Barbarie
au quotidien, barbarie sociale
Le rejet de la demande de
libération conditionnelle de Jacqueline Sauvage aurait pu passer pour un fait
divers parmi bien d’autres si son affaire n’était pas devenue un symbole des
violences conjugales. Et bien au-delà, un indice de la situation de la femme
dans cette société.
Jacqueline
Sauvage, une femme de 68 ans aujourd’hui, a été condamnée à dix ans de prison
pour avoir tué son mari. Pendant quarante-sept ans de vie conjugale, elle a
subi la violence de ce mari qui battait sa femme, ses enfants et violait ses
filles. Jusqu’à ce jour de 10 septembre 2012 où elle prit un fusil, tira sur
son mari et le tua.
Alors
qu’elle était victime d’un mari au comportement monstrueux, la Cour d’Assises
la condamna sans même retenir la légitime défense. La Cour d’Appel confirma le
jugement.
Il n’est,
bien sûr, pas facile de savoir au juste ce qui se passait dans l’intimité d’un
couple et dans l’étroit cercle des relations familiales. Mais justement, le
soutien des filles à leur mère et les témoignages des voisins et des proches
ont fait sortir l’affaire de ce cercle étroit. Les témoignages ont tous attesté
de la brutalité du mari et rendu indéniable le fait que Jacqueline Sauvage a
été longtemps une victime avant que, poussée à bout, elle prenne un
fusil.
Des
collectifs féministes ont vu un cas exemplaire dans celui de Jacqueline
Sauvage. Au-delà de la brutalité pathologique du mari, ils ont mis en cause
l’hypocrisie sociale qui entoure la violence dont sont victimes des milliers de
femmes de la part de leur conjoint. Une hypocrisie dont les institutions
juridiques sont les principaux vecteurs. Une hypocrisie destinée à dissimuler
le fait que l’égalité proclamée entre hommes et femmes dans nos sociétés de
pays riches qui se veulent civilisées est une fausse égalité.
Une
pétition pour demander la grâce de Jacqueline Sauvage recueillit 430 000
signatures.
Hollande, seul habilité à
accorder la grâce, a fini par réagir mais à sa façon, lâche même sur ce terrain
sociétal. Il a pris une décision politique, pour ne pas dire purement
électorale, en tentant de plaire à la fois aux milieux féministes qui voulaient
au moins raccourcir la peine de Jacqueline Sauvage et aux milieux
réactionnaires qui ne voulaient pas en entendre parler. Dans ces milieux, la
famille est d’autant plus adulée qu’elle constitue une prison pour la femme, la
justification de sa subordination à l’homme. Il faut que la femme reste à sa
place, même dans une affaire aussi dramatique que celle d’une mère, soumise à
torture pendant des décennies et qui n’a su se défendre qu’en tuant son mari.
Hollande
a accordé une grâce… mais partielle qui permet seulement de demander une
libération conditionnelle plus tôt que prévue dans la loi. La responsabilité de
la décision était ainsi renvoyée au juge d’application des peines. Celui-ci,
s’appuyant sur une commission d’experts qui a émis un « avis
défavorable », a donc décidé que Jacqueline Sauvage resterait en
prison. Dans les attendus de cette décision, la condamnée se voit reprocher « sa
part de responsabilité dans le fonctionnement pathologique de son couple »
et, plus encore d’être responsable de « l’importante médiatisation de
l’affaire ». Femmes battues, souffrez donc, mais acceptez en silence
ce que la justice décide !
La
famille de Jacqueline Sauvage, une famille d’entrepreneur, n’est pas
particulièrement défavorisée. Mais son affaire reflète d’autant plus la
dégradation de la condition de la femme.
Charles
Fourier, un des premiers socialistes au temps lointain où ce mot avait un sens,
affirmait en substance qu’on reconnaissait le degré de civilisation d’une
société au degré d’émancipation des femmes. Les démêlés de Jacqueline Sauvage
avec la justice témoignent du conservatisme social et du rôle de l’État pour le
préserver. Ils témoignent que, dans le domaine des relations entre hommes et
femmes comme dans bien d’autres, la société n’est pas sortie de la barbarie.
Mais
comment pourrait-il en être autrement ? Comment imaginer, dans quelque
domaine que ce soit, des relations d’égalité entre êtres humains tant que
perdure et s’approfondit l’inégalité fondamentale entre riches et pauvres, une
minorité qui exploite la majorité qui travaille, et vit en parasite sur la
société ? Les rapports sociaux du capitalisme pourrissent toutes les
relations humaines.
Libérer
la société des chaînes de l’exploitation est la condition nécessaire sinon
suffisante pour mettre fin à toutes les formes d’oppression. C’est le préalable
à l’émancipation de tout le genre humain.
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