Marseillaise et Internationale
Lors de la manifestation de
mardi, dans un cortège syndical, des slogans tout à fait acceptables et
combatifs fusaient. Puis, la personne qui avait le micro lança « La
Marseillaise ». Cela jeta immédiatement un froid parmi une partie des
manifestants. Le chant bourgeois de Macron dans une manifestation
anti-gouvernementale, c’était pour le moins déplacé !
La
Marseillaise, chant guerrier s’il en fut, fut peut-être un chant
révolutionnaire à l’époque de la Révolution attaquée de toute part en 1792.
Mais institutionnalisé au XIXème siècle comme hymne patriotique, il devint le
chant de guerre de la bourgeoisie contre les travailleurs. Et ce n’est pas un
hasard si, aujourd’hui, le ministre Blanquer, honni des enseignants et des
personnels de l’Éducation nationale, veut l’imposer, dès leur jeune âge, dans
la tête des élèves du primaire.
Pour
revenir à la belle manifestation de mardi, aux tristes paroles de ce chant
nationaliste répondit, lancé par des manifestatnsn, celui des prolétaires de
tous les pays, L’Internationale » ! DM
Article
de Maurice Dommanget paru dans l’Ecole Émancipée du 28 juin 1936 (cf.
marxism.org)
Marseillaise
et Internationale
L’Humanité
fait sa partie dans le concert en l’honneur de Rouget de Lisle « auteur de
l’immortelle Marseillaise ». Elle nous annonce que Maurice Thorez, président du
Comité Local pour la commémoration de l’officier bourgeois et
contre-révolutionnaire Rouget de Lisle, parlera de la Marseillaise et qu’à
cette occasion, chorales, harmonies et orchestres populaires feront revivre
l’œuvre de Rouget de Lisle, sauf sans doute l’Hymne en l’honneur du 9
Thermidor. Une note jointe annonce qu’une autre cérémonie aura lieu dans la
cour des Invalides pour «l’apothéose de la Marseillaise». Mais ici la
discrétion de l’Humanité vaut son pesant d’Union Sacrée. Il ne convient pas,
sans doute, que le brave prolo, lecteur enthousiaste de l’Humanité sache que la
cérémonie glorifiant la Marseillaise doit se dérouler d’un côté sous la
présidence de M. Thorez, secrétaire général du PC avec des travailleurs abusés
se réclamant de l’Internationalisme et de l’autre sous l’égide de M. Lebrun,
Président de la République, avec le concours de 900 exécutants de musiques
militaires dans la cour du musée national du militarisme que sont les
Invalides.
Déjà,
dans la cour du palais où reposent les cendres de l’«ogre» Napoléon et de
l’officier anti-jacobin, il y a 21 ans, en plein carnage, un autre Président de
la République, M. Raymond Poincaré, «le président de la réaction et de la
guerre» magnifiait la Marseillaise devant tout un aréopage de généraux et
d’officiers. Le peuple, alors, formait le prolétariat des batailles. Mais quel
rapprochement symbolique ! Et comme on comprend les précautions prises par
l’Humanité afin qu’aucun doute – un doute terrible – ne vienne troubler la
bonne foi du prolétaire, mentant sans le savoir à ses plus intimes et à ses
plus saintes aspirations !
En
lisant le programme complet de tout ce carnaval sinistre, de toute cette
comédie qui prépare la tragédie, on est obsédé invinciblement par la guerre :
la guerre d’hier, dans laquelle la Marseillaise exprime, disait-on, «l’âme
éternelle de la patrie» et la guerre de demain dans laquelle une fois encore la
Marseillaise jouerait son triste rôle, aidant – encore tout aussi efficacement
– les peuples à «fonder la paix sur les ruines de l’Impérialisme allemand».
Car
la Marseillaise est avant tout un chant de guerre et c’est bien parce qu’avec
le drapeau tricolore abhorré du vieux Blanqui, cinq jours avant sa mort, comme
emblème des «massacreurs de la semaine sanglante» elle représente l’idée de
guerre que Moscou a imposé au mouvement ouvrier français, faisant ainsi reculer
celui-ci d’une quarantaine d’années en arrière.
Oui,
la Marseillaise est surtout et avant tout un chant de guerre et de militarisme.
C’est
le chant de guerre de l’armée du Rhin et d’ailleurs Rouget de Lisle est par
excellence le poète des carnages. Il a composé le Chant de guerre de l’armée
d’Egypte, le Chant des vengeances et bien d’autres hymnes poussant aux
charniers.
Composée
en vue de la guerre, dans un milieu de guerre, par un officier de carrière
sorti de l’École militaire, chantée pour la première fois dans un salon rempli
d’officiers, exécutée pour la première fois par une musique de garde nationale,
popularisée par les engagés volontaires marseillais, introduite officiellement
aux armées par le ministre de la guerre Servan, elle respire — sauf dans le
cinquième couplet – ce que Portier appelle d’un mot pittoresque le « cannibalisme
».
C’est
encore un chant de guerre en ce sens qu’il entre dans la pratique
gouvernementale en France de l’utiliser chaque fois qu’il s’agit de réveiller
l’ardeur des soldats, de galvaniser le sentiment belliqueux des foules, de
pousser malgré eux aux massacres exécrables les esprits rebelles à la gloire et
à la barbarie militaire.
