Front
populaire : ce qu’il fut vraiment en 1936
Publié le 19/06/2024
En baptisant leur alliance
électorale Nouveau Front populaire, les partis de gauche renvoient
évidemment au Front populaire de 1936, en s’appuyant sur l’idée que celui-ci
aurait « changé la vie » des travailleurs.
Cette référence au mythe du
progrès représenté par le Front populaire occulte le fait que ce n’est pas le
gouvernement de Léon Blum qui a imposé des avancées sociales mais la grève
générale qui l’y a obligé. Elle oublie aussi soigneusement de rappeler que le
Front populaire n’a en rien protégé les travailleurs de l’évolution
catastrophique qui a suivi 1936.
Les panneaux brandis par de
nombreux participants aux manifestations du samedi 15 juin attestent de la
réussite de cette escroquerie politique : « 1936-2024, même combat »,
« Blum, quand notre cœur fait Blum ». C’est le résultat de la propagande
inlassablement répétée par les responsables des partis de gauche selon laquelle
le Front populaire de 1936 aurait non seulement été à l’origine des 40 heures
et des congés payés, mais aussi un barrage efficace contre l’extrême droite.
Mais c’est un mensonge.
L’alliance électorale conclue en
1935 entre la SFIO (Parti socialiste), le Parti communiste et le Parti radical
en vue des élections législatives du printemps 1936, ne prévoyait nulle «
rupture » avec le capitalisme et ne contenait que de modestes propositions de
réformes sociales, bien calculées pour ne pas effrayer l’électorat de la petite
bourgeoisie.
C’est après la victoire
électorale du Front populaire, le 3 mai 1936, que se développa la lame de fond
de la grève générale. C’est elle qui changea la donne, lorsque, fin mai et
début juin 1936, deux millions de travailleurs se mirent en grève. Cette
explosion sociale, marquée par l’occupation des usines, remettait en cause, de
fait, la propriété privée des capitalistes. Face à elle, le gouvernement de
Front populaire fut avant tout préoccupé d’éviter qu’elle se transforme en
mouvement révolutionnaire. Il s’agissait de protéger les intérêts de la
bourgeoisie et, alors que Blum lui-même n’avait aucune intention de céder aux
grévistes, c’est le grand patronat, tétanisé par les occupations d’usine, qui
se décida à des concessions. Il fit pression pour obtenir le plus vite possible
la signature des accords dits de Matignon, instituant les conventions
collectives, les délégués du personnel et d’importantes augmentations de
salaire. Des lois votées à la fin du mois de juin, dans la foulée de la grève,
établirent la semaine de 40 heures et deux semaines de congés payés, alors que
ce dernier point ne figurait pas dans le programme du Front populaire.
La signature des accords de
Matignon n’ayant pas suffi à éteindre l’incendie, c’est la CGT et le Parti
communiste qui mirent leur poids dans la balance pour faire reprendre le
travail. La CGT écrivit :« Nous devons, nous travailleurs, faire honneur à
notre signature et appliquer loyalement et pleinement les clauses de l’accord
conclu », et le secrétaire général du PC, Maurice Thorez, expliqua qu’il
fallait « savoir terminer une grève ».
Les
pleins pouvoirs à Pétain
L’histoire du Front populaire ne
s’arrête pas au printemps 1936, quoi qu’en disent les fables entretenues par
les partis de gauche actuels. À peine un an après son élection, le gouvernement
décrétait une « pause dans les réformes ». En mars 1937, le ministre de
l’Intérieur socialiste, Marx Dormoy, faisait tirer sur une manifestation
ouvrière à Clichy, faisant six morts et 300 blessés.
Un an plus tard, en 1938, le
nouveau chef du gouvernement, Daladier, soutenu par la même chambre de Front
populaire, rétablissait la semaine de 48 heures pour « remettre la France au
travail », avant de prononcer l’interdiction du Parti communiste en 1939.
Enfin, le dernier acte politique des députés du Front populaire fut de voter, à
une écrasante majorité, les pleins pouvoirs au maréchal Pétain.
Il faut ajouter que, dans
l’Espagne voisine, la victoire d’un autre Front populaire se heurta au coup
d’État militaire du général Franco. Le gouvernement de Léon Blum refusa alors
toute intervention, ce qui facilita la victoire de Franco.
Le Front populaire, dans sa
version de 1936, n’a été ni un obstacle à la marche vers la Deuxième Guerre
mondiale ni le protecteur des travailleurs contre la rapacité patronale, ou
même contre la mise en place d’un régime autoritaire pro-nazi.
La version de 2024, composée de
partis compromis de longue date dans la gestion des affaires de la bourgeoisie,
ne mérite pas plus de confiance.
Pierre
Vandrille (Lutte ouvrière n°2916)