vendredi 5 avril 2019

Bouteflika ou pas, la mobilisation continue contre le "système". Un article de notre hebdomadaire Lutte ouvrière de cette semaine daté de mercredi


Le 29 mars : “Gaïd Salah dégage !”

Mardi soir 2 avril, Abdelaziz Bouteflika a finalement remis sa démission. La présidence de la République étant désormais vacante, c’est le président de la Chambre haute algérienne, Abdelkader Ben Salah, qui assurera l’intérim. C’est le résultat de l’énorme pression qu’exerce le peuple algérien depuis plus d’un mois, et aussi des pressions de l’armée ou en tout cas de son chef d’état-major Gaïd Salah qui depuis plusieurs jours demandait que Bouteflika laisse la place.



Il en faudra certainement plus pour que le régime réussisse à se sortir de la profonde crise politique qui secoue l’Algérie. La manœuvre du chef de l’armée est apparue aux yeux du peuple algérien comme une énième tentative de sauver le système. Invoquer l’article 102 de la Constitution pour empêcher Bouteflika d’exercer ses fonctions six ans après son AVC, c’est vraiment se moquer du monde. Très en colère et conscients que leur nombre serait décisif, c’est par millions que vendredi 29 mars les Algériens sont descendus dans la rue pour crier : « Gaïd Salah, toi aussi dégage ! », « L’Algérie n’est pas une caserne ! », « L’Algérie n’est pas l’Égypte, pas d’al Sissi ! » En même temps, des slogans appelant à la fraternisation avec l’armée étaient scandés : « Armée et peuple ! Frères ! Frères ! »
Des manifestations ont eu lieu dans toutes les villes du pays, même des petites localités, réunissant toutes les générations, des travailleurs, des femmes en nombre, des familles et de nombreux enfants, fiers et heureux d’être aussi nombreux. Les pancartes arboraient des slogans ironiques : « 102, on demande l’application de l’article Sans Eux ! », « le numéro 102 est hors service ! », ou « C’est notre pays, c’est à nous de décider », « Partez tous ! », « Dégagez veut dire dégagez ! ». De nombreuses pancartes exigeaient l’application de l’article 7, qui stipule que le peuple est la source de tout pouvoir : « 102 + 7 = sang neuf ». Sidi Saïd, le chef de l’UGTA, le FLN, le RND, les opposants qui ont participé au pouvoir, étaient aussi la cible des manifestants : « Ce n’est pas aux corrompus d’organiser les élections. » Ali Haddad, ex-président de l’organisation patronale FCE, les frères Kouninef, patrons enrichis par leurs liens avec le clan Bouteflika, en ont eu aussi pour leur grade : « Vous avez dévoré le pays, oh voleurs ! »
La population reste à juste titre très méfiante à l’égard des manœuvres du pouvoir. Dans les jours qui ont suivi, elle a montré qu’elle restait vigilante et prompte à réagir.
Samedi 30 mars, différents collectifs protestaient contre le système, devant la place de la Grande-Poste transformée en forum. Le soir même, lorsque la chaîne privée Echourouk TV, pro-Gaïd Salah, a annoncé que les forces de gendarmerie étaient déployées dans tout Alger, un millier de jeunes sont descendus dans la rue pour vérifier l’information et la démentir sur les réseaux sociaux. Une manifestation nocturne s’est improvisée de la grande poste à la place Audin, au cri de « Armée, peuple, frère ! Frère ! » Le lendemain, dimanche soir, à l’annonce de la formation du nouveau gouvernement, une autre manifestation nocturne s’est déroulée au cri de « Dégagez ! » « On vous demande de partir, pas de faire un nouveau gouvernement ! » Ces slogans étaient repris par les étudiants, les retraités qui se sont retrouvés devant la grande poste lundi et mardi 2 avril, en attendant le vendredi 5 avril, acte VII de la contestation.

Les travailleurs dans la mobilisation

La presse algérienne rend très peu compte des mobilisations qui concernent les travailleurs, bien qu’en semaine ils soient un certain nombre à répondre aux appels lancés sur les réseaux sociaux. Dès jeudi 28 mars, les travailleurs de la SNVI (la Société nationale des véhicules industriels, située à Rouiba, près d’Alger) étaient en grève. Leur assemblée, qui a réuni plusieurs centaines de travailleurs, a été pour eux l’occasion de dire ce qu’ils avaient sur le cœur contre le système et le syndicat UGTA qui les a trahis. Filmée et postée sur Facebook, l’intervention d’un travailleur a marqué les esprits : « Octobre 88, c’est nous qui l’avons démarré et, à l’époque, c’était pour 100 dinars. Mais aujourd’hui c’est pour le pays, c’est pour l’Algérie ! On a fait cinq jours de grève, personne n’a parlé de nous, c’est une honte ! Lorsque la SNVI tousse, c’est tout le pays qui a la grippe ! Ils nous occultent car ils ont peur de nous ! » Dimanche 31 mars, ils étaient de nouveau en grève et encore plus nombreux en assemblée générale pour demander des comptes aux dirigeants de l’UGTA.
Dans le secteur privé où la précarité est la règle, les pressions patronales sont plus fortes. Malgré tout, mardi 2 avril, c’était au tour des travailleurs de LU de la zone de Rouiba de se mettre en grève, en dépit des menaces du patron français de licencier les meneurs.
Dans la région de Bejaia, lundi 1er avril, les ouvrières des entreprises publiques du textile étaient de nouveau en grève, ainsi que les travailleurs de Naftal, filiale de la Sonatrach. Dans la zone industrielle d’Akbou, les travailleurs de la laiterie Soummam, de l’huilerie Ouzellaguen, de Général Emballage se sont mis en grève aussi pour le paiement des jours de grève et ils ont obtenu gain de cause.
Sur les réseaux sociaux, un nouvel appel à la grève générale a été lancé pour les 6, 7 et 8 avril. Après les vacances scolaires, le 10 avril, les syndicats de l’enseignement appellent eux aussi à une journée de grève générale.
                       Leïla Wahda, le 3 avril 2019 (Lutte ouvrière n°2644)

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