Napoléon
: comment terminer une révolution
28 Avril 2021
Une polémique se poursuit sur la
commémoration du bicentenaire de la mort de Napoléon Bonaparte le 5 mai 1821. À
droite, beaucoup encensent l’œuvre de l’empereur qui, en instituant les préfets
et en créant le Code civil, aurait jeté les bases de l’État actuel.
Les mêmes évitent soigneusement
de dire que, s’il y a quelque chose de positif à retenir de cette
« œuvre », c’est en comparaison de l’Ancien régime et ce n’est
nullement dû à la personne de Bonaparte mais à la révolution. Sans la
Révolution française, c’est-à-dire les insurrections des sans-culottes à Paris,
la révolte des paysans contre les nobles, la levée en masse des pauvres pour
battre les armées royalistes, la bourgeoisie n’aurait pu abattre la monarchie
absolue et se hisser au pouvoir. Mais encore aujourd’hui, elle préfère renier
cette naissance sulfureuse car elle a très vite voulu mettre au pas ce peuple
armé à qui elle doit d’avoir assuré son pouvoir.
La révolution a détruit l’ancien
pouvoir des nobles et du clergé, ainsi que tout ce qui nuisait au
commerce : les douanes intérieures et l’imbroglio administratif de la
France. Elle a renversé la monarchie absolue et ouvert la voie à un État
représentant les intérêts de la bourgeoisie. Mais cela se fit sous l’impulsion
et le contrôle des masses armées ayant décidé de prendre leur sort en main. La
période de la Terreur, tant décriée par la suite, fut en fait la plus
révolutionnaire. Pour sauver la révolution bourgeoise, Robespierre alla jusqu’à
s’appuyer sur le petit peuple, répondant à certaines de ses revendications et
s’en servant pour anéantir les ennemis de la révolution. Mais pour la
bourgeoisie, cela ne pouvait pas durer au-delà de la victoire définitive sur la
contre-révolution monarchiste.
Napoléon Bonaparte, devenu
général grâce à la révolution, y mit donc un coup d’arrêt en 1799 par un coup
d’État. Sa dictature permit alors de renforcer le pouvoir bourgeois contre le
danger représenté par les classes populaires révolutionnaires et aussi contre
un éventuel retour des royalistes.
C’est à partir de là que Napoléon
put consolider l’État bourgeois. Pour mater les révoltes populaires, il
centralisa et augmenta les forces de police. Il créa des institutions solides
dirigées par des hauts fonctionnaires choisis, comme les préfets, pour
remplacer celles plus démocratiques, comme les communes élues issues de la
révolution. Il créa donc la Cour des comptes, les grands corps d’ingénieurs, le
Conseil d’État, etc. Tout ce qui fait, depuis, le socle immuable de l’État,
qu’il soit dictatorial ou républicain, l’administration, la justice, l’armée,
fut confié à des hommes de la bourgeoisie.
En 1804, Napoléon promulgua le
Code civil, qui reste aujourd’hui le fondement du droit dans la société
bourgeoise. 80 % des articles y traitent de la propriété privée. Tous les
droits furent donnés aux patrons. En cas de conflit social, ceux-ci étaient
crus sur parole, alors que les ouvriers devaient faire la preuve de ce qu’ils
avançaient. Le livret ouvrier inventé par Napoléon entravait grandement leur
liberté et les empêchait de quitter un patron de leur plein gré. Enfin Napoléon
rétablit l’esclavage dans les Antilles françaises pour assurer les profits des
capitalistes.
Le Code civil imposait aussi une
place inférieure aux femmes. Tous les pouvoirs étaient transmis aux pères et
maris, aussi bien sur les femmes que sur les enfants, tant la question de
l’héritage était centrale pour les bourgeois. Certains articles de ce code
napoléonien contre le droit des femmes n’ont été supprimés qu’à la toute fin du
20e siècle.
Tout ce qui a changé depuis pour
les travailleurs, pour les femmes, pour les esclaves des colonies, il aura
fallu qu’ils l’arrachent. Aujourd’hui, ceux des hommes de la bourgeoisie qui
acclament Napoléon rendent hommage à un dictateur qui a permis à leur classe de
s’installer au pouvoir en tirant le rideau sur l’épisode révolutionnaire. Quant
à certains qui, à gauche, rejettent Napoléon en l’opposant aux « valeurs
républicaines », ils préfèrent eux aussi oublier la révolution et le fait
que la République voulue par les masses après 1789 était bien loin des
institutions d’aujourd’hui, bien rodées à la défense des nouveaux privilégiés.
Qui sait si les exploités ne
pourraient pas retrouver le goût, en actualisant La Carmagnole, de
« pendre les bourgeois à la lanterne » ?
Marion
AJAR (Lutte ouvrière n°2752)
Déjà
le spectre du communisme : Gracchus Babeuf, condamné à mort en 1796