vendredi 15 février 2019

Haïti : l’explosion sociale. Un article de notre hebdomadaire Lutte ouvrière de cette semaine


Haïti : l’explosion sociale

Depuis le 7 février, des manifestations se succèdent en Haïti. Elles avaient commencé avec la journée de protestation organisée par l’opposition pour réclamer la démission du président, Jovenel Moïse, à l’occasion de ses deux ans au pouvoir.

Même si ceux qui sont à l’origine de la manifestation sont les interlocuteurs habituels du gouvernement, sénateurs ou anciens sénateurs, anciens ou futurs ministres, le mouvement de colère qui s’y est exprimé lui donne une tout autre ampleur. Les jours suivants, les manifestations se sont multipliées, touchant les villes principales, se transformant en véritables émeutes, avec des revendications sociales. Des barricades dans les rues, des blocages routiers paralysent le pays, une grande partie des écoles, des commerces et des administrations ont été fermés.

La police a tiré, tuant au moins six personnes. Des scènes de pillage se sont déroulées, car les manifestations sont aussi des émeutes de la faim. Un petit commerçant dont le stock de boissons a été pillé en témoignait au micro de RFI : « C’est pas leur faute, c’est parce qu’ils ont faim. Ce qu’ils ont pris, ils l’ont bu ou vont le vendre et avoir de quoi un peu soulager leur famille. Je n’ai rien contre eux, c’est parce qu’on n’a pas de bons dirigeants. Si tout le monde avait du travail, ça n’arriverait pas. C’est à cause de ce président de mascarade que toutes ces dérives se produisent en Haïti. »

La première revendication des classes pauvres en Haïti est de manger à sa faim. Parmi les 11 millions d’habitants, 59 % vivent sous le seuil de pauvreté, soit 2,41 dollars par jour. Plus de 2,5 millions, soit 24 % des Haïtiens, sont sous le seuil de l’extrême pauvreté fixé à 1,23 dollar par jour.

Les preuves de la corruption de ceux qui dirigent, ministres ou grands patrons, n’ont fait qu’ajouter à la colère. La Cour supérieure des comptes a rendu le 31 janvier son rapport sur la gestion du fonds Petrocaribe, créé avec les 3,8 milliards de dollars prêtés par le Venezuela en 2008 pour financer des projets sociaux. Le rapport est accablant : gestion incontrôlée et opaque, manquements en tout genre, soupçons de fraude, favoritisme, contrats sans aucun détail et sans échéancier. Des projets ont vu leurs budgets doublés ou triplés. Les justificatifs sont manquants, et les violations des lois sur la passation des marchés publics quasi systématiques.

Une quinzaine d’anciens ministres, de tous les gouvernements de cette période, sont épinglés. De nombreux grands patrons le sont également, en particulier l’actuel président Jovenel Moïse, qui dirigeait à l’époque la société Agritans. Cette compagnie bananière avait été chargée de… construire une route. La Cour des comptes pointe l’absence de contrat signé et parle, sans doute ironiquement, de « confusion » de devises entre les gourdes haïtiennes et les dollars américains.

Pour les classes riches d’Haïti, ce vol organisé à grande échelle, sur le dos de l’immense majorité de la population, est depuis longtemps une manière de vivre, de très bien vivre.

Les institutions internationales se contentent de jouer les bons offices. Les Nations unies, l’Union européenne et les ambassades occidentales appellent au dialogue et à « prendre des mesures pour améliorer les conditions de vie de la population ».

Comme d’habitude, les incendiaires occidentaux se permettent de donner des bons conseils, tout en laissant se perpétuer le pillage en règle d’Haïti.

                                         Bertrand GORDES (Lutte ouvrière n°2637)

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