On
nous informe
"Six experts, mandatés par le Haut
commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, ont interpellé le 17
février le gouvernement français au sujet "de l’usage excessif de la force
par la police concernant trois personnes d’origine africaine". La France
disposait d’un délai de 60 jours pour répondre à l’instance des Nations unies
située à Genève. Ce qu’elle a fait le 18 avril dernier. Les deux documents
publics que nous publions ici interrogent autant qu’ils renseignent sur l’état
des relations inquiétantes qu’entretiennent forces de l’ordre et population
française.
Traité de "Nègre" par
des policiers
Dans leur missive au gouvernement
français, les six experts évoquent trois cas, qu’ils souhaitent voir
"tirer au clair". Le premier est celui de François Bayiga,
camerounais handicapé, porteur de "deux prothèses aux membres inférieurs
et n’ayant plus qu’un bras". Vivant alors en France depuis trois ans, il a
fait l’objet le 2 mai 2016 d’un contrôle d’identité par trois policiers sur un
quai de la gare de Lyon à Paris. "Monsieur Bayiga leur a présenté sa carte
de sécurité sociale qu’ils n’ont pas acceptée [...]", lit-on dans la
missive. Selon les allégations, les policiers lui auraient dit qu’il était un
bon à rien parce qu’il est noir, et l'auraient traité de "Nègre".
Saisi au cou, plaqué au mur, "un des policiers a tiré sa prothèse droite,
ce qui a entraîné sa chute". Les agents des forces de l’ordre ont justifié
leur intervention ainsi : François Bayiga "s’apprêtait à uriner sur
les voies". Le 12 décembre 2016, l’homme a finalement été condamné pour
"immixtion de matières insalubres sur la voie publique" à une amende
de 180 euros.
Asphyxié
Les deux autres cas qui ont
retenu l’attention des experts du Haut-commissariat des Nations unies aux
droits de l’homme sont ceux d’Adama Traoré et Théo Luhaka.
Le premier a été retrouvé mort asphyxié le jour de son 24e anniversaire,
menotté sur le sol de la gendarmerie de Persan le 19 juillet 2016. Trois
plaintes ont été déposées par la famille, le dossier a été dépaysé, la procédure
étant désormais entre les mains de trois juges parisiennes. A propos de cette
affaire, les auteurs du rapport demandent "instamment" à la France
"une enquête rapide et impartiale", incluant une évaluation "de
la conformité des agissements de la gendarmerie, conformément aux obligations
de la France en vertu du droit international relatifs aux droits de
l’homme".
Le groupe de travail exige aussi
"des informations supplémentaires sur les causes physiques du décès de
Monsieur Traoré", et de savoir "s’il a bénéficié d’une assistance
médicale lors de sa détention". Réponse de la France : instruction en
cours, couverte par le secret. A propos des communications mensongères du
parquet de Pontoise évoquant une infection de la victime, les experts s’enquiert
de "l’enquête menée contre le procureur". Là, le gouvernement
français est clair : "Aucune enquête ne vise le procureur de la
République de Pontoise."
"Impunité"
Pour Théo Luhaka, 22 ans, le
rapport fait état d’un "contrôle particulièrement violent" le 2
février 2017 à Aulnay-sous-Bois, provoquant "60 jours d’incapacité
temporaire de travail du fait d’une section du sphincter anal et d’une lésion
du canal anal de dix centimètres de profondeur" qui l’obligent "à
porter une poche externe". Les experts écrivent : "Nous
exprimons nos interrogations à la suite des premières conclusions de l’IGPN
(Inspection générale de la police nationale) qui écartent l’idée de 'viol
délibéré' et parlent d’acte accidentel". Pour la France, l’instruction
étant en cours, il convient "d’attendre les résultats des enquêtes afin de
se prononcer".
Les experts se disent pourtant
"particulièrement préoccupés par le fait que [...] ces incidents ne sont
pas isolés". Ils citent le rapport de l’ACAT (Action des chrétiens pour
l’abolition de la torture) sur les violences policières en France, qui montre
qu’au cours de la dernière décennie, les Noirs et les Arabes étaient sept à
huit fois plus susceptibles d’être soumis à un contrôle policier que les autres
citoyens. "Notre préoccupation porte aussi sur la question de
l’impunité", précisent les rapporteurs. Quelles mesures la France
prend-elle pour y mettre fin ? Réponse : "Le gouvernement
français conteste fermement les allégations selon lesquelles un usage excessif
de la force pourrait rester impuni."
Pour chacun des trois cas, le
groupe de travail exprime dans son rapport son souhait d’être informé "en
détail de toute action en justice qui a été prise" à l’encontre des
auteurs présumés de ces "violations graves des droits de l’homme". Et
"si des sanctions pénales, administratives ou disciplinaires ont été
prises". Pour François Bayiga, Camerounais handicapé, la France
répond : "La procédure diligentée à l’encontre des trois policiers a
été classée sans suite par le parquet, en raison de l’absence d’infraction
constituée. En revanche, monsieur Bayiga fait l’objet d’un rappel à la loi pour
dénonciation calomnieuse." Et d’ajouter aussi : "Aucune
indemnisation ne saurait lui être accordée dès lors que les forces de l’ordre
n’ont commis aucune faute."
Elsa Vigoureux, L’Obs
Ali Ziri |
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