Loi
Macron : huit mots contre deux siècles de luttes ouvrières
Noyée au milieu des 106 articles
de la loi Macron adoptée par défaut par le Parlement, trois pages après le début
de l’article 83 de cette loi, dans la partie consacrée à la justice
prud’homale, une ligne a été insérée où il est décrété à propos du Code civil :
« Le second alinéa de l’article 2064 est supprimé. » Ce sont seulement
huit mots, mais ils ouvrent la voie à la remise en cause de garanties issues
d’une lutte qui remonte au début du capitalisme, qui avait obligé à considérer
les travailleurs non comme des marchandises, mais comme des femmes et des
hommes ayant des droits spécifiques.
Ce tour
de passe-passe délibéré concerne la possibilité, qui existe dans le Code civil,
de régler par des conventions spécifiques toutes les relations entre deux
parties, dans tous les domaines de la vie de la société. Jusqu’ici, la seule
exception concernait les contrats de travail, et en général l’emploi des
salariés. Ceux-ci ne pouvaient être réglés que par les lois spécifiques du Code
du travail et par les tribunaux spécialisés, les Prud’hommes. Or la loi Macron
a ainsi fait sauter l’alinéa qui décrétait : « Toutefois aucune convention
ne peut être conclue à l’effet de résoudre les différends qui s’élèvent à
l’occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du Code du
travail entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu’ils
emploient. » Le résultat ce n’est rien moins que la négation même de cette
notion de contrat de travail.
Dorénavant,
un employeur pourra en toute légalité imposer au salarié qui cherche un emploi,
ou même à un de ses salariés déjà embauché, s’il veut rester, de signer une
convention qui réglera les conditions de son emploi. Elle pourra être
complètement en dehors des règles du Code du travail, avec la rémunération
voulue par l’employeur, les horaires, les conditions de la suspension de ladite
convention, etc. Les seules obligations de l’employeur seraient alors celles
qui auraient été signées « d’un commun accord » entre lui et le salarié.
Celui-ci serait donc « libre », c’est-à-dire libre de rester sans emploi. C’est
une liberté le couteau sous la gorge dans le contexte de chômage de masse
aujourd’hui.
Cela
ouvre la voie, comme l’ont dit certains syndicalistes et un des critiques les
plus déterminés de cette innovation, Gérard Filoche, à un retour au Code
Napoléon de 1804 ou à la loi Le Chapelier de 1791. C’est-à-dire que les
travailleurs, face aux patrons, devraient marchander de gré à gré leur
situation et leurs droits. En clair ils seraient soumis à la dictature
patronale. C’est contre cette liberté-là que depuis près de deux siècles le
mouvement ouvrier s’est battu. Il s’agissait d’imposer que les relations entre
un salarié et son employeur ne soient pas considérées comme un marchandage
commercial, mais comme impliquant des droits spécifiques et des garanties
s’imposant à tous les employeurs, et valables pour tous les salariés quels
qu’ils soient.
Cette
disposition est le prolongement de toutes les remises en cause mises en œuvre
par les gouvernements, dans un domaine où les dirigeants socialistes, alliés ou
pas à d’autres, ont brillé. Bien sûr, l’application de ce formidable retour en
arrière, même s’il est ouvert par la nouvelle loi, dépendra avant tout du
rapport de force entre la classe ouvrière et le patronat. Mais on peut imaginer
ce qu’il pourrait en être quand on voit comment, dans d’autres pays dits
avancés, on a fait reculer les conditions de vie et d’emploi de millions de
salariés. C’est le cas en Grande-Bretagne avec les contrats à zéro heure, ou en
Italie avec des centaines de milliers d’ouvriers qui sont obligés de se
transformer en autoentrepreneurs, en lieu et place de salariés.
Les
travailleurs n’ont pas à se sentir liés par ces lois d’exception pro-patronales,
même si jusqu’à ce jour les confédérations syndicales sont restées bien timides
sur le sujet. Dans les luttes qui viendront, il faudra faire sauter ces mesures
d’exception imposées dans la guerre que le patronat et ses sbires
gouvernementaux mènent contre les travailleurs.
Paul SOREL