EDF : le
fiasco de l’EPR
« Fiasco, nouveau coup dur, fatalité qui
s’acharne sur l’EPR de Flamanville, etc. » c’est ainsi que la presse a qualifié
la décision de l’Autorité de Sureté nucléaire (ASN) d’imposer à EDF de refaire
huit soudures situées dans des endroits particulièrement inaccessibles du
réacteur nucléaire en construction.
Il n’y a pourtant pas de fatalité
dans l’histoire de ces soudures qui résume assez bien l’invraisemblable
incompétence qui domine le chantier depuis le début.
Ces soudures ont été réalisées
en usine, en 2012 et 2013, par Framatome (ex-Areva). Mais il semble qu’EDF
n’avait pas transmis à Framatome les prescriptions exactes concernant les
pourcentages des métaux à utiliser. Faute de quoi ces soudures risquent de mal
se comporter en cas de chaleur intense.
Le problème a, semble-t-il, été
détecté en 2015 en usine, mais l’ASN n’en a été informée qu’en 2017. En avril
2018, l’ASN dénonçait des « défaillances humaines et
organisationnelles », « un manque de rigueur des fournisseurs »
et « une insuffisance du système de surveillance mis en place par
EDF ».
On aurait pu s’attendre à ce
qu’EDF fasse refaire en usine les soudures incriminées. Certes, cela aurait
pris un peu de temps, mais EDF a préféré choisir la pire des solutions :
passer outre et donc introduire les soudures dans le corps du réacteur, en
espérant que l’ASN laisserait faire. Dans une usine ordinaire cela aurait
peut-être pu passer, mais le nucléaire heureusement est sous surveillance.
En fin de compte l’ASN a refusé
d’homologuer l’installation, et EDF n’a plus qu’à faire refaire correctement
les soudures de ses tuyauteries situées au cœur du réacteur, un énorme travail
qui prendra beaucoup de temps et d’argent.
Cette affaire est à l’image de la
façon dont le chantier de l’EPR a été géré depuis le début. Il a démarré en
2007 et était prévu pour durer cinq ans, jusqu’en 2012, et coûter 3,5 milliards
d’euros. Mais, en 2008, lors d’une inspection de routine, l’ASN découvrait que
le radier devant supporter la centrale présentait des fissures, que le
ferraillage était parfois absent, et que certaines soudures étaient de mauvaise
qualité. Cette partie des travaux se faisait sous la direction de Bouygues.
L’ASN a alors parlé « d’un manque de rigueur qui est inacceptable ».
Début 2009, on découvrait, en
cours de construction, que les deux systèmes de contrôle et de commande de
l’EPR devant diriger la centrale en cas de panne étaient dépendants l’un de
l’autre, et non pas indépendants ! Cette erreur de conception
invraisemblable aurait dû être corrigée dès le début, mais EDF et Areva
s’étaient lancés dans la construction d’un type de réacteur qu’elles ne
maîtrisaient pas, pour disposer rapidement d’un modèle vendable à
l’exportation. Douze ans plus tard, rien n’est achevé et la facture a été
multipliée par trois.
On peut comprendre que la
réalisation d’un prototype puisse entraîner des retards et des dépenses
supplémentaires, mais pas au point de crever ainsi tous les plafonds. D’autant
que c’était loin d’être fini. En 2011, on découvrait dans les enceintes du
futur réacteur « des piliers de béton percés comme du gruyère ou grêlés,
de nombreux nids de cailloux, l’absence de nettoyage des fonds de coffrage,
etc. ». D’où la nécessité de couler du béton là où il le fallait, et un an
de retard supplémentaire.
Cela a continué en mars 2012 avec
la découverte que les 45 consoles métalliques – dont chacune pèse près de cinq
tonnes – qui soutiennent le pont roulant chargé d’introduire et de retirer le
combustible nucléaire présentaient des défauts de soudure. Il fallait toutes
les remplacer, au prix d’un nouveau retard et de nouvelles dépenses.
En 2015, on découvrait que la
cuve d’acier, l’élément fondamental où a lieu la fission des atomes, n’avait
pas la composition correcte : le pourcentage de carbone trop important à
certains endroits fragilisait la cuve, le seul élément du réacteur qu’on ne peut
pas changer…
L’ASN a alors accepté quand même
la cuve, mais pas le couvercle, qui devra être changé en 2024 à condition que
le réacteur soit fini d’ici là. On découvrait à cette occasion, que la forge du
Creusot avait falsifié des rapports de qualité.
En juillet 2018, on découvrait
encore 150 soudures de tuyauterie à refaire. Et pour finir (au moins pour
l’instant) s’ajoutent les huit mauvaises soudures qu’EDF avait cru bon, tout en
sachant qu’elles étaient suspectes, d’introduire au cœur du réacteur.
Dans tout cela, on peut être
surpris par le manque de surveillance, l’incompétence et la multiplication des
malfaçons, en grande partie le résultat de la sous-traitance en cascade qui, si
elle ne fait pas fonctionner l’EPR, est néanmoins certainement une belle source
de profits pour quelques-uns. En attendant, aucun responsable n’a été
sanctionné. EDF n’a pas été cité à comparaître devant un tribunal.
Ses dirigeants ont continué
d’agir dans l’impunité totale en gaspillant l’argent des usagers qui payent pour
les dépenses d’EDF.
Ni Bouygues ni d’autres n’ont
été condamnés à payer pour leurs malfaçons et leurs erreurs.
Si le nucléaire comporte des
dangers, l’irresponsabilité de dirigeants qui sacrifient tout, à commencer par
la sécurité, à la recherche du profit est encore plus dangereuse.
André VICTOR (Lutte ouvrière
n°2656)
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