dimanche 22 mai 2016

Verdun : l'enfer... du capitalisme


Le blog des militants « Engagés pour Argenteuil » évoquait hier l’effroyable bataille de Verdun qui fit en 1916 des centaines de milliers de victimes. Oui, il faut rappeler ces évènements. Mais il faut aussi en rechercher les causes. En l’occurrence, le nationalisme, le patriotisme ne furent (et ne sont toujours) que l’emballage idéologique à combattre bien sûr, mais d’intérêts bien plus tangibles et sordides, ceux, s’opposant, de deux camps impérialistes. C’est ce que nous rappelions hier dans l’article de notre blog évoquant le centième anniversaire de la brochure de Lenine « L’impérialisme stade suprême du capitalisme ». Voilà aujourd’hui un autre article de notre journal sur « Verdun ».

 
Février-décembre 1916 : Verdun, le carnage de la guerre impérialiste

 Le 21 février 1916, l’armée allemande qui stationnait au nord de Verdun attaqua en direction de cette petite ville. Un million d’obus tomba ce jour-là sur les défenseurs français, dont beaucoup se sauvèrent ou se rendirent, quand ils n’étaient pas tués. On entendit le bruit de la canonnade jusqu’à cent kilomètres de là.

Pourquoi avoir choisi Verdun pour cette offensive ? Un siècle après, on se le demande toujours. La ville n’avait pas grand intérêt ni économique ni stratégique et, dès le début, l’état-major français se demanda s’il valait vraiment la peine de s’y maintenir. Finalement il décida de s’y cramponner.

L’enfer de Verdun

La bataille de Verdun ne fut pas la plus coûteuse en vies humaines, mais elle fut la plus longue de la Première Guerre mondiale en France, puisqu’elle dura dix mois interminables, du 21 janvier au 19 décembre 1916. Et Verdun symbolise encore de nos jours les horreurs de la guerre de tranchées subies par les soldats des deux bords, ainsi que les combats inutiles dans le but de récupérer quelques kilomètres carrés de terrain, et pour lesquels 700 000 jeunes hommes furent tués ou blessés dans les deux camps.

Cette bataille fut ordinairement qualifiée par ceux l’ayant vécue comme étant un enfer, tant du côté français qu’allemand. Les conditions de survie dans les tranchées, car on ne peut pas parler de vie, étaient abominables. Les soldats creusaient leurs abris dans la boue, sous la violence des bombardements. À la mi-juillet, l’artillerie lourde française avait déversé 10 millions d’obus, 21 millions étaient venus du côté allemand, ce qui faisait une moyenne de 140 000 obus par jour. À ces bombardements incessants s’ajoutaient la boue, la pluie, les rats, les poux, le froid glacial en hiver, la chaleur accablante l’été, le manque d’eau, le ravitaillement médiocre arrivant quand il pouvait. Les bataillons étaient décimés, l’état-major prévoyait d’ailleurs que la moitié du nombre de camions nécessaires à l’aller suffisait pour ramener les troupes à l’arrière. Les survivants côtoyaient les cadavres qui flottaient dans les trous d’obus, les blessés étaient abandonnés sous le feu ennemi, le tout dans une odeur pestilentielle …

Pour éviter l’effondrement du moral des combattants, l’état-major français décida de faire une rotation des combattants, appelée le « tourniquet ». C’est ainsi qu’à un moment ou un autre environ les trois quarts des soldats français « firent Verdun ». Pour cette raison aussi, Verdun finit par symboliser l’ensemble de la guerre de 1914-1918.

Et tout ça pour rien…

En février et en mars 1916, les troupes allemandes conquirent quelques kilomètres carrés et quelques forts, dont les noms sont devenus célèbres après coup, Douaumont, Vaux, etc. Puis elles furent contraintes de s’arrêter. En octobre et novembre 1916, les troupes françaises passèrent à l’offensive et reprirent une partie du territoire perdu en début d’année, dont ces deux forts, ce qui permit aux généraux et dirigeants français de dire qu’ils étaient victorieux. Mais le bilan final fut quasi nul. On s’était entre-tué pendant dix mois pour rien.

