Après les rassemblements géants des deux dernières semaines, la
mobilisation marque-t-elle le pas au Brésil ? Dimanche 30 juin, la finale de la
Coupe des nations, remportée, a été marquée à Rio par des manifestations aux
alentours du stade du Maracana. La présidente Dilma Rousseff était absente cette
fois – il y a quinze jours, elle avait eu la mauvaise surprise de se faire
siffler lors du match d'ouverture à Brasilia. Les manifestants n'étaient plus
que quelques milliers dans les rues de Rio, contre 300 000 le 20 juin.
Cependant, lundi 1er juillet, les camionneurs prenaient le relais
et bloquaient routes et péages, pour protester contre le prix du gazole. Ils
bloquaient le port de Santos, débouché maritime de São Paulo. Des manifestations
parcouraient encore Campinas, dans l'État de São Paulo, des grèves de bus
paralysaient Recife dans le Nordeste et Manaus en Amazonie. Rien ne dit donc que
ce soit la fin du mouvement qui, dirigé au début contre les hausses dans les
transports, s'est ensuite étendu à toutes les revendications des classes
populaires : éducation, santé, conditions de vie et de travail, et jusqu'à la
corruption des milieux politiques.
On a lu et entendu un peu partout, dans les médias français aussi bien que
brésiliens, que les acteurs de ces mobilisations étaient les « classes
moyennes ». Lula, président de 2003 à 2010, aurait fait sortir de la pauvreté
50 millions de Brésiliens qui ont rejoint ces classes moyennes. Cela donnait
l'impression que la révolte était le fait de la petite bourgeoisie prospère, et
non pas des ouvriers, des employés, des vendeurs de rue, bref, du petit peuple.
Il est vrai qu'y compris des gens aisés ont été touchés par ce mouvement
profond et l'ont soutenu. Certains ont suivi leurs enfants ou petits-enfants
confrontés au chaos de l'éducation ou à la misère des hôpitaux. Mais ces
couches-là n'ont pas été à l'origine des manifestations, parce qu'elles
n'empruntent ni bus ni métro, et parce que pour elles une augmentation de
20 centimes de real (7 centimes d'euro) est négligeable. Beaucoup d'étudiants en
sont issus, mais autant viennent des couches populaires et doivent travailler
pour payer leurs études.
À un certain moment, la droite a tenté de mobiliser ses troupes, plutôt
aisées, pour récupérer le mouvement. Dans les manifestations, ces gens étaient
capables de huer le gouvernement dirigé par le Parti des travailleurs, classé à
gauche, mais pas de défendre les revendications populaires auxquelles ils sont
opposés.
Non, ceux qui se sont mobilisés, jeunes et moins jeunes, sont ceux qui
étaient concernés par les hausses des tarifs des transports, ceux pour qui
20 centimes de real par ticket de transport est une somme qui compte. Ils
dépensent chaque mois 80 euros ou plus en transports, sur des salaires entre 240
(le salaire minimum national) et 500 euros. Les gouvernants peuvent se faire
plaisir en les rangeant dans les classes moyennes. Les sociologues peuvent
expliquer gravement que telle employée de maison qui a appris à lire et gagne
500 euros accède à la consommation parce qu'elle s'achète un appareil
électrodomestique, un lecteur de DVD, un téléphone portable ou un ordinateur.
Dernièrement, les directions syndicales ont rejoint la contestation. Le
25 juin, les principales confédérations et le Mouvement des sans-terre (MST) ont
appelé à une journée de grève le 11 juillet, à la veille d'une rencontre avec la
présidente, « pour les libertés démocratiques et pour les droits des
travailleurs ». Sous cette formule, chacun peut mettre ce qu'il veut. Ainsi le
dirigeant de Força sindical, une centrale droitière et modérée, a précisé qu'il
ne s'agissait pas là d'une grève générale, mais qu'il entendait critiquer « la
politique économique du gouvernement et manifester contre l'inflation ».
Malgré la modération de l'appel, si la classe ouvrière s'en saisit, cette
journée de grève pourrait relancer le mouvement, et permettre aux travailleurs
d'affirmer leurs propres revendications.