Le 29
mars : “Gaïd Salah dégage !”
Mardi soir 2 avril, Abdelaziz
Bouteflika a finalement remis sa démission. La présidence de la République
étant désormais vacante, c’est le président de la Chambre haute algérienne,
Abdelkader Ben Salah, qui assurera l’intérim. C’est le résultat de l’énorme
pression qu’exerce le peuple algérien depuis plus d’un mois, et aussi des
pressions de l’armée ou en tout cas de son chef d’état-major Gaïd Salah qui
depuis plusieurs jours demandait que Bouteflika laisse la place.
Il en faudra certainement plus
pour que le régime réussisse à se sortir de la profonde crise politique qui
secoue l’Algérie. La manœuvre du chef de l’armée est apparue aux yeux du peuple
algérien comme une énième tentative de sauver le système. Invoquer l’article
102 de la Constitution pour empêcher Bouteflika d’exercer ses fonctions six ans
après son AVC, c’est vraiment se moquer du monde. Très en colère et conscients
que leur nombre serait décisif, c’est par millions que vendredi 29 mars les
Algériens sont descendus dans la rue pour crier : « Gaïd Salah, toi
aussi dégage ! », « L’Algérie n’est pas une
caserne ! », « L’Algérie n’est pas l’Égypte, pas d’al
Sissi ! » En même temps, des slogans appelant à la fraternisation
avec l’armée étaient scandés : « Armée et peuple ! Frères !
Frères ! »
Des manifestations ont eu lieu
dans toutes les villes du pays, même des petites localités, réunissant toutes
les générations, des travailleurs, des femmes en nombre, des familles et de
nombreux enfants, fiers et heureux d’être aussi nombreux. Les pancartes arboraient
des slogans ironiques : « 102, on demande l’application de l’article
Sans Eux ! », « le numéro 102 est hors service ! », ou
« C’est notre pays, c’est à nous de décider », « Partez
tous ! », « Dégagez veut dire dégagez ! ». De
nombreuses pancartes exigeaient l’application de l’article 7, qui stipule que
le peuple est la source de tout pouvoir : « 102 + 7 = sang
neuf ». Sidi Saïd, le chef de l’UGTA, le FLN, le RND, les opposants qui
ont participé au pouvoir, étaient aussi la cible des manifestants :
« Ce n’est pas aux corrompus d’organiser les élections. » Ali Haddad,
ex-président de l’organisation patronale FCE, les frères Kouninef, patrons
enrichis par leurs liens avec le clan Bouteflika, en ont eu aussi pour leur
grade : « Vous avez dévoré le pays, oh voleurs ! »
La population reste à juste titre
très méfiante à l’égard des manœuvres du pouvoir. Dans les jours qui ont suivi,
elle a montré qu’elle restait vigilante et prompte à réagir.
Samedi 30 mars, différents
collectifs protestaient contre le système, devant la place de la Grande-Poste
transformée en forum. Le soir même, lorsque la chaîne privée Echourouk TV,
pro-Gaïd Salah, a annoncé que les forces de gendarmerie étaient déployées dans
tout Alger, un millier de jeunes sont descendus dans la rue pour vérifier
l’information et la démentir sur les réseaux sociaux. Une manifestation
nocturne s’est improvisée de la grande poste à la place Audin, au cri de
« Armée, peuple, frère ! Frère ! » Le lendemain, dimanche
soir, à l’annonce de la formation du nouveau gouvernement, une autre
manifestation nocturne s’est déroulée au cri de « Dégagez ! »
« On vous demande de partir, pas de faire un nouveau
gouvernement ! » Ces slogans étaient repris par les étudiants, les
retraités qui se sont retrouvés devant la grande poste lundi et mardi 2 avril,
en attendant le vendredi 5 avril, acte VII de la contestation.
Les
travailleurs dans la mobilisation
La presse algérienne rend très
peu compte des mobilisations qui concernent les travailleurs, bien qu’en
semaine ils soient un certain nombre à répondre aux appels lancés sur les
réseaux sociaux. Dès jeudi 28 mars, les travailleurs de la SNVI (la Société
nationale des véhicules industriels, située à Rouiba, près d’Alger) étaient en
grève. Leur assemblée, qui a réuni plusieurs centaines de travailleurs, a été
pour eux l’occasion de dire ce qu’ils avaient sur le cœur contre le système et
le syndicat UGTA qui les a trahis. Filmée et postée sur Facebook,
l’intervention d’un travailleur a marqué les esprits : « Octobre
88, c’est nous qui l’avons démarré et, à l’époque, c’était pour 100 dinars.
Mais aujourd’hui c’est pour le pays, c’est pour l’Algérie ! On a fait cinq
jours de grève, personne n’a parlé de nous, c’est une honte ! Lorsque la
SNVI tousse, c’est tout le pays qui a la grippe ! Ils nous occultent car
ils ont peur de nous ! » Dimanche 31 mars, ils étaient de nouveau
en grève et encore plus nombreux en assemblée générale pour demander des
comptes aux dirigeants de l’UGTA.
Dans le secteur privé où la
précarité est la règle, les pressions patronales sont plus fortes. Malgré tout,
mardi 2 avril, c’était au tour des travailleurs de LU de la zone de Rouiba de
se mettre en grève, en dépit des menaces du patron français de licencier les
meneurs.
Dans la région de Bejaia, lundi
1er avril, les ouvrières des entreprises publiques du textile étaient de
nouveau en grève, ainsi que les travailleurs de Naftal, filiale de la
Sonatrach. Dans la zone industrielle d’Akbou, les travailleurs de la laiterie
Soummam, de l’huilerie Ouzellaguen, de Général Emballage se sont mis en grève
aussi pour le paiement des jours de grève et ils ont obtenu gain de cause.
Sur les réseaux sociaux, un
nouvel appel à la grève générale a été lancé pour les 6, 7 et 8 avril. Après
les vacances scolaires, le 10 avril, les syndicats de l’enseignement appellent
eux aussi à une journée de grève générale.
Leïla Wahda, le 3 avril
2019 (Lutte ouvrière n°2644)
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