Le blog des militants « Engagés
pour Argenteuil » évoquait hier l’effroyable bataille de Verdun qui fit en
1916 des centaines de milliers de victimes. Oui, il faut rappeler ces
évènements. Mais il faut aussi en rechercher les causes. En l’occurrence, le
nationalisme, le patriotisme ne furent (et ne sont toujours) que l’emballage
idéologique à combattre bien sûr, mais d’intérêts bien plus tangibles et
sordides, ceux, s’opposant, de deux camps impérialistes. C’est ce que nous rappelions
hier dans l’article de notre blog évoquant le centième anniversaire de la
brochure de Lenine « L’impérialisme
stade suprême du capitalisme ». Voilà aujourd’hui un autre article de
notre journal sur « Verdun ».
Février-décembre
1916 : Verdun, le carnage de la guerre impérialiste
Pourquoi
avoir choisi Verdun pour cette offensive ? Un siècle après, on se le demande
toujours. La ville n’avait pas grand intérêt ni économique ni stratégique et,
dès le début, l’état-major français se demanda s’il valait vraiment la peine de
s’y maintenir. Finalement il décida de s’y cramponner.
L’enfer
de Verdun
La
bataille de Verdun ne fut pas la plus coûteuse en vies humaines, mais elle fut
la plus longue de la Première Guerre mondiale en France, puisqu’elle dura dix
mois interminables, du 21 janvier au 19 décembre 1916. Et Verdun symbolise
encore de nos jours les horreurs de la guerre de tranchées subies par les
soldats des deux bords, ainsi que les combats inutiles dans le but de récupérer
quelques kilomètres carrés de terrain, et pour lesquels 700 000 jeunes hommes
furent tués ou blessés dans les deux camps.
Cette
bataille fut ordinairement qualifiée par ceux l’ayant vécue comme étant un
enfer, tant du côté français qu’allemand. Les conditions de survie dans les
tranchées, car on ne peut pas parler de vie, étaient abominables. Les soldats
creusaient leurs abris dans la boue, sous la violence des bombardements. À la
mi-juillet, l’artillerie lourde française avait déversé 10 millions d’obus, 21
millions étaient venus du côté allemand, ce qui faisait une moyenne de 140 000
obus par jour. À ces bombardements incessants s’ajoutaient la boue, la pluie,
les rats, les poux, le froid glacial en hiver, la chaleur accablante l’été, le
manque d’eau, le ravitaillement médiocre arrivant quand il pouvait. Les
bataillons étaient décimés, l’état-major prévoyait d’ailleurs que la moitié du
nombre de camions nécessaires à l’aller suffisait pour ramener les troupes à
l’arrière. Les survivants côtoyaient les cadavres qui flottaient dans les trous
d’obus, les blessés étaient abandonnés sous le feu ennemi, le tout dans une
odeur pestilentielle …
Pour
éviter l’effondrement du moral des combattants, l’état-major français décida de
faire une rotation des combattants, appelée le « tourniquet ». C’est ainsi qu’à
un moment ou un autre environ les trois quarts des soldats français « firent
Verdun ». Pour cette raison aussi, Verdun finit par symboliser l’ensemble de la
guerre de 1914-1918.
Et tout
ça pour rien…
En
février et en mars 1916, les troupes allemandes conquirent quelques kilomètres
carrés et quelques forts, dont les noms sont devenus célèbres après coup,
Douaumont, Vaux, etc. Puis elles furent contraintes de s’arrêter. En octobre et
novembre 1916, les troupes françaises passèrent à l’offensive et reprirent une
partie du territoire perdu en début d’année, dont ces deux forts, ce qui permit
aux généraux et dirigeants français de dire qu’ils étaient victorieux. Mais le
bilan final fut quasi nul. On s’était entre-tué pendant dix mois pour rien.
Par la
suite, le commandant en chef allemand Falkenhayn prétendit que son intention
avait été de saigner l’armée française, répondant à sa façon au commandant
français Joffre qui déclarait : « Je les grignote. » En fait, il y eut à
peu près autant de morts de chaque côté : 163 000 Français et 143 000
Allemands. Les armées furent bien saignées, et des deux côtés.
L’opposition
à la guerre
Face à ces combats sans espoir,
il y eut parmi les soldats français et allemands de nombreux cas
d’insubordination, des désertions, des soldats exaspérés se rendant en masse à
l’adversaire, aussi bien dans un camp que dans l’autre. Il n’y eut cependant
pas de révolte organisée, les soldats durent continuer à obéir aux ordres de
leurs généraux et à se faire tuer pour la gloire, c’est-à-dire pour rien.
Les
autorités craignaient pourtant que la révolte contre cette boucherie se répande
parmi les soldats, et elles contrôlaient leurs paroles et écrits. La Chanson
de Craonne, antimilitariste et anticapitaliste, apparue en 1915 et
interdite par le commandement, ne pouvait être chantée que clandestinement en
1916, sous le nom de Chanson de Verdun : « C’est à Verdun, au fort de
Vaux, qu’on a risqué sa peau… ». La censure contrôlait les lettres des
soldats, 180 000 chaque semaine, des passages entiers étant noircis à l’encre
pour en empêcher la lecture. Et les lettres plus désespérées, parfois
violemment hostiles à la guerre, n’arrivaient jamais à leur destinataire.
Face à
cette pression du gouvernement, des autorités, de la hiérarchie militaire,
l’opposition à la guerre ne pouvait guère se faire entendre. La trahison de la
social-démocratie, qui avait au début de la guerre fait l’union sacrée avec la
bourgeoisie, avait livré ouvriers et paysans aux généraux pour en faire de la
chair à canon. Elle avait privé le mouvement ouvrier de ses dirigeants et
découragé ses militants, les laissant sans perspectives, alors qu’il y avait 91
000 adhérents à la SFIO française en 1914 et de l’ordre d’un million
d’adhérents sociaux-démocrates en Allemagne.
Karl
Liebknecht, révolutionnaire et député allemand, mobilisé malgré lui comme
soldat, avait proclamé en 1915 que « l’ennemi principal est dans notre pays
». Mais une telle parole n’arrivait que rarement jusqu’aux tranchées et, à
Verdun, l’immense majorité des combattants étaient réduits au point de vue
officiel, pour lequel l’ennemi était tout simplement le camp adverse.
Verdun à
toutes les sauces
La
bataille de Verdun a été régulièrement commémorée durant le siècle qui l’a suivie.
Durant l’entre-deux-guerres, entre 1918 et 1939, c’était l’occasion pour les
autorités françaises de célébrer la défense du pays et l’union sacrée, face à
l’Allemagne. Ce n’est qu’après la Deuxième Guerre mondiale que le ton changea,
avec la mise sur pied de l’Union européenne.
Un siècle
après, Verdun reste un exemple du carnage auquel le système impérialiste a pu
condamner les peuples, au terme de sa logique de concurrence, de conquêtes, et
finalement de guerre pour le profit.
Bien des
combattants de Verdun et de la guerre de 1914-1918 espéraient que la Grande
Guerre serait la « der des ders ». Vingt ans après on s’entre-massacrait de
nouveau en Europe au cours de la Deuxième Guerre mondiale. Jusqu’à aujourd’hui,
guerres, massacres et génocides n’ont pas cessé, quitte à ensanglanter d’autres
continents.
Si Verdun
et les autres batailles de la Première Guerre mondiale ont montré quel degré de
sauvagerie peut atteindre le système capitaliste, celui-ci s’est encore
surpassé depuis, et cela le condamne sans appel.
André
VICTOR (Lutte ouvrière n°2481)
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