Syndicalisme
: le fléau de la collaboration de classe
La mort de François Chérèque, qui
fut à la tête de la CFDT de 2002 à 2012, a entraîné de la part de toute la
classe politique, de gauche à droite, une avalanche intéressée d’éloges « au
réformiste », « au syndicaliste qui rejetait la lutte de classe et la
remplaçait par le dialogue », etc. La droite, Fillon en particulier, tenait à
le remercier de l’avoir aidé, en tant que dirigeant de la CFDT, à faire passer
la réforme des retraites en 2003, prélude à la fin de la retraite à 60 ans.
Les travailleurs, eux, n’ont
évidemment aucune raison de le féliciter pour cette collaboration qui fait
reculer les droits des salariés, une politique que la CFDT revendique
ouvertement, même si elle n’est pas le seul syndicat à la pratiquer.
Il faut avoir une vision très
orientée en faveur du patronat et des capitalistes pour parler de réformes et
de réformisme, quand il s’agit en réalité de remettre systématiquement en cause
les quelques protections qui avaient été concédées au monde du travail avant la
crise. Ce que le patronat et les gouvernants, de droite comme de gauche,
appellent le dialogue social, n’est rien d’autre que la complicité des
dirigeants syndicaux et du patronat contre les intérêts de classe des
travailleurs. L’exemple le plus récent de cette complicité a été, malgré
l’hostilité d’une majorité de la population et surtout des travailleurs, l’aval
et l’appui apportés par la CFDT à l’adoption, au passage en force, faudrait-il
dire, de la loi travail en 2016.
Depuis longtemps, la CFDT
revendique haut et fort ce rôle d’accompagnement des volontés du patronat, ce
qu’elle nomme un dialogue constructif. En fait, déjà depuis 1973, avec Edmond
Maire, suivi par Nicole Notat, François Chéréque et aujourd’hui Laurent Berger,
la direction de cette confédération a, pourrait-on dire, la franchise de ces
choix, opposés aux intérêts des travailleurs. Mais, de manière moins ouverte,
chacune des grandes confédérations syndicales le fait aussi à sa façon, sans le
claironner en permanence comme la direction de la CFDT. Toutes entendent être «
considérées comme de véritables partenaires » par le patronat et les
gouvernants.
Mais de quel partenariat peut-il
être question ? Les dirigeants syndicaux savent bien dans quelle situation la
société se trouve : en pleine guerre sociale menée par la grande bourgeoise
pour arracher des reculs au monde du travail pour garantir et, si possible,
accroître ses profits. Le seul rôle que le patronat et les gouvernants, quels
qu’ils soient, veulent bien concéder aux bureaucraties syndicales, c’est d’être
leurs porte-parole auprès d’eux, c’est de défendre auprès des travailleurs les
sacrifices que le patronat veut imposer, en l’aidant au besoin à y parvenir.
Voilà à quoi se résume le syndicalisme dit de dialogue. Des générations de
travailleurs qui s’opposaient à l’exploitation capitaliste se sont battus
contre ces méthodes.
Pour les militants ouvriers
conscients des intérêts de leur classe, les militants socialistes puis communistes
qui ont construit ces syndicats de lutte, le syndicat devait être l’école de la
classe ouvrière. C’est là où, comme le disait Pelloutier, elle « apprenait
la science de ses malheurs ». C’est là où il s’agissait de donner aux
exploités la fierté d’appartenir au monde du travail, avec la conscience que
c’est la classe ouvrière qui mettra fin à l’exploitation capitaliste et
construira une société nouvelle, plus fraternelle, plus juste, sans
exploitation ni guerre, qui donnera à chacun selon ses besoins.
Ce syndicalisme-là ne prônait pas
la collaboration de classe, mais la lutte de classe. Il avait des militants
ouvriers qui, dans chaque lutte, cherchaient à renforcer la confiance des
travailleurs dans leur capacité à abattre le vieux monde. Face à la faillite du
syndicalisme de collaboration de classe, dont Chérèque se voulait un héraut,
avec d’autres, ce sont ces valeurs et ce syndicalisme de combat dont la classe
ouvrière a un besoin urgent.
Paul
SOREL (Lutte ouvrière n°2527)