mardi 16 août 2016

Editorial des bulletins Lutte ouvrière d'entreprise de ce lundi 15 août 2016


Barbarie au quotidien, barbarie sociale

 

Le rejet de la demande de libération conditionnelle de Jacqueline Sauvage aurait pu passer pour un fait divers parmi bien d’autres si son affaire n’était pas devenue un symbole des violences conjugales. Et bien au-delà, un indice de la situation de la femme dans cette société.

Jacqueline Sauvage, une femme de 68 ans aujourd’hui, a été condamnée à dix ans de prison pour avoir tué son mari. Pendant quarante-sept ans de vie conjugale, elle a subi la violence de ce mari qui battait sa femme, ses enfants et violait ses filles. Jusqu’à ce jour de 10 septembre 2012 où elle prit un fusil, tira sur son mari et le tua.

Alors qu’elle était victime d’un mari au comportement monstrueux, la Cour d’Assises la condamna sans même retenir la légitime défense. La Cour d’Appel confirma le jugement.

Il n’est, bien sûr, pas facile de savoir au juste ce qui se passait dans l’intimité d’un couple et dans l’étroit cercle des relations familiales. Mais justement, le soutien des filles à leur mère et les témoignages des voisins et des proches ont fait sortir l’affaire de ce cercle étroit. Les témoignages ont tous attesté de la brutalité du mari et rendu indéniable le fait que Jacqueline Sauvage a été longtemps une victime avant que, poussée à bout, elle prenne un fusil. 

Des collectifs féministes ont vu un cas exemplaire dans celui de Jacqueline Sauvage. Au-delà de la brutalité pathologique du mari, ils ont mis en cause l’hypocrisie sociale qui entoure la violence dont sont victimes des milliers de femmes de la part de leur conjoint. Une hypocrisie dont les institutions juridiques sont les principaux vecteurs. Une hypocrisie destinée à dissimuler le fait que l’égalité proclamée entre hommes et femmes dans nos sociétés de pays riches qui se veulent civilisées est une fausse égalité.

Une pétition pour demander la grâce de Jacqueline Sauvage recueillit 430 000 signatures.

Hollande, seul habilité à accorder la grâce, a fini par réagir mais à sa façon, lâche même sur ce terrain sociétal. Il a pris une décision politique, pour ne pas dire purement électorale, en tentant de plaire à la fois aux milieux féministes qui voulaient au moins raccourcir la peine de Jacqueline Sauvage et aux milieux réactionnaires qui ne voulaient pas en entendre parler. Dans ces milieux, la famille est d’autant plus adulée qu’elle constitue une prison pour la femme, la justification de sa subordination à l’homme. Il faut que la femme reste à sa place, même dans une affaire aussi dramatique que celle d’une mère, soumise à torture pendant des décennies et qui n’a su se défendre qu’en tuant son mari.

Hollande a accordé une grâce… mais partielle qui permet seulement de demander une libération conditionnelle plus tôt que prévue dans la loi. La responsabilité de la décision était ainsi renvoyée au juge d’application des peines. Celui-ci, s’appuyant sur une commission d’experts qui a émis un « avis défavorable », a donc décidé que Jacqueline Sauvage resterait en prison. Dans les attendus de cette décision, la condamnée se voit reprocher « sa part de responsabilité dans le fonctionnement pathologique de son couple » et, plus encore d’être responsable de « l’importante médiatisation de l’affaire ». Femmes battues, souffrez donc, mais acceptez en silence ce que la justice décide !

La famille de Jacqueline Sauvage, une famille d’entrepreneur, n’est pas particulièrement défavorisée. Mais son affaire reflète d’autant plus la dégradation de la condition de la femme.

Charles Fourier, un des premiers socialistes au temps lointain où ce mot avait un sens, affirmait en substance qu’on reconnaissait le degré de civilisation d’une société au degré d’émancipation des femmes. Les démêlés de Jacqueline Sauvage avec la justice témoignent du conservatisme social et du rôle de l’État pour le préserver. Ils témoignent que, dans le domaine des relations entre hommes et femmes comme dans bien d’autres, la société n’est pas sortie de la barbarie.

Mais comment pourrait-il en être autrement ? Comment imaginer, dans quelque domaine que ce soit, des relations d’égalité entre êtres humains tant que perdure et s’approfondit l’inégalité fondamentale entre riches et pauvres, une minorité qui exploite la majorité qui travaille, et vit en parasite sur la société ? Les rapports sociaux du capitalisme pourrissent toutes les relations humaines.

Libérer la société des chaînes de l’exploitation est la condition nécessaire sinon suffisante pour mettre fin à toutes les formes d’oppression. C’est le préalable à l’émancipation de tout le genre humain.

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