Haut-Karabakh
: le déchaînement des nationalismes
27 Septembre 2023
En quelques jours, les forces
armées azerbaïdjanaises viennent d’écraser celles du Haut-Karabakh, une petite
enclave arménienne qui avait fait sécession de l’Azerbaïdjan il y a trois
décennies, lors de l’effondrement de l’Union soviétique. Des dizaines de
milliers d’habitants du Haut-Karabakh ont aussitôt fui pour se réfugier en
Arménie.
L’Azerbaïdjan s’était saisi d’un
prétexte – la mort de soldats dans l’explosion d’une mine – pour lancer une
« opération anti-terroriste » éclair. La guerre de 2020, gagnée par
Bakou, avait déjà fortement réduit la surface de cette enclave et rompu la
continuité territoriale du Haut-Karabakh avec l’Arménie voisine. Désormais,
c’en est fini de l’indépendance que le Haut-Karabakh avait proclamée en 1991.
Mais ce n’en est pas fini avec la guerre, car Bakou a d’ores et déjà annoncé
qu’il entendait instaurer un corridor entre l’Azerbaïdjan et la zone azérie du
Nakhitchevan, enclavée entre la Turquie, l’Iran et l’Arménie. Or, dans l’état
des frontières issues de la décomposition de l’URSS, un tel corridor ne peut
s’ouvrir qu’au travers et aux dépens de l’Arménie. Et, forcément, celle-ci ne
peut que s’y opposer militairement.
Ce petit bout d’Europe, de par sa
situation géographique – les deux chaînes de montagnes du Caucase formant un
pont entre la mer Caspienne et la mer Noire – a toujours été un lieu de
brassage de populations diverses, dans leurs tribulations entre l’Asie, le
Proche-Orient et l’Europe. Il s’ensuit que le Caucase est une mosaïque de
peuples, qui s’y sont installés à diverses époques et s’y sont mélangés, ou au
moins qui y cohabitaient.
S’agissant du Haut-Karabakh, la
formation de l’Union soviétique dans la foulée de la révolution d’Octobre 1917
avait regroupé des populations arméniennes dans un territoire distinct de
l’Arménie, rattaché administrativement à l’Azerbaïdjan qui l’entourait, mais
disposant d’une très large autonomie. Et, surtout, aucune barrière étatique ne
s’opposait aux déplacements des habitants, à leur liberté d’aller et venir
entre l’Arménie et le Haut-Karabakh ou entre, l’Azerbaïdjan et le Nakhitchevan.
Cette situation valait pour une
centaine d’autres peuples vivant en URSS, qui avaient leur propre territoire ou
qui vivaient dans des entités administratives avec une autre ethnie
majoritaire, sans que cela porte autrement à conséquence. En tout cas, tant que
la Russie soviétique, puis l’URSS, cherchaient à donner le maximum de droits à
toutes les composantes nationales de la population. Avec l’installation du
stalinisme au tournant des années 1930, la bureaucratie usurpatrice du pouvoir
de la classe ouvrière maintint formellement le cadre hérité de la révolution,
même si en maintes occasions Staline et son régime étouffèrent les aspirations
des nationalités, en déportant certaines du Caucase et d’ailleurs.
L’implosion de l’Union
soviétique, voulue par les chefs de la bureaucratie, fit très rapidement
évoluer la situation de façon tragique. En Asie centrale et dans le Caucase,
les chefs locaux de la bureaucratie cherchèrent à se tailler des fiefs dans
« leur » république, en se présentant en défenseurs intraitables de
l’ethnie majoritaire, afin que celle-ci leur apporte son soutien, contre le
« centre », c’est-à-dire Moscou, et contre les minorités habitant sur
leur territoire.
C’est ce qui se produisit à
partir de 1989-1990 en Azerbaïdjan, où le clan du chef du Parti communiste
local, Aliev, voulut rameuter la population azérie en fomentant des pogromes
anti-arméniens à Bakou et Soumgaït. Sachant ce qui les attendait, les Arméniens
du Haut-Karabakh proclamèrent leur indépendance en décembre 1991, quand l’URSS
cessa d’exister. Une guerre éclata, qui fit des dizaines de milliers de morts.
Elle déboucha en 1994 sur un cessez-le-feu, pas même sur une paix formellement
conclue, puis la situation resta en l’état, ponctuée d’accrochages réguliers.
Les forces arméniennes avaient
alors gagné des pans de territoire pour relier le Haut-Karabakh à l’Arménie. La
Russie, qui se trouvait dans ce qu’elle considérait comme sa zone d’influence
naturelle et qui soutenait plus ou moins Erevan, avait des troupes sur place
qui garantissaient un certain statu quo. Mais depuis 2014 Moscou s’est
concentré sur l’Ukraine, qui avait choisi le camp occidental. Et, avec la
guerre ouverte actuelle, la Russie n’a plus les forces ou la volonté de
s’imposer dans le Caucase. D’autant plus que, derrière l’Azerbaïdjan, le
soutenant militairement et politiquement, il y a la Turquie, membre de l’OTAN
mais aussi partenaire jusqu’à un certain point de Moscou dans le conflit
ukrainien.
Les soldats russes sont donc
restés l’arme au pied face aux troupes de Bakou. Nul ne sait comment évoluera
ce conflit. Mais une chose est certaine : alors qu’il semblait gelé, il
est redevenu un point chaud sur la carte, un de plus. Et les peuples de la
région, qu’ils soient arménien, azéri ou autres, ne peuvent que faire les frais
d’un incendie qui risque de s’étendre.
Pierre
LAFFITTE (Lutte ouvrière n°2878)
Les prochaines
permanences prévues :
-Lundi 2
octobre, de 18 h. à 19 h. centre commercial des Raguenets à
Saint-Gratien ;
-Mardi 3
octobre, de 18 à 19 heures devant l’Intermarché de la cité Joliot-Curie.
Toutes les semaines, l’hebdomadaire Lutte ouvrière est aussi en vente à la
librairie Le Presse-papier et au Tabac-Presse du mail de la Terrasse du
quartier du Val-Nord que nous remercions.