Il y a 70
ans : Novembre 1954, le début de la guerre d’Algérie
Publié le 06/11/2024
Dans la nuit du 31 octobre
au 1er novembre 1954, le Front de libération nationale, FLN,
déclenchait en plusieurs endroits du territoire algérien une série d’attaques
de postes de police, de casernes, et d’attentats visant des installations
industrielles, des usines appartenant à l’État ou à de gros colons.
Le FLN, une organisation créée
peu de temps auparavant par des militants issus d’autres organisations
nationalistes, déclarait cette nuit-là la guerre au pouvoir colonial. Celui-ci
répondit, comme il l’avait toujours fait, par la répression, en commençant par
des centaines d’arrestations. Le ministre de l’Intérieur, François Mitterrand,
qui ne s’était pas encore affublé de l’étiquette socialiste, déclarait : «
L’Algérie c’est la France, et la France ne reconnaîtra pas chez elle d’autre
autorité que la sienne. » Si le déclenchement de la lutte armée par les
dirigeants du FLN, Rabah Bitat, Mostepha Ben Boulaïd, Didouche Mourad, Mohamed
Boudiaf, Krim Belkacem, Larbi Ben M’hidi, joua un rôle décisif, c’est que la
situation était mûre pour la révolte contre ce pouvoir qui opprimait les
Algériens depuis 124 ans.
L’oppression
coloniale
Depuis longtemps le feu couvait
sous la cendre dans ce pays divisé par l’administration française en trois
départements, où Arabes et Berbères étaient traités depuis la conquête comme
des populations de second ordre. Seule celle d’origine européenne jouissait
vraiment de droits politiques. Le colonialisme français, qui s’était imposé
depuis 1830 par le fer et par le feu, avait pillé au fil des décennies toutes
les richesses. Les bonnes terres avaient été accaparées par de riches colons
européens et de grandes sociétés capitalistes, avec pour conséquence une
paupérisation constante. Dans les villes, comme Alger, où les paysans affamés
vinrent progressivement se regrouper dans des bidonvilles, la situation n’était
pas meilleure que dans les campagnes. Le chômage était massif dans la
population algérienne. Le salaire d’un Européen d’Algérie était vingt-huit fois
supérieur à celui d’un Algérien. Quant aux infrastructures, routes, hôpitaux,
écoles, censées être la preuve de l’œuvre civilisatrice de la France, dans des
régions entières elles étaient inexistantes. En 1954, seuls 20 % des enfants
algériens étaient scolarisés.
La lutte
contre le colonialisme et le PC
Dans les années 1920, le Parti
communiste, qui s’était créé dans l’enthousiasme de la révolution russe de
1917, s’affirmait sans ambiguïté pour l’indépendance. Il défendait la nécessité
pour la population pauvre de s’organiser contre l’oppression coloniale, mais
aussi contre l’oppression sociale, celle exercée en particulier par les grands
propriétaires fonciers. C’est avec son soutien que fut fondée à Paris, en 1926,
l’Étoile nord-africaine, dont Messali Hadj devint le dirigeant. Elle regroupait
3 600 militants en 1929.
La politique des partis
communistes changea avec la dégénérescence de l’État ouvrier issu de la
révolution de 1917. Sous l’influence de Staline, le Parti communiste mena à
partir de 1935 une politique d’alliance avec les partis bourgeois qui se
concrétisa par la création du Front populaire. Parallèlement, le PC abandonna
son combat contre le colonialisme, s’opposant même à l’idée d’indépendance. Le
Parti communiste algérien, qui en était en fait une section, suivit la même
évolution.
L’Étoile nord-africaine, après
avoir soutenu le Front populaire en 1936, fut très vite déçue par son attitude
vis-à- vis du problème colonial. Pour le Front populaire en effet, il n’était
pas question d’accorder l’indépendance aux Algériens. Le projet Blum-
Viollette, qui n’accordait pourtant l’égalité politique qu’à une très petite partie
de la population algérienne, ne fut même pas adopté.
La répression coloniale, elle,
s’intensifia. En 1937, Messali Hadj fut arrêté et son parti interdit par ce
même gouvernement du Front populaire. Il dut se reconstituer sous le nom de
Parti du peuple algérien, le PPA.
Mai 1945
: Sétif et la radicalisation du mouvement nationaliste
Après la Deuxième Guerre
mondiale, les peuples colonisés revendiquèrent partout cette indépendance qu’on
leur avait fait miroiter pour les mobiliser dans les conflits. En mai 1945,
l’impérialisme français réagit par un massacre au soulèvement de milliers
d’Algériens. Les estimations vont jusqu’à 40 000 morts. La région de Sétif
en particulier fut bombardée par l’aviation française dont le ministre, Charles
Tillon, était un dirigeant du PCF. Celui-ci dénonça les « nationalistes
fascistes du PPA ». « Ce qu’il faut c’est châtier impitoyablement les
organisateurs de troubles » pouvait-on lire dans l’Humanité du
12 mai 1945.
Cette répression féroce fut une
véritable rupture pour tous ceux qui aspiraient à plus de justice, à la liberté
pour le peuple algérien : toutes les illusions dans un changement politique se
dissipèrent. En mai 1954, l’armée française fut défaite à Dien Bien Phu
par le mouvement indépendantiste indochinois, démontrant que vaincre le pouvoir
colonial était possible. Cela finit de décider des militants issus du parti de
Messali Hadj à passer à l’action armée.
L’indépendance,
mais pas la fin de l’oppression sociale
Dès sa naissance le FLN s’était
fixé comme objectif politique « la restauration de l’État algérien souverain
démocratique et social dans le cadre des principes islamiques ». Si son but
était de débarrasser l’Algérie du colonialisme, il n’était pas d’y instaurer un
pouvoir des masses populaires, ni de renverser le capitalisme. Ses dirigeants
représentaient une petite bourgeoisie algérienne qui aspirait à avoir son
propre État. Mostepha Ben Boulaïd par exemple, un des responsables du FLN, fils
de petits propriétaires fonciers, était devenu, après la guerre, président de
la corporation des marchands de tissus de l’Aurès et patron d’une petite
minoterie. Durant la guerre déjà, les dirigeants du FLN posèrent les bases d’un
appareil d’État tel qu’il puisse échapper à tout contrôle des masses
algériennes, s’imposer à elles le jour de l’indépendance, et gouverner dans
l’intérêt des possédants algériens.
Du fait de la trahison des partis
ouvriers français, Parti socialiste et Parti communiste, qui s’étaient rangés
du côté de leur propre impérialisme, et avaient refusé de mettre en avant
l’indépendance de l’Algérie, le peuple algérien s’était retrouvé seul pour
combattre la bourgeoisie française et n’avait pas eu d’autre choix que de se
ranger derrière le FLN. L’indépendance fut acquise en 1962, après huit années
d’une sale guerre qui avait fait au moins 500 000 morts et dévasta des
régions entières. Ce fut pour le peuple algérien la fin de l’oppression
nationale et la conquête d’une nouvelle dignité. Son émancipation sociale,
elle, reste à conquérir.
Aline Retesse (Lutte ouvrière n°2936)