Nous avons évoqué hier dans notre éditorial d’hier, le putsch du « quarteron de généraux » contre l'indépendance de l'Algérie, le 22 avril 1961. Voilà ci-dessous un article sur le sujet, paru dans la livraison du 27 avril 2011 de notre hebdomadaire Lutte ouvrière
Il y a 50 ans - Alger, 22 avril 1961 : Le putsch du « quarteron de généraux » contre l'indépendance de l'Algérie
27 Avril 2011
Au milieu d'avril 1961, après sept ans d'une guerre féroce contre la volonté d'indépendance de la population algérienne, une rencontre entre représentants du gouvernement français, alors présidé par le général de Gaulle, et ceux du FLN algérien semblait imminente. Le 12 avril, de Gaulle l'annonçait clairement : « La décolonisation est notre intérêt et par conséquent notre politique. »
Déjà, le 8 janvier 1961, en France un référendum s'était prononcé à 80 % en faveur de l'autodétermination du peuple algérien. Mais, pour que le processus diplomatique menant à l'indépendance puisse commencer, de Gaulle devait réduire l'opposition de l'extrême droite, soutenue par des hommes politiques comme Soustelle et Bidault, mais aussi par des cadres de l'armée et les Européens d'Algérie tenants irréductibles de l'Algérie française. En avril 1961, l'échec du putsch tenté en Algérie par une poignée de généraux allait finalement l'y aider.
UN PUTSCH CONTRE L'INDEPENDANCE DE L'ALGERIE...
Considérant que « de Gaulle jette l'Algérie par-dessus les moulins », selon l'expression du général Challe, une poignée de généraux tente un coup de force. Dans la nuit du vendredi au samedi 22 avril, les généraux Challe, Zeller, Jouhaud, bientôt rejoints par Salan, s'emparent du pouvoir à Alger avec l'appui des régiments parachutistes. L'État de siège est proclamé sur l'ensemble du territoire algérien, qui passe sous autorité militaire. Radio-Alger aux mains des putschistes proclame : « L'Algérie française n'est pas morte. Il n'y a pas, il n'y aura jamais, d'Algérie indépendante. »
Les généraux putschistes sont tous de hauts cadres de l'armée, même s'ils sont démissionnaires de leur poste parce que partisans de l'Algérie française : Challe était, jusqu'à sa démission en janvier 1961, commandant en chef Centre Europe de l'OTAN ; Zeller, général de corps d'armée, avait démissionné en 1956 ; Jouhaud, chef d'état-major de l'armée de l'air, avait été mis en disponibilité à sa demande en octobre 1960 ; quant à Salan, son poste d'inspecteur général des armées ayant été supprimé, il était en exil à Madrid.
À Paris, dès l'annonce du putsch, à gauche comme à droite l'unanimité quasi totale se réalise derrière de Gaulle. Les partis protestent au nom de « l'unité de la nation ». Maurice Thorez, secrétaire général du PCF, s'adresse aux autres partis de gauche (SFIO, PSU) mais aussi au Parti Radical et au grand parti de droite MRP pour organiser une riposte commune. À cet appel, seul le PSU répondra... Une heure de grève générale est décidée par la CGT, la CFTC, la FEN et l'UNEF pour le 24 avril. De son côté Le Figaro dénonce les militaires d'Alger qui, selon lui, « vont contribuer à créer un Front populaire dont le Parti Communiste cherche depuis des mois à prendre la direction », rien moins ! Toute une opération de dramatisation est orchestrée par le gouvernement, qui fait souffler un vent de panique sur tout le pays. On parle de guerre civile. Un appel à la vigilance intitulé Pour sauver la République est placardé sur les murs de Paris.
Le dimanche 23 avril, de Gaulle déclare sur les ondes : « Un pouvoir insurrectionnel s'est établi en Algérie par un pronunciamento militaire. Le pouvoir a une apparence : un quarteron de généraux en retraite. Il a une réalité : un groupe d'officiers partisans, ambitieux et fanatiques. (...) Au nom de la France, j'ordonne que tous les moyens, je dis tous les moyens, soient employés pour barrer la route à ces hommes-là, en attendant de les réduire. J'interdis à tout Français et d'abord à tout soldat d'obéir à chacun de leurs ordres. » Il annonce l'instauration de l'état d'urgence.
Un peu plus tard, sur un ton dramatique, le Premier ministre Michel Debré parle du risque d'une « action de surprise et de force » de la part des militaires sur la métropole et lance l'appel à se rendre aux aérodromes, « à pied ou en voiture, convaincre les soldats trompés de leur lourde erreur »... La radio tient en haleine la population. Sous l'autorité du ministère de l'Intérieur, un corps de volontaires de défense civile, tout symbolique, est constitué. Partis de gauche et syndicats participent à l'ambiance et impulsent dans les banlieues populaires de la région parisienne, comme Pantin, Bagnolet, Ivry, etc., des comités de vigilance, qui restent eux aussi symboliques. Des chars s'installent devant l'Élysée, l'Assemblée nationale, certains ministères. La nuit du dimanche au lundi se passe sur le pied de guerre, après l'annonce à la radio d'un possible débarquement militaire.
... QUI FAIT PLOUF
En fait, dès le lundi 24 avril, la situation à Alger est loin d'être favorable aux militaires putschistes. Le discours de de Gaulle a porté. À beaucoup d'officiers, l'affaire apparaît trop risquée. Des régiments ne suivent pas. Les jeunes appelés du contingent sont hostiles. La majorité des militaires en Algérie hésite, attend. L'aviation et la marine sont opposées au coup de force.
En France, la journée est marquée par la grève d'une heure, très largement suivie. Meetings et manifestations regroupent des participants inquiets.
Mais, dès le lendemain, le putsch s'avère une déconfiture. À 16 heures, Challe le reconnaît en déclarant : « L'affaire est finie. Nous avons échoué », avant de se rendre avec Zeller. Salan et Jouhaud quant à eux passent dans la clandestinité, d'où ils organiseront bientôt les premiers réseaux de l'organisation terroriste d'extrême droite OAS (Organisation armée secrète).
Si le putsch n'a été finalement qu'un feu de paille, il permet à de Gaulle de porter un coup sévère à l'extrême droite tenante de l'Algérie coloniale française. Il déconsidère certains de ses principaux chefs et lui retire les moyens de s'opposer efficacement à la politique algérienne du gouvernement.
Quatre ans après son arrivée au pouvoir, de Gaulle s'apprête enfin à reconnaître le droit à l'indépendance de l'Algérie. La gauche - en particulier le PS, qui lui a fait allégeance dès 1958, et le PCF qui n'a jamais défendu l'indépendance de l'Algérie, se contentant de militer pour « la paix en Algérie » - l'appuie, tandis que l'extrême droite, qui vient de subir un échec cuisant, n'a plus les moyens de s'y opposer. Le 20 mai 1961, lorsque s'ouvre la conférence d'Évian où se négocient les conditions de la fin de la guerre, le gouvernement de de Gaulle peut l'aborder débarrassé de l'hypothèque représentée par la pression de l'extrême droite. Un an plus tard, en 1962, celle-ci n'en mènera pas moins une ultime bataille, violente et meurtrière, contre l'indépendance de l'Algérie.
Lucienne PLAIN (Lutte ouvrière n°2230 du 27 avril 2011)
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire