Un
article de notre hebdomadaire Lutte ouvrière de cette semaine
Arabie
saoudite : le prince, ses meurtres… et ses maîtres
Le prince héritier d’Arabie
saoudite, Mohammed Ben Salman dit MBS, est en mauvaise posture. Lui qui a lancé
une intervention dévastatrice au Yémen, avec des milliers de morts et des
dizaines de milliers de victimes, est pointé du doigt par les dirigeants
européens et américains pour le meurtre d’un journaliste.
Quelle soudaine prise de
conscience ! Ces représentants de commerce au service des industriels de
l’armement n’ont évidemment pas plus de scrupules que leurs maîtres. Ils sont
guidés par les intérêts économiques et stratégiques des grandes puissances
qu’ils représentent, rien d’autre.
Le journaliste saoudien Jamal
Khashoggi, chroniqueur au quotidien américain Washington Post, a été assassiné
avec préméditation par un commando envoyé par MBS le 2 octobre dernier au
consulat d’Arabie saoudite à Istanbul. C’est ce qu’a affirmé Erdogan, le chef
d’État turc, devant son parlement mardi 23 octobre. Ce n’est évidemment pas par
amour de la liberté d’expression qu’Erdogan a voulu faire la lumière sur cette
affaire, lui qui avoue que « en Turquie, on peut mettre des
journalistes en prison » même si « on ne les massacre pas et
on ne démembre pas leurs corps, comme le font les Saoudiens ». Cet
épisode s’inscrit dans les conflits qui opposent ces derniers temps les
différentes puissances du Moyen-Orient entre elles d’une part, et à
l’impérialisme américain d’autre part.
Les États-Unis, après avoir
laissé l’Iran jouer un rôle central dans la guerre contre Daech, en Syrie et en
Irak, ont opéré un revirement diplomatique pour empêcher l’Iran de sortir en
position de force du conflit. Ils sont revenus vers l’Arabie saoudite, qu’ils
n’avaient en fait jamais lâchée. Et peu de temps après son élection, Trump a
dénoncé l’accord sur le nucléaire iranien, annonçant de nouvelles sanctions
commerciales radicales contre l’Iran.
Mettant ses menaces à exécution,
il a bloqué les exportations vers ce pays en produits de première nécessité,
faisant reculer brutalement le niveau de vie des couches populaires. Mais ces
mesures ont aussi visé les alliés régionaux de l’Iran, comme la Turquie, qui
craint désormais de ne plus pouvoir recevoir de gaz et de pétrole iraniens.
Elles ont aussi visé les autres puissances impérialistes européennes qui
avaient des échanges économiques avec l’Iran, auxquels elles ont dû
officiellement mettre un terme. Et ce n’est que le début, car le 4 novembre
2018, doit débuter la seconde vague de sanctions économiques, avec notamment
l’arrêt des exportations d’hydrocarbures.
Après des années de guerres et de
bombardements, les chantiers de la reconstruction sont au cœur des tractations
entre tous les protagonistes de la région. Il y a quelques jours, Trump a
obligé le gouvernement irakien à passer commande pour 15 milliards de dollars
de turbines à gaz auprès du géant américain General Electric alors que le
contrat était en passe d’être signé avec le groupe allemand Siemens. Trump
avait un argument de poids : si le gouvernement irakien obtempère, les
États-Unis pourront accepter de laisser ouvert le gazoduc en provenance d’Iran
qui alimente l’Irak.
Les États-Unis avaient soutenu
jusque-là MBS dans toutes ses initiatives : ses coups de force en Arabie
saoudite pour asseoir son autorité, ses initiatives guerrières au Yémen, ou
encore le blocus de son rival voisin, le Qatar. Car le Qatar, partageant avec
l’Iran un gigantesque gisement gazier offshore se trouvant à cheval sur les
deux eaux territoriales, s’est trouvé de fait avoir des intérêts communs avec
ce pays. Cette fois-ci, en assassinant d’une façon un peu trop visible un
journaliste, employé qui plus est par un quotidien américain, le prince
héritier saoudien est devenu difficile à défendre ouvertement et ses tuteurs
américains sont contraints de le lâcher, au moins partiellement.
Comme a dit le président de la
Commission des Affaires étrangères du Sénat des États-Unis : « L’Arabie
saoudite est un pays et MBS est une personne. Je suis prêt, à séparer les
deux. » Cela ne remet en cause ni la stratégie des États-Unis, qui est
une des sources majeures du chaos de la région, ni évidemment les ventes
d’armes à l’Arabie saoudite, qui sont une source de profits considérables pour
tous les industriels de l’armement européens et américains.
Pierre ROYAN (Lutte ouvrière
n°2621)