A propos de cette ville de Molenbeek en Belgique. En novembre dernier, une correspondance de cette commune était parue dans notre hebdomadaire Lutte ouvrière. Nous la reproduisons ci-dessous.
Molenbeek,
une commune populaire sous les projecteurs
25 Novembre 2015
Les habitants de Molenbeek ont
appris dans les jours suivant les attentats de Paris qu’une partie des
terroristes venaient du quartier. Un choc pour tout le monde. Depuis, leur
commune est au centre de l’attention des médias venus du monde entier. Lundi 16
novembre, les 1 200 élèves de la principale école n’ont pas pu sortir durant
plus de deux heures, une intervention massive de la police ayant lieu à la
recherche d’un présumé terroriste dans le quartier.
On
entendait des déflagrations, comme dans les zones de guerre d’où viennent
certains des élèves. Les forces armées ont fait irruption dans des
appartements, se sont bien entendu aussi trompées de porte, arrêtant des
innocents et n’hésitant pas à braquer leurs armes sur des enfants.
Molenbeek,
l’une des 19 communes bruxelloises, compte officiellement 96 000 habitants et
est en deuxième place des communes les plus pauvres de Belgique. À environ 9
800 euros (chiffre très théorique de 2012), le revenu annuel moyen par habitant
y est de 40 % inférieur à la moyenne nationale. Comme la commune comprend
également un quartier plus aisé, le montant réel dont disposent les ménages des
rues populaires est plus bas encore.
Molenbeek
a toujours été une commune ouvrière et compte aujourd’hui une forte composante
d’habitants d’origine étrangère, majoritairement marocaine. Le taux de chômage
officiel y avoisine les 30 %, celui des jeunes de moins de 25 ans atteint
officiellement 41,6 %. L’aggravation de la crise accentue encore la pauvreté et
les difficultés de gestion.
Cette
année, le collège communal a décidé de réduire les dépenses de 10 %, et il a
augmenté les impôts immobiliers des propriétaires de 500 euros par an, touchant
beaucoup des familles issues de l’immigration qui sont là depuis deux ou trois
générations. Comme dans tous les quartiers populaires de la région bruxelloise,
les écoles sont surchargées, souvent logées dans de vieux bâtiments mal isolés
et équipés de chaudières vétustes, qui les rendent difficiles à chauffer.
Les
dépenses de la commune et de la région bruxelloise se sont surtout concentrées
sur la réhabilitation de l’ancienne zone industrielle, avec des lofts et des
logements modernes et écologiques et des zones vertes, pour attirer un public
plus aisé, pour plus de « mixité sociale ». Mais cela a contribué à la
ghettoïsation de ce quartier populaire, où la place délaissée par les pouvoirs
publics a progressivement été occupée par les mosquées, qui s’occupent aussi
d’organiser l’entraide nécessaire. Les nouveaux habitants branchés ne mettront
pas leurs enfants dans les écoles du quartier.
Le
monde politique n’a fait qu’accompagner, voire encourager cette emprise de la
religion. Les deux tiers des Molenbeekois ont la nationalité belge et les
résidents étrangers, y compris hors Union européenne, ont le droit de vote aux
élections communales. Les professionnels de la politique, comme l’ancien
bourgmestre de la commune Philippe Moureaux du PS, ont fait carrière en
s’appuyant sur ces voix et sur les imams, y compris les plus rétrogrades.
Comme
les écoles publiques ont l’obligation de dispenser des cours de religion,
chrétienne, juive ou musulmane, elles contribuent à enfermer les jeunes dans leur
prétendue « différence culturelle ». Les écoles de Molenbeek sont bien avancées
dans leur évolution vers des écoles ghettos à la réputation difficile, où il
n’y plus aucun enfant « blanc » et où le nombre d’enseignants « blancs », déjà
très réduit, diminue également d’année en année.
La
société capitaliste n’a pas grand-chose à offrir aux jeunes de Molenbeek, si ce
n’est la religion et la répression. Ils subissent des contrôles policiers quasi
quotidiennement. Soulaymane, un adolescent de 15 ans, est mort dans une station
de métro en 2014. Au retour de l’école, il a été retenu par la police du métro,
a tenté de s’échapper et est tombé devant le train qui arrivait. Le 5 novembre
dernier, sa famille a appris la décision de non-lieu du tribunal. Alors qu’il y
a des caméras partout dans la station, les quelques minutes d’enregistrement
correspondant au déroulement du drame et au comportement de la police manquent,
à cause d’un « problème technique ».
Le
monde politique y va de ses propositions pour déradicaliser Molenbeek, ce « nid
de terroristes », ce « djihadistan » que le journaliste Éric Zemmour conseille
même à la France de bombarder au lieu de Rakka. Le ministre de l’Intérieur
belge, Jan Jambon, du parti nationaliste flamand N-VA qui participe pour la première
fois au gouvernement fédéral, a annoncé dès samedi 14 novembre qu’il allait «
nettoyer Molenbeek ». Quelques semaines avant, son collègue de parti, le
secrétaire d’État à l’Asile et l’Immigration Theo Francken, avait proposé que
chaque réfugié porte un badge autour du cou.
Les
habitants de Molenbeek sont sous le choc. Ils subissent en premier le poids des
idées réactionnaires des intégristes et la loi des petits malfrats que ces
terroristes ont été, avant de se trouver une cause qui leur permet de justifier
leur envie de tout faire péter. Les gesticulations martiales du gouvernement,
qui a annoncé un budget de 400 millions d’euros supplémentaires pour la police
et l’armée, sont dirigées aussi en premier lieu contre eux. Tout jeune issu de
Molenbeek est désormais suspect.
Il
n’y a pas d’autre issue pour la jeunesse populaire que la révolte, mais avec
l’objectif de changer cette société.