Par la suite, le commandant en chef allemand Falkenhayn prétendit que son intention avait été de saigner l’armée française, répondant à sa façon au commandant français Joffre qui déclarait : « Je les grignote. » En fait, il y eut à peu près autant de morts de chaque côté : 163 000 Français et 143 000 Allemands. Les armées furent bien saignées, et des deux côtés.

L’opposition à la guerre

Face à ces combats sans espoir, il y eut parmi les soldats français et allemands de nombreux cas d’insubordination, des désertions, des soldats exaspérés se rendant en masse à l’adversaire, aussi bien dans un camp que dans l’autre. Il n’y eut cependant pas de révolte organisée, les soldats durent continuer à obéir aux ordres de leurs généraux et à se faire tuer pour la gloire, c’est-à-dire pour rien.

Les autorités craignaient pourtant que la révolte contre cette boucherie se répande parmi les soldats, et elles contrôlaient leurs paroles et écrits. La Chanson de Craonne, antimilitariste et anticapitaliste, apparue en 1915 et interdite par le commandement, ne pouvait être chantée que clandestinement en 1916, sous le nom de Chanson de Verdun : « C’est à Verdun, au fort de Vaux, qu’on a risqué sa peau… ». La censure contrôlait les lettres des soldats, 180 000 chaque semaine, des passages entiers étant noircis à l’encre pour en empêcher la lecture. Et les lettres plus désespérées, parfois violemment hostiles à la guerre, n’arrivaient jamais à leur destinataire.

Face à cette pression du gouvernement, des autorités, de la hiérarchie militaire, l’opposition à la guerre ne pouvait guère se faire entendre. La trahison de la social-démocratie, qui avait au début de la guerre fait l’union sacrée avec la bourgeoisie, avait livré ouvriers et paysans aux généraux pour en faire de la chair à canon. Elle avait privé le mouvement ouvrier de ses dirigeants et découragé ses militants, les laissant sans perspectives, alors qu’il y avait 91 000 adhérents à la SFIO française en 1914 et de l’ordre d’un million d’adhérents sociaux-démocrates en Allemagne.

Karl Liebknecht, révolutionnaire et député allemand, mobilisé malgré lui comme soldat, avait proclamé en 1915 que « l’ennemi principal est dans notre pays ». Mais une telle parole n’arrivait que rarement jusqu’aux tranchées et, à Verdun, l’immense majorité des combattants étaient réduits au point de vue officiel, pour lequel l’ennemi était tout simplement le camp adverse.

Verdun à toutes les sauces

La bataille de Verdun a été régulièrement commémorée durant le siècle qui l’a suivie. Durant l’entre-deux-guerres, entre 1918 et 1939, c’était l’occasion pour les autorités françaises de célébrer la défense du pays et l’union sacrée, face à l’Allemagne. Ce n’est qu’après la Deuxième Guerre mondiale que le ton changea, avec la mise sur pied de l’Union européenne.

Un siècle après, Verdun reste un exemple du carnage auquel le système impérialiste a pu condamner les peuples, au terme de sa logique de concurrence, de conquêtes, et finalement de guerre pour le profit.

Bien des combattants de Verdun et de la guerre de 1914-1918 espéraient que la Grande Guerre serait la « der des ders ». Vingt ans après on s’entre-massacrait de nouveau en Europe au cours de la Deuxième Guerre mondiale. Jusqu’à aujourd’hui, guerres, massacres et génocides n’ont pas cessé, quitte à ensanglanter d’autres continents.

Si Verdun et les autres batailles de la Première Guerre mondiale ont montré quel degré de sauvagerie peut atteindre le système capitaliste, celui-ci s’est encore surpassé depuis, et cela le condamne sans appel.

André VICTOR (Lutte ouvrière n°2481)

 

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