Le pianiste et compositeur turc Fazil Say, âgé de 42 ans, mène une brillante
carrière internationale. C'est sa notoriété qui lui vaut aujourd'hui de faire la
une de l'actualité en Turquie, où il passe en procès pour avoir publié sur son
compte Twitter des propos jugés offensants envers l'islam. Il risque dix-huit
mois de prison.
Sur Internet, Fazil Say a revendiqué son athéisme, plaisanté sur un muezzin
et cité les vers d'un poète persan, Ommar Khayyam : « Vous dites que des
rivières de vin coulent au paradis. Le paradis est-il une taverne pour vous ?
Vous dites que deux vierges y attendent chaque croyant. Le paradis est-il un
bordel pour vous ? »
Sous prétexte de respecter les croyances de chacun, la justice et le
gouvernement turc dirigé par le parti islamiste dit « modéré » AKP (Parti de la
justice et du développement) veulent faire taire tous ceux qui ne partagent pas
leur vision d'un ordre moral religieux imposé à tous. Il s'agit d'imposer un
carcan à la population, en l'occurrence sans le moindre « respect » pour les
croyances de chacun.
Fazil Say est inculpé en vertu d'un article du nouveau code pénal adopté en
2004, selon lequel « le dénigrement des croyances religieuses d'un groupe » est
un délit. Il n'est pas le premier, l'écrivain Orhan Pamuk, par exemple, a
également subi un procès. Et plusieurs milliers d'étudiants sont en prison pour
délit d'opinion.
Fazil Say s'était déjà attiré des ennuis en 2007, en créant une œuvre
consacrée au massacre de Sivas qui avait eu lieu en 1993. Cette année-là, lors
d'un rassemblement d'artistes et d'intellectuels de gauche, des islamistes
intégristes avaient mis le feu à un hôtel où se trouvaient les participants,
faisant 37 morts. Vingt ans plus tard, les responsables n'ont pas été jugés et
le gouvernement de l'AKP n'apprécie toujours pas qu'on évoque le sujet, même
dans une œuvre musicale.
Fazil Say peut aujourd'hui envisager de s'exiler au Japon dans le pire des
cas. Mais ils ne sont pas nombreux à pouvoir le faire. Ceux qui refusent cette
intolérance fondée sur des références au respect des dogmes religieux et
l'interdiction du blasphème doivent être nombreux à se faire entendre en
Turquie... et ailleurs.
Pierre MERLET