Il
est caractéristique que Napoléon 1er, aux abois, cherchant à réveiller le
courage défaillant de ses soldats, entonna la Marseillaise au passage de la
Bérézina. Et à quelle heure, je vous prie, Napoléon le Petit fit-il tomber
subitement les barreaux de la prison où il avait enfermé la Marseillaise ? Au
moment particulièrement critique où il s’apprêtait à jeter la France dans
l’abîme. « Vous pouvez autoriser la chanson » faisait-il alors télégraphier par
son secrétaire particulier au ministre des Beaux-Arts. Sur quoi le ministre de
l’Intérieur, qui venait de faire poursuivre les valeureux champions de
l’Internationale, télégraphiait à son tour aux préfets: « Vous pouvez laisser
chanter la Marseillaise dans les cafés-concerts. » Ainsi, aux approches de la
guerre franco-allemande, c’est la Marseillaise qui servait à un gouvernement de
félonie, d’aventure et de crime pour chauffer à blanc l’enthousiasme guerrier
d’un peuple.
Rouget
de Lisle sentait très bien tout ce que représentait de sinistre l’hymne qui l’a
rendu célèbre. On dit qu’un soir, en 1815, il arriva chez un de ses amis, très
agité, très effrayé et se laissa tomber dans un fauteuil. « Ah! ça va bien mal,
dit-il. — Pourquoi cela? — Je viens d’entendre chanter la Marseillaise.» Et, en
effet, c’était la guerre et c’était l’invasion. On entendait, dans les
campagnes « mugir » les « féroces soldats ». Auber, qui rapporta ce fait en
juillet 1870 lors de la réapparition de la Marseillaise à l’Opéra était du même
avis que Rouget de Lisle et l’avenir proche allait tristement lui donner
raison.
«Ça
va bien mal» en effet quand on voit un Parti se posant comme le plus
révolutionnaire et le plus internationaliste, réhabiliter publiquement la
Marseillaise dans le pays où le prolétariat l’avait pratiquement abandonnée,
dans le pays où elle était devenue l’hymne de la bourgeoisie dirigeante et
digérante, dans le pays où on l’utilisa constamment pour la guerre, dans le
pays enfin qui fut et restera le berceau de l’Internationale.
Ah
! petits communistes, pygmées et mirmidons d’un haut idéal et du plus sublime
mouvement de libération qui entraîna les hommes, qu’avez-vous fait, que
faites-vous ? Ce prolétariat socialiste de France, héritier des sans- culottes,
trempé au feu des révolutions, était parvenu avant la guerre à doter son
mouvement autonome de classe d’un chant autonome de classe. Dans un sens de
classe élevée, il avait rompu nettement non seulement avec la fête nationale,
mais avec le chant national de sa propre bourgeoisie. Il avait compris qu’un
chant de guerre et de militarisme ne pouvait être le chant des travailleurs du
globe qui aspirent à l’Internationale des peuples et à la Paix par l’abolition
du désordre capitaliste. A l’avant-garde de la classe ouvrière mondiale, il
avait doté le prolétariat universel d’un chant universel, l’hymne magnifique de
Pottier. Et vous venez après le plus terrible des carnages et conscients du
péril immense qui pèse sur le monde angoissé, faire régresser ce prolétariat
qui ne chantait plus la Marseillaise, vous lui versez au lieu et place de
Badinguet, le « schnik » qui saoûle ! Et vous n’avez pas honte, après lui avoir
fait absorber le poison, de lui faire absorber l’antidote sous les espèces de
l’Internationale du vieux communard Pottier. Quelle comédie macabre nous
préparez-nous ? A quelle faillite épouvantable de l’Internationalisme ouvrier
pire que l’autre, l’amour et la dévotion insensée à l’U.R.S.S. ne vous
mèneront-ils pas ?
Permettez
à des syndicalistes, à des socialistes, à des libertaires, à des communistes
mêmes qui restent fidèles aux principes de l’internationalisme prolétarien et
qui n’aiment pas les combinaisons et les trahisons dont le prolétariat est
appelé à être la victime et l’enjeu, permettez-leur d’opposer à la mémoire de
l’officier contre-révolutionnaire Rouget de Lisle, pensionné de Louis-Philippe,
le prolétariat authentique, l’insurgé indomptable, le révolutionnaire farouche
Eugène Pottier qui ne voulut Ni Dieu, ni César, ni Tribun.
Permettez-leur
d’opposer au chant du passé, d’un Passé qu’on croyait révolu, le chant de
l’Avenir, le chant de la Suprême Espérance, le chant de la Communauté
Internationale des hommes sans Dieu. Vous avez repris la Marseillaise aux
muscadins des Jeunes Patriotes, aux camelots de Monseigneur le Duc d’Orléans,
aux Croix de Feu et aux Zouaves pontificaux, soit. Gardez-la.
Nous
préférons l’Internationale des producteurs qui demande que le monde «change de
base» et que le soleil brille pour tous, à la Marseillaise des massacreurs qui
ne parle que de sang, de gloire et de cercueils.
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