Pour
mes amis de la FNACA d’Argenteuil
Printemps
et été 1956 - Guerre d’Algérie: les rappelés manifestaient contre leur départ
Il y a cinquante ans, le 11 avril
1956, le gouvernement du socialiste Guy Mollet décidait de rappeler 70000
soldats du contingent «disponibles» pour intensifier la guerre contre le peuple
algérien en lutte pour son indépendance. Le service militaire passait de 18
mois à 27 mois. Cette décision allait soulever le mécontentement de ces
«rappelés», soutenus par une partie de la population.
En août 1955, Edgar Faure avait
déjà procédé au rappel de disponibles, provoquant les premières manifestations.
Mais, incapable de sortir de la crise, le gouvernement d'Edgar Faure dut
dissoudre l'Assemblée nationale le 2 décembre, provoquant de nouvelles
élections en janvier 1956.
Le
gouvernement socialiste de Guy Mollet intensifie la guerre
La coalition de «Front
républicain», composée essentiellement de socialistes et de radicaux, gagna les
élections avec 30% des voix et 170 députés, grâce à une campagne pour «la paix
en Algérie». Le dirigeant du Parti Socialiste Guy Mollet se retrouva à la tête
du gouvernement avec le soutien du Parti Communiste (qui représentait 26% des
voix et 150députés). Pourtant si Guy Mollet prétendait que «l'objectif de la
France, la volonté du gouvernement c'est avant tout de rétablir la paix», il
ajoutait également: «Dans l'immédiat, le potentiel militaire des forces
déployées en Algérie ne peut encore être diminué. Les besoins des troupes
seront satisfaits et leur relève assurée.» Mais le PCF fit comme s'il n'avait
pas entendu.
Le 12 mars 1956, les pouvoirs
spéciaux furent votés avec l'apport du PCF. Ce vote signifiait pourtant la
suspension de toutes les libertés individuelles en Algérie et l'intensification
de la répression. Un mois plus tard, le gouvernement Guy Mollet décidait de
mobiliser les rappelés.
Les
manifestations de rappelés dès avril 1956
Les manifestations de rappelés
commencèrent dans les jours qui suivirent cette décision. La plupart de ces
soldats avaient un travail et n'avaient aucune envie de quitter leur famille,
ni de risquer de se faire tuer pour une guerre dont ils pensaient qu'elle ne
les concernait pas. Ils bénéficiaient souvent du soutien d'une partie de la
population. Parfois, dans une usine, quand un ouvrier recevait sa feuille de
route, les ouvriers débrayaient en signe de protestation.
Comme en 1955, les rappelés
tentaient de bloquer les trains, refusaient de monter, saccageaient la gare,
insultaient les officiers et, une fois dans le train, tiraient les sonnettes
d'alarme pour l'arrêter. Ce fut le cas le mercredi 18avril à Vauvert dans le
Gard, où un millier de personnes bloquèrent l'autorail qui devait emmener les
douze rappelés de la commune. Des faits similaires se produisirent le 3mai à
Lésignan, le 10mai à Saint-Aignan-des-Noyers dans le Loir-et-Cher, le 17mai au
Mans. Le 18mai, à Grenoble, des milliers de manifestants s'opposèrent au départ
d'un train de rappelés. Le même jour, 700rappelés mettaient à sac la gare de
Dreux aux cris de «Lacoste au poteau» (Lacoste était le ministre socialiste
résident à Alger), «Mollet au poteau».
Dans les ports aussi des
mouvements eurent lieu, le 24mai au Havre, le 28mai à Saint-Nazaire où 8000
ouvriers débrayèrent et manifestèrent à la gare avec 200 rappelés du
contingent. Et cela continua durant tout le mois de juin et au début juillet.
Partout, on assistait à peu près au même scénario: des manifestants
accompagnaient les rappelés en bloquant les voies, en coulant du ciment dans
les aiguillages ou en décrochant les attelages des voitures. Souvent suivaient
des affrontements avec les CRS.
Les casernes connurent aussi des
troubles. Le 19 mai, les soldats rappelés du 92eRI forcèrent les grilles de la
caserne de Montluçon à près de 800. Le même jour, à Évreux, cinq cents rappelés
du 9erégiment d'infanterie coloniale manifestèrent dans les rues et à
l'intérieur de la caserne aux cris de: «Pas d'envoi de disponibles!», «Paix en
Algérie». Le 8 juillet encore, au camp de Mourmelon, trois mille rappelés
conspuèrent leurs officiers et prirent le contrôle du camp et du dépôt d'armes.
