Une
petite pensée à l’occasion de cet article pour nos amis de la FNACA d’Argenteuil
toujours chaleureux, toujours fraternels. DM
Il y a 60 ans
Avril-mai
1956 : la révolte des rappelés
Le
gouvernement pouvant désormais gouverner par décrets, le 12 avril 1956 il
rappelait en service actif les jeunes ayant terminé leur service militaire
depuis moins de trois ans et prolongeait le service de ceux qui étaient sous
les drapeaux.
Le rappel
de jeunes de 23 ou 24 ans qui croyaient en avoir fini avec le service militaire
a provoqué une véritable mutinerie, selon l’expression d’un rappelé de
l’époque.
Dans une
caserne, le drapeau tricolore est descendu du mât aux cris de « À bas Guy Mollet
! » À Carpiane, des rappelés scandent : « Fusillez Mollet ! »
Dans un
train parti du camp militaire de Mourmelon en direction de Marseille pour
embarquer vers l’Algérie, les rappelés détellent plusieurs voitures à
Bar-le-Duc. Le signal d’alarme est tiré à plusieurs reprises pour freiner le
train. À Toul, trois cents rappelés montent à bord encadrés par les CRS. À
Dijon, les rappelés se dispersent dans la ville. Après un nouvel arrêt forcé à
Beaune, le train repart avec les rappelés.
Même
arrivés en Algérie, des rappelés continuaient à manifester y compris dans les
trains les emmenant sur le théâtre des opérations militaires.
En août
1955, sous le gouvernement d’Edgar Faure, il y avait déjà eu des rappelés et
des manifestations, dix-huit selon les historiens, mais en 1956 le mouvement
est plus intense : 76 manifestations où se mêlent les rappelés et ceux qui les
soutiennent.
À
Grenoble, le 18 mai, des milliers de manifestants affrontent les CRS. Un
Algérien a le pied arraché par une grenade offensive. Du ciment est coulé dans
les aiguillages pour bloquer les trains. Le 23 mai, à Antibes, des centaines de
manifestants s’opposent au départ de quinze rappelés, il y a vingt blessés. Le
lendemain, au Havre, trois cents ouvriers du bâtiment bloquent un convoi. Le 27
mai, on recense des manifestations à Angers, Port-de-Bouc, Brive et Voiron. Le
28 mai, à Saint-Nazaire, six mille métallos, dockers et maçons de la CGT
soutiennent vingt rappelés. La manifestation est réprimée par les CRS qui
chargent au clairon !
Le gouvernement
s’en prend aux journaux qui se font l’écho de la révolte des rappelés. Des
perquisitions frappent le journal anarchiste Le Libertaire et La Voix
du Peuple, le journal du MNA. L’hebdomadaire trotskyste La Vérité
est saisi. Puis sont saisis à plusieurs reprises France Observateur, l’Express,
l’Humanité et Témoignage Chrétien, ainsi que des éditeurs de
livres.
Néanmoins,
pour faire avaler la pilule et rappeler qu’il reste « de gauche », le
gouvernement a annoncé, en même temps que le rappel du contingent, des mesures
à caractère social, rapidement adoptées au cours des trois premiers mois : la
troisième semaine de congés payés, la réduction, mais pas la suppression, de
l’abattement de zone sur les salaires (cet abattement avait pour conséquence de
réduire le montant des salaires de province par rapport à ceux de la région
parisienne) et la création d’un fonds national de solidarité pour les personnes
âgées.
Le PCF
complice de Guy Mollet
Après la
manifestation du 18 mai à Grenoble, la fédération de l’Isère du PCF, qui avait
appelé à cette manifestation, avait tenu à rappeler « son opposition à toute
action qui ne revêt pas un caractère de masse, aux actes isolés, aux actes de
sabotage ». Dans le même communiqué, le PCF prétendait même y avoir vu «
la présence significative de nombreux policiers en civils, des fascistes... ».
Visiblement, le PCF ne tenait pas à ce que le mouvement des rappelés se
développe.
La
politique du PCF par rapport à la guerre d’Algérie était ambiguë. En 1955,
quand les premiers contingents de rappelés furent envoyés en Algérie, le PCF
avaient protesté contre ces rappels. Dans la campagne électorale de 1956, il
avait expliqué que la victoire de la gauche ramènerait ces rappelés à la maison
et il multipliait les prises de position et les délégations pour exiger la paix
en Algérie, la paix mais pas l’indépendance, ce qui laissait la place à toutes
les interprétations.
Malgré
tout, lorsque Guy Mollet fit sa volte-face pour envoyer les rappelés en
Algérie, les militants du PCF ou des Jeunesses communistes furent souvent au
premier rang des manifestations de rappelés.
Même le
vote des pouvoirs spéciaux par le PCF à Guy Mollet n’empêcha pas le PCF de
continuer de faire des déclarations dans l’Humanité contre la guerre.
Mais si ce quotidien se faisait l’écho des manifestations de rappelés, son
opposition à la guerre restait platonique.
Le PCF
laissa ainsi volontairement sans consigne ni politique les militants dans ses
rangs qui auraient pu organiser la résistance aux mesures de guerre et même
faire échouer le rappel du contingent. Il avait fait le choix politique de
rester dans la majorité gouvernementale, même si le Parti socialiste très
anticommuniste ne voulait pas de lui et de ses 150 députés.
Ce choix politique du PCF, au
final solidaire de la politique coloniale de l’impérialisme français, allait
permettre cette levée de troupes qui fit alors passer de 200 000 à 500 000 le
nombre de soldats français engagés dans la répression du mouvement d’émancipation
nationale du peuple algérien.
Jacques
FONTENOY (Lutte ouvrière n°2496)
Loin d'être tous aussi joyeux |
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