Brésil :
l’Amazonie brûle
Dans l’après-midi du 19 août, à
la faveur de vents soufflant du nord, un nuage de fumées a plongé dans
l’obscurité les vingt millions d’habitants de l’agglomération de Sao Paulo,
tandis que tombaient des pluies noires. C’était la forêt amazonienne qui
brûlait, ainsi que la zone de savanes qui la borde, à 2 000 ou 3 000 kilomètres
de là.
Chaque année, l’Amazonie brûle à
la saison sèche, par suite de la déforestation. Les exploitants forestiers
abattent la forêt primaire, débardent les bois précieux qui servent au
déroulage et à la fabrication de contreplaqué, et mettent le feu à tout le
reste. Le feu dégage le terrain et les cendres engraissent la terre. Après les
brûlis peuvent arriver les entreprises minières, les éleveurs de vaches, les
planteurs de canne à sucre et de soja.
Mais le phénomène s’accélère,
amplifié sans doute par le réchauffement climatique. Depuis le début de l’année
il y a eu 75 000 incendies de forêt : 85 % de plus que l’an passé.
Dimanche 25 août, l’Institut brésilien de surveillance spatiale annonçait qu’en
24 heures il en avait compté 1 100 nouveaux. Ils touchent tout le nord du
Brésil mais aussi la Bolivie, où 500 000 hectares sont partis en fumée, et la
zone marécageuse du Pantanal, à la frontière des deux pays et du Paraguay.
Le président brésilien Bolsonaro
se défend d’être responsable de ces incendies, mais sa politique et ses
discours n’y sont pas pour rien. Tout au long de sa campagne présidentielle, il
a dénoncé les réserves indiennes et les forêts d’État comme des zones inutiles
au pays, dont il faudrait mettre en valeur le sol et le sous-sol. Rien
d’étonnant à ce que les trusts de l’agroindustrie se sentent les coudées
franches.
Les grands propriétaires terriens
disposent au Parlement d’un groupe d’appui de près de la moitié des députés.
Depuis toujours, leurs désirs sont pour le gouvernement des ordres. La
dictature militaire leur a ouvert cette région de quatre millions de kilomètres
carrés, traçant des routes à travers l’Amazonie et décimant les Indiens. Et
tous les gouvernements civils ont suivi, fermant les yeux sur les pratiques
illégales des grandes exploitations, quand ils ne les encourageaient pas. Lula
a par exemple autorisé la culture du soja transgénique. Bolsonaro, lui, a
proclamé qu’il leur laisserait tous les droits, et il a tenu ses promesses.
Depuis son arrivée au pouvoir en
janvier dernier, il a systématiquement bâillonné et démantelé les institutions
qui auraient pu entraver la déforestation : la Funai censée protéger les
Indiens, l’Ibama chargé de l’écologie, l’Institut des recherches spatiales dont
les satellites surveillent l’Amazonie. Quant aux ONG, après leur avoir coupé
les fonds, il les accuse d’avoir mis le feu pour lui nuire.
Devant l’étendue des incendies et
les protestations internationales, et sans doute sous la pression du lobby
agrarien qui craint pour ses exportations, Bolsonaro promet aujourd’hui de
réagir fermement. Il a envoyé quelques avions militaires combattre les feux et
a décrété la mobilisation des 43 000 soldats cantonnés en Amazonie. Mais
l’état-major ne va pas leur ordonner d’arrêter les grands propriétaires
responsables des incendies, de confisquer leurs camions, leurs tracteurs et
leurs tronçonneuses géantes, de désarmer leurs hommes de main et de
réquisitionner leurs équipes de salariés sur le terrain.
L’État brésilien, c’est l’État de
ces grands propriétaires, qui sont souvent des multinationales et qui toujours
travaillent pour le marché mondial du bois, des métaux, de la viande, du soja,
du sucre, du jus d’orange. Ni Bolsonaro ni aucun des dirigeants impérialistes
ne vont s’en prendre à ces piliers du système capitaliste, pas plus sous
prétexte de sauvegarde de la nature que sous prétexte d’indépendance nationale.
Vincent
GELAS (Lutte ouvrière n°2665)
Carte géographique des écorégions de la forêt
amazonienne délimitées par le WWF. Les lignes en blanc délimitent les contours
de la forêt amazonienne. Le bassin de l'Amazone est indiqué en bleu (Wikipédia)