Ces explosions étaient aussi
brèves que soudaines, et les rappelés finissaient par partir. Hormis quelques
rares cas de soldats qui refusèrent de combattre, ils se retrouvèrent pris dans
l'engrenage de cette «sale guerre» coloniale. Et de 200000 hommes début 1956,
les troupes en Algérie passèrent à 450000 en juillet 1956, et à 500000 en 1957.
Les
rappelés livrés à eux-mêmes
Les rappelés se battaient sans
soutien des syndicats, ni des partis. De ce fait, une fois l'explosion de
colère passée, ils ne savaient pas quoi faire de plus. Certes, il se trouva
nombre de militants ouvriers, de syndicalistes, de militants du Parti
Communiste pour initier ces mouvements, et même pour les organiser. Mais ces
militants étaient aussi livrés à eux-mêmes.
Ne parlons pas du Parti
Socialiste qui était au pouvoir et dont le dirigeant, Guy Mollet, avait pris
l'initiative d'intensifier la guerre. Mais le PCF, qui condamnait la guerre en
parole, dans les colonnes de l'Humanité, n'entreprit rien pour gêner le
gouvernement. Son vote des pouvoirs spéciaux à Guy Mollet, que le PCF justifia
par la nécessité de préserver l'unité entre ouvriers communistes et socialistes,
signifiait clairement qu'il comptait lui laisser carte blanche pour faire la
guerre. En fait, le Parti Communiste voulait se préserver des chances pour
gouverner à nouveau avec les socialistes.
Même sa propagande était limitée.
Le PCF réclamait la «paix en Algérie», des «négociations pour un cessez-le-feu»
et dénonçait la répression. L'Algérie était une «nation en formation». Il
parlait du «fait national algérien». En un mot, il ne prenait pas clairement
position pour l'indépendance immédiate et sans condition de l'Algérie. Le Parti
Communiste ne chercha pas à appuyer les manifestations, à les coordonner, à
donner des perspectives concrètes à tous ces militants qui tentaient de réagir
comme ils le pouvaient. Ce faisant, il écoeura nombre de militants ouvriers
français, parmi les rappelés en particulier, qui se sentaient à juste titre
«lâchés».
Au plus fort des manifestations
des rappelés, on pouvait lire dans l'Humanité daté du 30 mai 1956: «Ce qu'il
faut faire? On l'entend journellement dans les gares, on le lit sur les murs:
c'est négocier avec ceux qui peuvent faire taire les armes, avec ceux contre
qui on se bat. Dans les jours à venir, des millions de Français s'emploieront à
le faire savoir aux députés.» Voilà tout ce que proposait le PCF, l'organisation
de délégations auprès de députés qui soutenaient Guy Mollet dans sa politique
de répression!
Le Parti Communiste fit encore
moins appel au reste de la classe ouvrière, qui seule pouvait paralyser
l'effort de guerre. Là encore, il laissait les militants livrés à eux-mêmes.
Le PCF ne prit pas non plus
d'initiatives en ce qui concernait la solidarité avec les travailleurs
algériens en France, ou pour défendre les militants algériens contre la
répression. Il laissa les travailleurs algériens réagir seuls, sans soutien des
travailleurs français, contribuant à creuser le fossé entre travailleurs
algériens et travailleurs français. Ce fut le cas le 5juillet 1956, lorsque les
travailleurs algériens furent appelés à faire une journée de grève générale en
Algérie et en France. L'Humanité en fit le compte rendu: 3000 ouvriers
algériens en grève à Renault, 1100 chez Panhard, également à Citroën, à
Chausson. La liste était longue, mais le PCF n'avait pas appelé les
travailleurs français à les rejoindre dans cette grève. L'attitude générale de
la CGT, liée au PCF, fut identique.
Le PCF, comme la CGT, ne firent
vraiment rien pour tenter d'arrêter cette guerre coloniale. En s'appuyant sur
cette mobilisation des mois de mai et juin 1956, il aurait pourtant peut-être
été possible d'y parvenir. L'immense majorité des rappelés voulait simplement
ne pas partir. Mais, avec le soutien du reste de la classe ouvrière, il y avait
peut-être une possibilité d'empêcher l'impérialisme français de mener à bien la
répression contre le peuple algérien. En tout cas, même si cette tentative
n'avait pas été couronnée de succès, cela aurait au moins permis que les
travailleurs algériens n'aient pas le sentiment de ne rien avoir à attendre de
la classe ouvrière française.
Les grandes organisations se
réclamant de la classe ouvrière se firent de fait les complices de
l'impérialisme français.
Aline RETESSE (Lutte ouvrière, 20 avril 2006, n°1968)