Lettre
ouverte au maire d’Argenteuil à propos de l’annulation de quatre spectacles de
la programmation culturelle d’Argenteuil 2015-2016
Argenteuil, le 10.03.16.
Monsieur le maire,
En tant qu’abonné à la saison
culturelle 2015-2016 mise en place au printemps dernier par feue
l’Agglomération Argenteuil-Bezons, je viens de recevoir la lettre que vous
m’adressez suite à celle envoyée aux mêmes destinataires par P. Doucet et Mme
C. Robion, respectivement ancien maire et ex-adjointe à la culture.
Vous vous attardez longuement dans ce courrier pour démontrer que vous
êtes un homme de culture attaché à la diffusion de celle-ci : « la
culture est au cœur de l’action municipale, car elle irrigue la plupart de nos
champs d’action, et elle le restera. Seulement, pas à n’importe quel prix. Je
tenais à vous assurer de mon profond attachement à l’action culturelle,
celui-là même qui m’a déterminé à lancer les projets de construction du Figuier
blanc et de la Cave Dîmière lors de mon précédent mandat ».
Chacun jugera comme il l’entend, si depuis deux ans, vos actes sont à la
hauteur de cette profession de foi. En tout cas, celle-ci est totalement
contradictoire avec l’annulation que vous avez décidée de quatre spectacles de
la programmation sur la base de laquelle j’ai effectué mon abonnement.
Cette annulation au-delà du préjudice à l’encontre des abonnés (et bien
au-delà, car des billets hors-abonnement avaient été placés) est un très
mauvais signal.
La justification que vous donnez à ces annulations serait d’ordre financier.
Alors mettez sur la place publique le montant des économies qu’elles ont permis
de réaliser. Chacun sait pourtant que ces spectacles étaient déjà payés et que
vous devez rembourser aux abonnés et aux autres acheteurs. Vous ne pouvez
économiser que les frais de fonctionnement des installations. L’argument des
économies ne tient pas.
Et c’est oublier le coût moral de ces annulations. Comme par hasard, ce sont
des spectacles et des troupes subventionnés par ailleurs que vous annulez. Vous
liquidez par la même occasion le travail pédagogique engagé autour de deux
d’entre eux, pour l’un avec l’école de musique, pour l’autre en direction de
collégiens. Et que dire des dommages que vous infligez aux agents du Figuier
blanc qui s’étaient investis depuis des années pour faire du Figuier blanc et
de la Cave dîmière, deux installations de très haute qualité, fruits de
votre décision, mais qui exigent des spectacles de même niveau de qualité.
Non, en supprimant ces quatre spectacles, et en rompant le contrat que
représentait leur abonnement, vous avez voulu châtier, punir, faire un pied de
nez dans le meilleur des cas, à un public que vous considérez n’être pas de
votre camp, et que, durant toutes ces années, vous n’avez jamais, mais jamais,
voulu rejoindre dans « vos » installations. Comme si ce public était
inféodé à votre ennemi local viscéral !
Vous revenez dans votre courrier sur le fameux merveilleux spectacle qui a eu
lieu en janvier, « Roméo et Juliette », mais qui apparemment
vous reste en travers de la gorge. Vous offrez à la vindicte ceux qui auraient
assisté à ce spectacle au coût de 135 euros par spectateur ! (Pour un
spectacle qui était accessible à chacun faut-il le lui rappeler !). Cela
s’appelle un acte de la démagogie.
Vous donnez de cette façon un
très mauvais signe pour la culture, c’est-à-dire pour la culture pour tous.
L’essentiel des spectacles de haute qualité sont subventionnés, et ils le
sont à 80% ! Si demain, par « mesure d’économie », on fermait
l’Opéra de Paris, subventionné oh combien lui aussi, si peu, mais vraiment si
peu prolétarien, si peu populaire, qu’est-ce que vous en penseriez ? Comme
moi, que ce serait une catastrophe. Car s’attaquer à la culture qui s’adresse
aux « élites », pour utiliser un terme qui ne me convient pas mais
qui veut dire ce qu’il veut dire, finit toujours par faire régresser la culture
des « masses ». Je vous invite à lire ou à relire l’ouvrage ancien de
Norbert Elias, La Civilisation de mœurs, même si l’auteur étudie le processus
inverse, lorsque la culture des élites se diffuse dans la population ;
mais pour qu’il y ait diffusion encore faut-il qu’il y ait cette culture de
haute qualité.
Notre problème n’est pas de
supprimer ce type de créations artistiques qui coûtent effectivement, mais de
faire qu’un jour elles soient accessibles, non seulement financièrement, au
plus grand nombre, mais avant tout culturellement, par le développement
justement de la culture de tous, c’est-à-dire par la volonté de vouloir
découvrir de nouveaux champs culturels de la part de la population. Notre rôle
est d’aider à ce qu’elle y parvienne.
Lorsque l’on s’attaque à la
culture des « élites », c’est à toute la culture de la population que
l’on prétend « élever », que l’on donne un mauvais coup. C’est cela
qui est dramatique dans votre phobie de « Roméo et Juliette », et de
la punition que vous venez d’infliger aux spectateurs, abonnés ou pas.
Si, pour les saisons suivantes, des restrictions devaient être mises en place
ultérieurement, pourquoi avoir saboté de cette façon la présente
programmation ?
Tout cela est non seulement inacceptable pour chaque spectateur et donc pour
moi-même qui milite par pour la diffusion de la culture, mais aussi est un très
mauvais signal pour cette culture que vous prétendez pourtant être au cœur de
votre action.
Avec mes salutations,
Dominique MARIETTE