A
Argenteuil, nous sommes bien placés pour constater les entorses à la loi dite de
« séparation de l’Église et de l’État », entorses pratiquées par les
différents édiles qui se sont succédé ces dernières années à la tête de la
Ville. Retour donc sur cette loi dont on célèbre le 110ème
anniversaire. L’article ci-dessous est paru dans le numéro de cette semaine de
notre hebdomadaire Lutte ouvrière que je vous proposerai à la vente, comme
chaque semaine, de 17 h.15 à 18h.15 au carrefour « Babou ». DM
9
décembre 1905 : loi de séparation de l’Église et de l’État, un compromis
toujours remis en cause
Le 9 décembre 1905, il y a 110
ans, était adoptée la loi dite de séparation de l’Église et de l’État. «
L’État ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte », et la
religion est une affaire privée, affirmait-elle. La France était le premier
pays européen – et reste encore un des rares pays dans le monde – à inscrire
dans la loi le principe de laïcité. Pourtant, malgré la loi de 1905, la
complaisance des gouvernements envers les institutions religieuses, en premier
lieu catholiques, ne s’est jamais démentie, tandis que la notion de laïcité est
contestée par des partis ou groupes réactionnaires. Mais surtout, laïque ne
veut pas dire athée. Le républicain Xavier Bertrand, voulant ménager la chèvre
et le chou (ou plutôt le bœuf et l’âne puisque le débat portait sur
l’installation de crèches dans les mairies !) ne s’est pas gêné par exemple
pour déclarer que « la France est un pays laïque de tradition chrétienne
» !
Sous
l’Ancien Régime, la France était effectivement de tradition non pas chrétienne,
puisque les protestants furent à plusieurs reprises persécutés, mais
catholique. Elle était même désignée comme la « fille aînée de l’Église » et le
catholicisme y était religion d’État.
Avec
la Révolution française, l’alliance entre royauté et Église vola en éclats. Les
philosophes des Lumières avaient ouvert la voie, et le principe de séparation
entre l’Église et l’État apparaît dès 1789, dans la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen. Certes, la bourgeoisie révolutionnaire contestait aussi
le pouvoir temporel de l’Église, mais en s’en prenant à son pouvoir spirituel,
donc en battant en brèche l’obscurantisme religieux, elle faisait faire un
formidable pas en avant à l’ensemble de la société.
Arrivé
au pouvoir avec le reflux de la révolution, Napoléon 1er renoua avec l’Église
romaine. Le Concordat signé en 1801 avec le pape la confortait dans la plupart
de ses prérogatives, notamment en matière d’éducation. Durant tout le 19e
siècle, l’Église allait se poser en soutien des régimes monarchistes réactionnaires.
Vers la
loi de 1905
Après
la chute du Second Empire, en 1870, la domination de la bourgeoisie sur la
société prit la forme de la IIIe République. Cependant, les partis monarchistes
n’avaient pas rendu les armes. Par ailleurs, après l’écrasement de la Commune
de Paris, le mouvement ouvrier allait lentement se relever, donnant naissance à
des partis socialistes qui pouvaient devenir une menace pour le pouvoir.
En
s’attaquant à la religion et à son emprise, nombre d’hommes politiques de la
bourgeoisie cherchèrent à saper la puissance de l’Église catholique qui
soutenait les monarchistes et influençait une large partie de la population. Et
face à la propagande socialiste, leur anticléricalisme parfois virulent – «
Le curé, voilà l’ennemi » déclarait Gambetta – leur permettait d’apparaître
radicaux à bon compte et de dévier la colère des exploités sur la voie de
l’anticléricalisme.
Des
pas vers la laïcisation de la société furent franchis dans les années 1880,
notamment avec l’autorisation de divorcer, la création de funérailles
civiles... ou l’autorisation du travail du dimanche ! Mais c’est surtout dans
le domaine de l’enseignement que l’Église catholique reçut les plus grands
coups avec les lois Jules Ferry sur l’éducation, dont la loi de 1881 qui
instaurait l’école publique gratuite et obligatoire, retirant ainsi la majorité
de l’enseignement des mains du clergé. En faisant de l’éducation des enfants
une prérogative d’État, la bourgeoisie pouvait à la fois inculquer sa morale et
donner aux futurs ouvriers le minimum de qualifications dont son industrie
avait besoin.
