La réimplantation des révolutionnaires communistes dans les
quartiers, facteur d’information, de cohésion, d’esprit collectif
Victor
Dupouy, premier maire PCF d’Argenteuil, une personnalité emblématique
d’un drame: un militant ouvrier resté fidèle à un parti devenu stalinien
L’effondrement du mouvement
ouvrier n’est pas propre à Argenteuil, mais il a marqué cette ville. Le PCF et
la CGT en furent ses principales forces. Ces derniers étaient implantés dès les
années 1920 dans les quartiers populaires de la Ville, en particulier dans les
quartiers périphériques, tel le Mazagran de l’immigration ouvrière italienne de
l’époque. C’est ce qui amena le PCF à l’occasion de la montée ouvrière à partir
des années 1934 à l’emporter lors des élections municipales à Argenteuil sur les
vieux notables locaux en 1935.
Le
drame de ce parti fut qu’il abandonna dix après sa fondation son programme
communiste, révolutionnaire, internationaliste pour devenir un organe hexagonal
des intérêts de la bureaucratie soviétique et de son chef Staline. Cela le
conduisit à bien des retournements politiques, au nationalisme, à soutenir De
Gaulle dans sa politique de restauration de l’État bourgeois à partir de 1943,
et à l’électoralisme le plus plat. Ce fut un gigantesque gâchis dont le monde
du travail ne s’est à ce jour toujours pas relevé.
S’il
fut rejoint par des individus pour les petites carrières qu’il offrait, il
conserva de véritables militants qui, à défaut de jouer le rôle d’éclaireurs
politiques nécessaires, furent au moins des militants qui éveillaient à la
culture, à l’organisation et à la conscience collectives des milliers de jeunes
et de moins jeunes, à Argenteuil comme ailleurs. Sur le présent blog, il m’est
arrivé ces dernières années d’évoquer tout cela et de rendre hommage à certains
militants du PCF à l’occasion de leur disparition.
Dans
les années 1970, tous les quartiers d’Argenteuil sont marqués par la présence
militante du PCF. Dans la cité Joliot-Curie, L’Humanité-dimanche est vendue à
la moitié des locataires. Le PCF y dispose d’une section du parti et de
nombreuses cellules sur la cité. Il anime la vie festive et associative, celle
en particulier de l’Amicale des locataires.
Son
influence est très importante chez les enseignants. Il organise les colonies de
vacances qui brassent chaque année des milliers de jeunes. Des colons
deviennent plus tard moniteurs, assurant la continuité de ce brassage entre
quartiers, y diffusant des valeurs collectives.
La
création de Maisons des Jeunes et de la Culture sur la Ville, et la mise en
place d’annexes de celle-ci dans différents quartiers de la Ville allèrent dans
le même sens.
Les
enseignants habitent alors pour un grand nombre d’entre eux dans des
« logements de fonction » construits dans les quartiers auprès des
écoles. Dans la cité Joliot-Curie, quatre escaliers dans le petit bâtiment de
la rue Rouquès leur sont réservés. Cela permet aux enseignants de croiser les
élèves et leurs parents, d’échanger avec eux hors de l’École. Cela permet
surtout aux enseignants de participer à la vie politique et associative locale.
Tous
ces éléments (et bien d’autres) aidaient à l’apprentissage d’une jeunesse qui
allait trouver du travail en sortant de l’École. La société locale y pouvait
partager une information sur ce qui se passait au niveau de la Ville, elle y
trouvait une certaine cohésion, au-delà des parcours et des origines de chacun,
elle y développait un sens important du collectif, toutes choses qui se
retrouvaient renforcées au sein du monde du travail où d’autres militants y
pourvoyaient.
Tout
cela mériterait une histoire locale sociale, différente de celles qui ont été
rédigées. Une histoire faite d’évènements, de dates, de lieux et de
personnages, mais surtout d’explications et de raisonnements de compréhension.
Nous
faisons partie de ceux, très rares, qui considèrent que ce « monde que
nous avons perdu », celui d’un mouvement ouvrier de qualité militant dans
les quartiers, nous pouvons le retrouver. Certes, la société a changé, mais pas
sa nature. Le monde du travail reste le monde du travail avec ses gigantesques
potentialités de conscience et d’action. Elle reste la seule force à l’échelle
de la planète capable de changer le monde. Mais là où il y avait des circuits
d’information, ils sont pour l’instant éclatés et partiels aujourd’hui. La
cohésion a laissé la place à l’atomisation, à la fragmentation et aux
divisions, tout comme un certain esprit collectif a laissé la place à un
profond individualisme.
Bien
des choses sont donc à reconstruire.
Il
y a déjà le travail inlassable, quand on en maintient l’objectif, de reconstruction
de la présence militante dans tous les quartiers. Si peu de gens s’y
intéressent. Avec nos petits moyens actuels, nous sommes de ces rares.
Et
il y aura, nous en avons la conviction, des évènements généraux qui
bouleverseront cette réalité grise. À nouveau, de grands combats du monde du
travail le mobiliseront, et à nouveau, très rapidement, nous verrons le nombre
des militants se multiplier, le moral rejaillir, et l’esprit collectif prendre
le dessus sur l’individualisme, marginaliser à nouveaux nombre de problèmes, en
particulier bien des violences des quartiers populaires.
A
suivre. Et le rôle des parents et de la famille dans tout cela ?... DM