie
d'être expulsés et, même si certains seront relogés, ce sera à des
dizaines de kilomètres.
Les manifestants protestent en même temps contre la corruption, qui
réunit capitalistes et politiciens. Les capitalistes financent les
campagnes électorales et reçoivent en retour cadeaux,
commandes publiques et facilités de toute sorte. Les équipes
gouvernementales de Lula, président de 2003 à 2010, ont été, elles
aussi, décimées par des scandales successifs. Dilma Roussef, en deux ans
et demi de présidence, a déjà dû se débarrasser en toute hâte de sept ou
huit ministres, dont un Premier ministre, impliqués dans des affaires
de marchés publics frauduleux. Et la corruption n'est pas
moindre au niveau des États et des municipalités.
Vendredi 21 juin, après avoir rencontré certains animateurs du
mouvement, la présidente est intervenue à la télévision pour tenter de
calmer le mécontentement. Elle a d'abord tempêté contre les
« violences » perpétrées selon elle par les manifestants &ndash ; et
qui ont généralement résulté de l'intervention musclée de la police.
Elle a promis d'améliorer les services publics, en particulier
de consacrer à l'éducation tout l'argent qu'elle tirerait de la vente
future des concessions pétrolières. Elle a assuré que l'argent consacré
aux installations sportives, avec 11 milliards d'euros
pour le Mondial de football, serait entièrement remboursé par les
entreprises qui en assureraient le fonctionnement (et empocheraient
50 milliards de profits attendus). Elle a réitéré ses engagements
de combattre la corruption. Lundi 24 juin, elle réunissait les
gouverneurs et les maires des grandes villes. Elle parle maintenant de
réformer la Constitution.
Il semble qu'elle n'ait pas convaincu grand monde. Les manifestations
n'en ont pas moins continué un peu partout. Un appel à la grève
générale circule sur les réseaux sociaux pour le lundi
1er juillet. Dans un pays où l'essor économique marque le pas
et où l'élection présidentielle se tiendra l'an prochain, les
dirigeants politiques, qu'ils soient au pouvoir ou dans
l'opposition, ont des raisons d'être inquiets.
Vincent GELAS