Les
reculs
Il
ne fallut pas attendre longtemps pour que les gouvernements reculent devant le
pouvoir de l’Église. La loi de 1905 prévoyait d’inventorier tous ses biens,
mais cette mesure fut abandonnée dès l’année suivante sous la pression parfois
musclée de groupes catholiques. Une loi, votée en 1908, obligea les communes à
réparer et entretenir les églises construites avant 1905. Même si l’intérêt
architectural mérite que l’on conserve nombre d’entre elles, pourquoi cela
devrait-il être financé par l’argent public ? Ce cadeau fait à l’Église est un
véritable fardeau pour les petites communes. L’État prend bien une part des
travaux à sa charge, mais elles peuvent avoir à débourser de lourdes sommes
pour l’entretien de locaux dont elles n’ont pas la jouissance.
Les
principaux reculs du pouvoir eurent lieu dans le domaine de l’enseignement
privé, à 80 % catholique. La loi Barangé de 1951 lui accorda des subventions
pour chaque élève scolarisé. En 1959, avec la loi Debré, l’État prenait aussi
en charge les salaires des enseignants dans les établissements scolaires sous
contrat. Locaux entretenus par les collectivités locales, communes devant payer
pour leurs enfants scolarisés dans un établissement privé d’une autre commune,
etc., les reculs furent progressifs mais incessants.
Et
peut-on vraiment dire que l’État français est laïque quand une partie du
territoire échappe à la loi de 1905 ? Après la Première Guerre mondiale,
lorsque l’Alsace-Moselle revint dans le giron de la France, elle conserva le
statut qui était le sien sous l’empire allemand : les ministres des cultes
reconnus sont payés par l’État et, sauf dispense, les cours d’instruction
religieuse sont obligatoires dans les écoles. En Guyane, une ordonnance de
1827, reconnaissant et finançant la seule religion catholique, est toujours en
vigueur. À Mayotte, département de tradition musulmane, la charia fait office
de loi pour les affaires familiales. Et la liste des exceptions concerne aussi
des territoires ou départements d’outre-mer.
Laïque ne
veut pas dire athée
La
loi de 1905 était déjà, à son époque, le résultat d’un compromis entre l’État
et l’Église, qui ne mettait pas fin à la puissance sociale de celle-ci. Les
termes mêmes de ce compromis n’ont jamais cessé d’évoluer, dans le sens d’une
complaisance de plus en plus marquée des politiciens bourgeois vis-à-vis de la
religion. Le principe de laïcité dont ils se vantent est contredit par le
favoritisme envers l’Église catholique, dont l’influence est renforcée par des
manifestations publiques : ainsi, il est de bon ton pour un président
d’assister à des messes données en « hommage à... », même s’il s’affiche par
ailleurs athée.
La
laïcité et la neutralité de l’État ne sont pas non plus respectées dans le
service public audiovisuel. La plus ancienne émission régulière de la
télévision publique est Le jour du seigneur, qui date de 1954.
Exclusivement consacrée au catholicisme à ses débuts, elle s’est élargie à
d’autres cultes, mais les libres penseurs n’y ont pas leur place. Ainsi, ceux
qui combattent la religion ne peuvent compter que sur le bon vouloir de
réalisateurs d’autres émissions pour avoir droit à la parole.
La
loi de 1905 marqua un réel progrès pour la société, en faisant de la religion
une affaire privée. Mais elle est loin d’être suffisante pour contenir les
superstitions véhiculées par la propagande religieuse, quelle que soit la
boutique qui s’en réclame. Le recul que connaît actuellement la société se
traduit aussi par la remontée d’un fatras de croyances d’un autre temps qui
peuvent avoir des conséquences catastrophiques.
Parce
que ce progrès peut être remis en cause, les communistes révolutionnaires
doivent défendre la laïcité qui garantit à chacun, du moins dans la loi, la
liberté de conscience. Ils doivent lutter pour faire reculer les idées
religieuses et l’oppression qu’elles engendrent. Mais cela ne peut être qu’un
aspect d’un combat bien plus vaste visant à renverser une bourgeoisie
réactionnaire qui, au 21e siècle, ne dédaigne toujours pas de se servir de «
l’alliance du sabre et du goupillon » pour affermir sa domination.
Marianne LAMIRAL